Virginie Efira : "Je me suis retrouvée face à ma médiocrité"

Une fois de plus vertigineuse, Virginie Efira joue à la double vie dans "Madeleine Collins" d'Antoine Barraud, au cinéma le 22 décembre. Ce personnage pluriel a contenté cette adoratrice des trajectoires peu communes empruntées par des personnages subtils. L'actrice nous parle de son "visage", de ses "joues rondes" et de sa "normalité"... assise, à nos côtés, sur la banquette d'un taxi parisien!

Virginie Efira : "Je me suis retrouvée face à ma médiocrité"
© Vianney Le Caer/AP/SIPA

Madeleine Collins, le prochain film de Virginie Efira, est déroutant. Les conditions de notre rencontre avec l'héroïne de ce thriller sur la quête d'identité le sont tout autant. L'actrice très demandée appartient aux loquaces, à ceux que l'introspection ne dérange point. Ce professionnalisme de l'échange l'a mise très en retard sur sa journée d'interviews. C'est cette raison qui nous a précipite dans un taxi en sa compagnie, pour la questionner sur le film d'Antoine Barraud. Sa fille, la nounou et l'attachée de presse sont du voyage. Dans ce van sillonnant Paris vers un plateau télévisé où elle est attendue, l'envoûtante Belge se dévoile, après plusieurs éclats de rire sur le comique de la situation. On apprend alors que Gone Girl est l'un de ses films préférés, qu'à 16 ans elle était amoureuse de Julia Roberts dans Pretty Woman "pour ses gestes" ou encore qu'elle a mis du temps à se faire confiance. La quête ne semble pas encore terminée quand elle sous-entend qu'elle pressent la courte durée de sa carrière. Pourtant, les écrans l'adorent. Après des commencements cathodiques et un début d'histoire avec le cinéma dans des comédies romantiques, Virginie Efira stimule désormais les auteurs, qui voient en elle la toile parfaite pour projeter leur imagination. Tout récemment, elle a fait grand bruit en nonne peu farouche dans Benedetta pour Paul Verhoeven et dans Adieu les Cons avec et par Albert Dupontel. La voici maintenant tiraillée entre deux familles chez Antoine Barraud. Dans Madeleine Collins, elle joue Judith, femme mariée avec deux adolescents en France et jeune amoureuse avec une fille de 4 ans en Suisse. Rencontre au tournant.

En quoi Judith, femme à double vie, était-elle intéressante à incarner ?
Virginie Efira : J'aime l'idée du masque qui n'en n'est pas vraiment un. Je peux retrouver la même chose chez Benedetta, de Paul Verhoeven. Ce sont des personnages acteurs. Peut-être y a-t-il un lien avec ce que je fais ? Leur croyance en une forme de fiction est immense. À un moment donné, ils sont persuadés que plusieurs histoires sont possibles. Pour rentrer chez soi, on est habitué à marcher tout droit, mais que se passe-t-il si on va à gauche? Judith est solide dans ses identités plurielles. Elle se déstructure au moment où elle doit en choisir une seule et qu'on la presse de se définir. Je suis toujours très étonnée des gens qui arrivent à se définir eux-mêmes, à dire "je suis comme ci, comme ça". Tout est en mouvement. Quand on augmente ce prisme et qu'on va vers une fiction comme Madeleine Collins, c'est passionnant.

Virginie Efira dans "Madeleine Collins" © UFO / Paname Distribution

Judith se confronte, elle ne se dérobe pas. Vous reconnaissez-vous en ça ?
Virginie Efira : Je ne me reconnais pas parce que j'ai beaucoup trop de paresse pour mettre à l'épreuve l'idée du mensonge. En revanche, j'ai été confrontée à des gens qui fonctionnaient comme ça et j'ai toujours été intéressée par les sincérités multiples, par ceux qui arrivent à se défaire de la culpabilité. C'est une forme de liberté qui a un prix, parce qu'il faut parfois se défaire d'un sens éthique. Ces personnes croient totalement au présent. C'est fascinant.

Comment réagissez-vous face à la difficulté ?
Virginie Efira 
: Le jeu m'aide à ne plus trop voir les obstacles, bien que dans la vie, il y en a plein. Jouer, c'est se défaire de l'idée préconçue qu'on a de soi-même, c'est réaliser qu'il y a d'autres choses à faire, comme dans Madeleine Collins. L'interprétation ne laisse pas de place au jugement. C'est une représentation des choses qui n'engloutit pas. Dans ma trajectoire professionnelle, le moment où je n'ai plus eu peur de rater a été décisif pour me confronter à des situations qui au départ n'étaient pas aisément compréhensibles. Je trouve intéressant d'aimer jouer des choses sans en avoir une idée très claire avant.

Le cinéma vous aide-t-il à vous remettre en question ou à vous trouver ?
Virginie Efira : Je crois que les deux vont ensemble. Je ne sais pas si on peut tout à fait se trouver, comme si on pouvait à un moment déterminer ce qu'on est complètement. Les éléments qui nous déterminent, comme nos opinions, notre physique, nos pensées et la manière dont on nous perçoit sont constamment en mouvement. J'aimerais que les valeurs ne le soient pas, même face à l'adversité. Chercher quelque chose est une manière de se trouver, de réaliser qu'on est un peu plus large que ce qu'on croit, de comprendre l'autre pour mieux se comprendre soi. Jouer, c'est un rapport au monde non intellectuel et non cérébral. Ce n'est plus de l'analyse. C'est faire parler l'inconscient, laisser les pulsions s'exprimer. Je vois ça comme une sorte de psychanalyse en évolution. À titre personnel, ce n'est pas salvateur.

"Maintenant je ne joue que des schizo, mais avant j'étais la fille d'à côté"

Y a-t-il un plaisir à incarner quelqu'un d'immoral ?
Virginie Efira : C'est certain. Le fait d'être acteur nous limite souvent à ce que les autres peuvent voir de nous. Cela passe par ce qu'on a fait avant, ce qui émane de nous sans qu'on en ait conscience et par une certaine morphologie. J'ai longtemps pensé que mon visage, mes joues rondes, ma forme de normalité ne me permettraient pas de jouer des choses dangereuses, perverses. C'était rigolo que Verhoeven me choisisse alors que je suis assez solide physiquement, pas souffreteuse du tout. Puisqu'il y croit, je suis obligée d'y croire aussi. Si on peut difficilement comprendre Benedetta, Judith distribue de l'amour, à ses enfants par exemple. La machine qu'elle a mise en place la dépasse complètement. Jamais elle ne jouit d'un pouvoir par rapport à ça, contrairement à Benedetta. Judith jouit d'avoir un secret, d'avoir sa matière de fiction à elle. Je ne la vois pas comme une perverse, parce que la perversion implique la pleine conscience du processus qu'on dissimule. Elle manipule et elle glisse. Elle sait au fond d'elle que c'est désespéré, mais elle n'arrive pas à faire autrement. J'ai l'impression qu'on pourrait tous toucher ça.

Virginie Efira dans "Madeleine Collins" © UFO / Paname Distribution

Les actrices pointent souvent du doigt la raréfaction des rôles intéressants au fil des ans. Vous semblez déjouer la règle. Diriez-vous que vous avez provoqué cette évolution ?
Virginie Efira 
: Nous avons une responsabilité dans les choix qu'on fait. Il y a toute une première partie de vie où l'on passe beaucoup de temps avec soi-même à ne pas se trouver forcément valable, à avoir un peu honte de soi. On ne sait pas très bien comment se représenter alors si on nous dit "j'aimerais bien que tu sois comme ça", on acquiesce. Je connais plein d'individus qui arrivent à se déterminer très fort à 20-25 ans, à avoir des idées en place. Moi j'étais très déstructurée. Ça ne s'était pas extrêmement bien passé en école de théâtre, donc j'avais du mal à m'envisager comme quelqu'un qui pouvait réussir. Si on me proposait une place, j'essayais au maximum de bien remplir mon rôle. Maintenant je ne joue que des schizo, mais avant j'étais la fille d'à côté, indépendante mais pas trop, sympathique mais pas fatale. Même quand j'étais calée dans ces comédies romantiques, il y avait quelque chose à faire. Drew Barrymore a fait de très bons films! Il est possible de faire passer un message sympa dans un film bricolé. J'ai beaucoup d'affection pour 20 ans d'écart par exemple.

"Pendant le confinement, j'ai fait le triste constat de ne pas pouvoir produire quelque chose seule"

Madeleine Collins parle de se réinventer. Avez-vous parfois envie de tester d'autres choses ?
Virginie Efira : Ce sont des questions qui me traversent, notamment avec la pandémie et le confinement. Avant ça, je pouvais me dire que j'allais écrire, mais que je n'avais pas le temps. Là j'en avais, mais je ne l'ai pas fait pour autant. Je me suis retrouvée face à ma médiocrité, mais je peux être à un autre endroit. J'avais monté une boîte pour racheter des droits de livres qui m'intéressaient et proposer à des réalisateurs de les adapter. C'est aussi être mue de désir, d'envie de raconter des histoires, de les faire partager. Je suis d'ailleurs en train de réfléchir à une idée de série. Après Victoria, j'avais tellement aimé l'expérience que je ne voulais plus faire les choses comme avant. Cette fonction de l'acteur qui attend que le désir se porte sur lui, ce n'est pas possible. Il faut bien proposer des choses. Pendant le confinement, j'ai fait le triste constat de ne pas pouvoir produire quelque chose seule. Au moment où on ne me proposera plus grand chose, je ne sais pas bien ce que je vais faire. Je serais sûrement poussée par la situation, mais je ne peux pas le déterminer maintenant.

"Je suis en train de réfléchir à une idée de série"

Votre planning est si chargé qu'on se voit dans une voiture. Entre les tournages et la promo, comment tenez-vous le coup ?
Virginie Efira : Ce sont les joies de la Covid et des embouteillages cinématographiques! J'aime bien tourner parce qu'on se concentre sur une seule chose. Cela correspond davantage à mon rythme de base. Si ma vie était cette journée en permanence, je deviendrais dingue. Je ne sais pas comment font les vedette américaines ! Je suis une grande spécialiste du mélange, même si je fais rarement des interviews avec ma fille à côté. Je ne dois pas très bien me connaître parce que je n'arrête pas de vanter les mérites de la lenteur, du peu de choses dans l'existence et en fait, je recommence un tournage en janvier et deux semaines après j'ai un autre film de prévu. Pourtant, j'ai un très bon rapport à la sensualité, à la paresse, mais il y a un quelque chose de l'ordre du remplissage. J'ai l'impression que le temps est très court. Peut-être parce que j'ai commencé tard. J'ai aussi l'intuition que ça ne va pas durer très longtemps… J'ai envie d'enchaîner les témoignages intéressants. Personne ne vit bien les années qui passent, mais les âges s'impriment sur les écrans et ce sont alors d'autres histoires à raconter. J'ai joué une vierge chez Verhoeven, c'est un peu foufou. Il y a des histoires à 44 ans que je ne pourrai plus raconter dans 10 ans. Autant en profiter.