Noémie Merlant (A GOOD MAN): "Je me libère petit à petit du male gaze"
Noémie Merlant déploie la force de son jeu en incarnant un homme transgenre dans "A Good Man" de Marie-Castille Mention-Schaar, au cinéma le 10 novembre. Ce rôle puissant, important pour ouvrir d'autres imaginaires, a permis à l'actrice de se questionner sur les combats trans et sur sa propre construction en tant que femme. Entretien en toute franchise.
"Pour moi, faire du cinéma ou de l'art, c'est créer une connexion entre les êtres et avec soi-même." Voilà la motivation intrinsèque de Noémie Merlant. C'est avec cet objectif en tête que l'actrice éblouissante de Portrait de la jeune fille en feu a accepté de jouer un homme trans enceint pour A Good Man, en salles le 10 novembre. Benjamin, infirmier sur l'île de Groix très amoureux de sa compagne Aude (Soko), est un mec courageux, prêt à reculer son hystérectomie1 pour pouvoir porter lui-même leur enfant. La comédienne, qui retrouve ici la réalisatrice du Ciel attendra Marie-Castille Mention-Schaar, s'est donnée corps et âme pour que ce personnage trouve écho en elle. Son magnétisme inonde une fois de plus l'écran dans ce film sur l'amour et la quête de parentalité.
Alors que la communauté LGBTQIA+ déplore qu'une femme cisgenre2 ait accepté de jouer un homme transgenre, Noémie Merlant concède avoir beaucoup réfléchi au sujet. Quand on lui demande quel rôle elle refuserait catégoriquement, elle lâche, dans un sourire que l'on sent désemparé, "c'est trop tard, mais celui d'un homme trans". Preuve que le talent n'empêche pas la remise en question. Depuis, l'actrice s'emploie plus que jamais à chercher cette connexion qui lui est chère et à mettre du sens dans tout ce qu'elle entreprend. Et il y en a, des projets. A l'affiche d'A Good Man et de Les Olympiades de Jacques Audiard, la comédienne est en tournage à Berlin pour le prochain film de Todd Field, avec Cate Blanchett. Elle apparaîtra aussi à la fois derrière et devant la caméra pour Mi Iubita mon amour, son lumineux premier long-métrage en tant que cinéaste. Une expérience qu'elle compte réitérer puisqu'elle profite actuellement de son temps libre pour écrire ce qu'elle espère être sa deuxième réalisation : un film "féministe et drôle". Entretien avec une jeune femme à l'honnêteté désarmante.
1 hystérectomie : ablation de l'utérus pouvant aller jusqu'à la suppression du col de l'utérus, des ovaires et des trompes de Fallope.
2 cisgenre : personne ne se ressentant pas d'un autre genre que celui qu'on lui a assigné à la naissance
Que saviez-vous des hommes enceints avant A Good Man ?
Noémie Merlant : J'avais très vaguement entendu parler de Thomas Beatie (premier homme trans à tomber enceint, ndlr), mais à vrai dire, j'étais complètement ignorante sur le sujet. On en parle très peu et les personnes concernées n'ont pas forcément envie de se mettre en lumière, ce qui est compréhensible vu tous les actes transphobes dont elles sont victimes au quotidien. J'imagine que porter un enfant doit être un moment intime, personnel et qu'on ne cherche pas nécessairement à se raconter quand ça nous arrive. Ce qui explique qu'il y a beaucoup plus d'hommes qui ont mené une grossesse et accouché que ce que l'on pense. Ça, je ne le savais pas avant de faire ce film.
Avez-vous hésité à accepter le rôle de Benjamin ?
Noémie Merlant : Pas au départ, quand Marie-Castille m'a parlé du projet, parce que je lui fais entièrement confiance. Quand j'ai lu le scénario, que j'en ai su un peu plus sur ces questions et que la presse a commencé à s'emparer du sujet, je lui ai demandé de faire un casting pour chercher Benjamin parmi des acteurs trans. Elle est revenue vers moi après plusieurs mois parce qu'elle ne trouvait pas. Nous avons alors dîné avec les deux hommes trans qui ont participé à l'écriture du scénario avec elle et je leur ai fait part de mon hésitation. Ils m'ont encouragée à le faire parce que le film était nécessaire et montrait d'autres imaginaires. A Good Man est un récit positif sur les représentations trans, alors je les ai écoutés et je ne regrette pas.
Comment vivez-vous la polémique autour du fait que vous, une femme cisgenre, incarniez un homme transgenre ?
Noémie Merlant : Au début, je n'arrivais pas à comprendre qu'un rôle trans doive impérativement être porté par un acteur trans. Pour moi, un comédien doit pouvoir tout jouer. En voyant les commentaires, je me suis mise à douter parce qu'il y a toujours une raison derrière des cris, de la douleur. C'est d'ailleurs dommage que je doive passer par un film pour avoir cette curiosité-là… Au fur et à mesure de mes rencontres et discussions, j'ai compris le parallèle avec le mouvement 50/50. Oui, un acteur doit se mettre dans la peau de l'autre, mais ce sont toujours les mêmes, cisgenres, blancs, hétérosexuels, qui prennent quasiment toute la place. Il est très difficile pour les autres, dont les acteurs trans, d'avoir des opportunités et donc d'acquérir de l'expérience, ce que recherchent les réalisateurs avant tout. Il faut faire du forcing pour rééquilibrer la machine. Je m'en rends compte maintenant et mes choix seraient différents aujourd'hui.
Que vous ont appris ces questionnements sur les représentations des transidentités ?
Noémie Merlant : Les personnes trans ont depuis toujours été représentées au cinéma comme des personnes machiavéliques, des clichés de farce, de blague... Le documentaire Disclosure sur Netflix l'explique très bien. Il y a tout à déconstruire et à reconstruire. Même si je trouve que le film ne joue jamais la carte du voyeurisme, le fait de voir et d'appuyer sur la performance de l'actrice crée un lien inconscient avec une forme de déguisement, une transformation. Parce que moi qui deviens Benjamin pour A Good Man, c'est une transformation et pas une transition. Je crois que l'on est dans une phase de réparation et je comprends que ça n'aide pas.
"C'est horrible de constater que l'on nous attribue des rôles pré-conçus"
Pourquoi A Good Man est important ?
Noémie Merlant : C'est un film qui parle au-delà des représentations et qui permet au public de se familiariser avec les vécus trans. C'est un chemin vers l'acceptation et donc vers moins de transphobie, dans l'espoir de parvenir à la supprimer totalement. C'est comme ça que l'on avancera sur les combats pour un meilleur accès aux papiers, à la transparentalité, aux soins médicaux, au travail, au logement, etc. Surtout, c'est le récit d'un couple qui s'aime et qui se bat pour avoir un enfant. C'est l'histoire d'un homme trans qui accepte de porter ce bébé sans que ça ne remette en cause son identité d'homme. C'est enfin une très belle réflexion autour de ce qui nous fait avancer dans la vie, dans le couple et de comment on y trouve sa place.
Aux yeux de certains personnages, le fait que Benjamin utilise son utérus pour enfanter remet en cause son identité d'homme. Cela en dit finalement beaucoup sur ce qu'est une femme aux yeux de la société…
Noémie Merlant : C'est vrai. C'est comme ce rapprochement débile que l'on peut faire entre les menstruations et les femmes. Celles qui n'ont pas leurs règles ne sont-elles pas femmes pour autant ? Là dessus, le film est hyper juste. Est-on moins femme parce qu'on décide de ne pas avoir d'enfant ou qu'on ne peut pas en avoir, comme Aude ? Est-on moins homme parce qu'on porte un bébé ? Tout est une question d'acceptation de soi, de l'autre, des différences. A Good Man permet d'interroger le genre et les étiquettes qu'on y appose. Ces a priori peuvent devenir une double peine. Celles qui souffrent de ne pas pouvoir avoir d'enfant sont comme enfoncées par le regard de la société. Et c'est tous les jours, avec des phrases comme "mais tu n'as pas d'enfant ?" ou "vous verrez quand vous aurez des enfants". Qui a dit que j'en veux ou que je peux en avoir ? C'est horrible de constater que l'on nous attribue des rôles pré-conçus.
Ce personnage a-t-il changé votre regard sur la manière dont vous vous êtes construite en tant que femme ?
Noémie Merlant : J'apprends toujours de mes personnages et c'est pour ça que c'est une grande chance de faire ce métier. Au-delà du genre ou de la transidentité, Benjamin s'accepte comme il est, il suit ses désirs et a de l'amour à donner. Un tel rôle ne peut qu'être porteur, forcer le respect, donner envie de s'assumer. Entre ce personnage et le monde qui change, je me suis interrogée. Ne plus se maquiller, ne plus s'épiler, c'est être moins femme ? J'ai réalisé que mes looks, ma manière de bouger ou de réagir n'étaient pas forcément de mon propre fait, mais étaient dus à une société et une éducation patriarcales. Je me suis rendu compte que Noémie était presque plus un rôle que les rôles que je jouais. Être soi-même, c'est très difficile, peut-être plus encore quand on est une femme. Je me libère petit à petit de ce male gaze et des personnages comme Benjamin m'aident à avancer en tant qu'être humain.
Par quoi est passée cette remise en question, qu'avez-vous déconstruit chez vous ?
Noémie Merlant : Depuis que j'ai interprété Benjamin, je ne m'habille plus tout à fait pareil, je ne cherche plus l'ultra-féminité. Mes vêtements sont moins serrés, moins sexy, plus agréables à porter donc forcément un peu plus masculins. Par exemple, avant, je me rasais tout le temps alors que mes poils ne me dérangent absolument pas ! C'était automatique. Comme le fait de porter des soutiens-gorge. Cela dépend de la poitrine de chacune, mais moi je n'en ai pas forcément besoin. Plus j'avance, plus j'en ai marre. J'essaie d'assumer mes choix, d'apprendre à dire non… J'ai encore du travail à faire. C'est plus fort qu'un simple changement d'habits, c'est comme si j'avais ouvert les yeux sur mes envies. Maintenant, si je me rase ou que je porte une tenue ultra-féminine, je le fais en conscience.