PINGOUIN & GOELAND : qui étaient ces drôles d'oiseaux ?

Pingouin et Goéland, ou Roger et Yvonne Hagnauer, sont des héros de la résistance française. Pendant des années, ils ont caché des orphelins de guerre en leur inculquant le goût de la vie. Le réalisateur Michel Leclerc consacre le documentaire "Pingouin & Goéland et leurs 500 Petits" à ce couple trop peu connu. Avant d'en apprendre plus sur eux au cinéma le 3 novembre, on vous les présente.

PINGOUIN & GOELAND : qui étaient ces drôles d'oiseaux ?
© Dulac Distribution

Iconoclastes. C'est l'adjectif que choisit Michel Leclerc quand on lui demande quel mot convient le mieux à Pingouin et Goéland, ce couple d'intellectuels ayant permis à des centaines d'enfants de vivre et d'apprendre pendant l'Occupation et bien après. Le réalisateur du Nom des Gens est bien placé pour décrire Yvonne et Roger Hagnauer, de leurs vrais noms, puisqu'il leur consacre un documentaire, au cinéma le 3 novembre : Pingouin & Goéland et leurs 500 petits. Et que sa mère était une de leurs protégés.

Ce film dresse leur portrait grâce à des archives et à travers les yeux de ceux qui les ont sûrement le mieux connus : des anciens (en l'occurence des anciennes) pensionnaires de la Maison de Sèvres, cet établissement hors-norme. On y apprend avec détails qui étaient ces oubliés de l'Histoire, ces héros aux surnoms plumés : Pingouin et Goéland.

Yvonne et Roger Hagnauer voient le jour à Paris, elle le 9 septembre 1898 dans une famille venue de Bretagne, lui le 1er juillet 1901, dans une famille d'origine juive alsacienne. Ils deviennent instituteurs et se retrouvent sur leurs idées militantes et pacifistes. Rapidement, c'est l'amour et ils s'épousent en 1925. Si lui, communiste de la première heure, devient un éminent syndicaliste, elle, féministe avertie, consacre sa vie à la pédagogie. Ensemble, ils n'auront jamais d'enfant. Enfin… jamais de leur sang, parce qu'en vérité, ils sauveront et élèveront des dizaines de petits malheureux, grâce à leur vision singulière de la vie et de l'éducation.

La Maison qui rend les enfants heureux

Yvonne, épaulée par Roger, devient la directrice de la Maison d'enfants de Sèvres en 1941, après que tous deux ont été radiés de l'Education nationale pour antipatriotisme à cause de leurs idées libertaires. Le lieu accueille des enfants orphelins, clandestins, juifs, souvent tout ça à la fois, pendant l'Occupation. Pour mener à bien leur projet, ils s'entourent d'une équipe d'enseignants, eux aussi poursuivis par Vichy. C'est alors qu'ils prennent les noms qui ne les quitteront plus jamais : Goéland et Pingouin, quand leur équipe est constituée de Colibri, Kangourou ou Orchidée... dans le but de brouiller les pistes pour l'administration du Maréchal.

Michel Leclerc leur trouve un "certain sens de la provocation". Difficile de ne pas y voir autre chose, quand on sait que la Maison de Sèvres était soutenue par le régime de Vichy en tant qu'établissement dédié aux enfants de la guerre. Ce qui était bel et bien le cas, mais pas selon la définition que les collaborationnistes s'en faisaient.

Malgré la réussite incontestée de leur projet, Roger Hagnauer est dénoncé en 1943 par une ancienne infirmière. Il est contraint de quitter Sèvres pour ne pas attirer l'attention de la Gestapo sur leurs cachotteries résistantes.

Goéland, pédagogue avant-gardiste

De son côté, Goéland, qui suit de très près les travaux des pédagogues Montessori, Decroly ou encore Freinet, n'a qu'une seule obsession : appliquer l'Education Nouvelle pour que les enfants, aussi traumatisés soient-ils, deviennent des adultes autonomes et libres de penser par eux-mêmes.

C'est ainsi que la Maison de Sèvres devient un lieu de pédagogie à part, tournée vers les centres d'intérêts, le théâtre, la musique, la danse, les travaux manuels et l'autogestion. C'est au-delà de l'école : chaque instant est consacré à occuper les pensionnaires avec l'objectif qu'ils se reconstruisent.

Il y est question de mixité (plus de 30 ans avant la publication du décret d'application de 1976 de la loi Haby) et, déjà dans les années 40, Goéland inculque le goût de l'indépendance aux garçons et aux filles. Tous auront des métiers par la suite, à une époque où les femmes sont davantage encouragées à s'occuper du foyer.

"Pingouin & Goéland et leurs 500 petits // VF"

De collabos à Juste

À la Libération, Pingouin et Goéland sont traités de collabos à cause de la couverture vichyste de la Maison de Sèvres et des articles élogieux parus dans les revues pro-Pétain. Le comble pour ces antifascistes, mais de nombreux témoignages viennent appuyer leur véritable action pendant la guerre. Yvonne Hagnauer est faite Juste en 1974 par Israël. C'est à peu près à cette période qu'elle quitte la direction de la Maison de Sèvres.

Pingouin et Goéland sont les témoins de mariage de leurs petits devenus grands qui, jusqu'à leur mort, sont nombreux à leur rendre visite régulièrement. Yvonne meurt le 1er novembre 1985, à 87 ans, Roger le 11 janvier 1986 à 84 ans. Quarante ans après leur disparition, il serait temps qu'enfin, tout le monde connaisse leurs noms.