PINGOUIN & GOELAND ET LEURS 500 PETITS ou l'incroyable histoire de la Maison de Sèvres

La Maison de Sèvres a hébergé des dizaines d'enfants victimes de la guerre, orphelins ou réfugiés, au nez et à la barbe du régime de Vichy. L'institution est devenue un modèle de résistance et d'éducation grâce à ses créateurs. Yvonne et Roger Hagnauer sont les sujets du documentaire de Michel Leclerc, au cinéma le 3 novembre : "Pingouin & Goéland et leurs 500 petits". On vous ouvre les portes de leur établissement.

PINGOUIN & GOELAND ET LEURS 500 PETITS ou l'incroyable histoire de la Maison de Sèvres
© Ex Nihilo / Dulac Distribution

1941, 14 rue Croix-Bosset, Sèvres. À première vue, la bâtisse érigée là n'a rien d'exceptionnel. Pourtant, pendant des décennies, des choses fantastiques s'y sont passées. Des enfants ont ri, chanté, pleuré, dansé, appris, couru, chahuté… En d'autres termes, ils ont vécu. Là où c'est extraordinaire, c'est que sans cette maison, ils n'auraient sûrement pas eu cette chance.
Créée en 1941 par Yvonne Hagnauer, la Maison d'enfants de Sèvres est d'abord une colonie de vacances, placée sous la houlette de Vichy et de son Secours national. Très vite, l'institution devient une résidence permanente, notamment pour les enfants parisiens victimes de malnutrition. Enfin, ça c'est que croit le régime du Maréchal Pétain. Car en réalité, Yvonne et son époux Roger ont conçu la cachette idéale pour accueillir et protéger les enfants juifs, dont les parents sont déportés ou disparus. Cette institution soutenue par la collaboration devient une planque résistante, sous les yeux du régime.
Environ 90 enfants, envoyés à la Maison par les réseaux clandestins juifs, survivent grâce au bagou de Yvonne et Roger, ces anciens enseignants radiés. Le tout, sans que Vichy ne découvre jamais le pot-aux-roses, malgré la dénonciation de Monsieur en 1943, contraint de s'éloigner de l'établissement.

Avec les félicitations du Maréchal

Pour les aider dans leur périlleuse mission, Yvonne et Roger s'entourent de personnel (enseignants, infirmiers, cuisiniers, etc.), pour beaucoup également proscrits. Vingt-deux adultes auraient été couverts par la Maison sous l'Occupation allemande. Pendant qu'elle falsifie les documents d'identité des malheureux gamins qui lui arrivent, l'équipe décide, pour elle, d'opter pour des surnoms, afin de ne pas attirer l'attention sur les origines et croyances de certains de ses membres. C'est ainsi qu'Yvonne et Roger deviennent Goéland et Pingouin et leurs alliés, Orchidée, Colibri, Libellule… Des totems protecteurs, en somme. Le Mime Marceau y passera d'ailleurs quelques années en tant que professeur d'arts dramatiques.

L'administration du Maréchal, et même certains journalistes facho, se targuent tout de même de quelques visites, de contrôle ou à visée documentaire. C'est ainsi que le journal antisémite La Gerbe, vante les louanges de la Maison de Sèvres et de son équipe enseignante… sans se rendre compte qu'il jette alors des fleurs aux mêmes qu'ils persécutent.

"Pingouin & Goéland et leurs 500 petits // VF"

Maison d'enfants de Sèvres : haut lieu de l'Education nouvelle

Si l'enseignement de Pingouin et Goéland fait tant parler, c'est parce qu'il est extrêmement novateur. Yvonne Hagnauer est une adepte du mouvement pédagogique de l'Education Nouvelle et s'inspire des travaux, entre autres, de Decroly et Montessori. Les enfants sont encouragés à apprendre à travers les arts, la culture, la nature, l'éducation physique, les travaux manuels. Place est faite à la communauté et à l'épanouissement personnel de chacun.

Pingouin et Goéland poussent même leurs recrues à créer leur "petite République" et à eux-même voter pour des représentants, faire régner l'ordre, etc. L'idée étant de les responsabiliser, de leur redonner confiance et de pousser leurs âmes meurtries par le chagrin à imaginer le futur.

Yvonne Hagnauer a dirigé la Maison d'enfants de Sèvres, entre temps délocalisée à Meudon, jusqu'au début des années 1970. L'institution a continué d'accueillir des enfants jusqu'en 2009, date de sa fermeture. Au 14 rue Croix-Bosset à Sèvres, une école élémentaire a pris le relais. Quant aux oisillons, ils sont nombreux à honorer la mémoire de ceux qui leur ont offert un toit et une éducation. Comme Michel Leclerc, fils d'une petite accueillie par la Maison, qui consacre un passionnant documentaire à cette joyeuse famille : Pingouin & Goéland et leurs 500 petits, au cinéma le 3 novembre.