Catherine Corsini soigne LA FRACTURE, le fond et la forme

Catherine Corsini revient sur les grands écrans avec "La Fracture", film percutant et plus actuel que jamais, au cinéma le 27 octobre. La cinéaste explose les barrières sociales dans cette comédie dramatique et rocambolesque sur la crise de l'hôpital, les gilets jaunes et les a priori bourgeois. Une réussite jusque dans le choix des membres du casting : Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï et de vrais soignants, impressionnante Aissatou Diallo Sagna en tête. Interview.

Catherine Corsini soigne LA FRACTURE, le fond et la forme
© Vianney Le Caer/AP/SIPA

Catherine Corsini sait mieux que quiconque capter l'atmosphère d'une époque pour la téléscoper dans des sujets sociaux. Ses deux derniers films sont des exemples du genre : La Belle Saison, histoire d'amour entre deux femmes dans le milieu militant féministe des années 70 et Un Amour Impossible, adaptation du roman de Christine Angot, récit d'un inceste qui traverse les années 50, 70 et 2000. Avec La Fracture, au cinéma le 27 octobre, la réalisatrice s'attaque à notre temps et livre une comédie dramatique sur les crises que traverse notre pays. Elle y dévoile aussi un peu d'elle-même. Raf, incarnée par la grandiose Valeria Bruni Tedeschi, est inspirée de la cinéaste. Cette dessinatrice aisée se présente aux urgences avec le coude cassé, après avoir couru derrière sa compagne fuyante, campée par Marina Foïs. À quelques rues de là, les manifestations des gilets jaunes font rage et Yann, extra Pio Marmaï, se retrouve à patienter à côté de Raf au milieu des brancards. S'en suit une nuit de tensions entre toutes ces personnes reliées par la détresse. Sur le fil, l'infirmière wonder woman Kim, interprétée par l'aide soignante à la ville Aïssatou Diallo Sagna, tente de maintenir le chaos à distance. L'écriture et la mise en scène de Catherine Corsini parviennent à nous ballotter dans ce chahut en nous tenant sans cesse entre rires et larmes. Rencontre.

"La Fracture" © CHAZ Productions / Le Pacte

Qu'est-ce qui vous a donné envie de réaliser un film sur cette crise très actuelle ?
Catherine Corsini : Après deux films d'époque, La Belle Saison et Un Amour Impossible, j'avais curieusement envie de parler du contemporain. Le cinéma français a tendance à très peu prendre en compte le politique. Souvent, on fait des films un peu hors-sol. J'avais envie de me confronter à ça, tout en me demandant si j'y arriverais et comment y parvenir. J'avais le sentiment que je devais le faire en passant par moi, qu'un des personnages du film devait être inspiré de ma personne pour que l'on puisse dialoguer avec. Je pensais à des exemples extraordinaires, comme Charlie Chaplin qui, dans Les Temps Modernes, fait un constat sur le monde, sur l'homme devenu un automate et le raconte de manière poétique et drôle, ou certains films de Nanni Moretti. Bêtement, en me cassant le coude après une chute dans la rue comme le personnage de Raf, je me suis retrouvée aux urgences le 1er décembre 2018 avec ma compagne et productrice. J'ai réalisé qu'on était dans un endroit qui pouvait favoriser de la comédie, du drame, des situations et des rencontres improbables. Quoi de plus représentatif que les urgences d'un hôpital pour montrer l'état de la société ? Il peut y avoir une personne connue à côté d'un clochard et chacun arrivera et partira suivant son ordre d'entrée.

Comment vous est venue l'idée d'un gilet jaune comme personnage central ?
Catherine Corsini : Pour moi, ça faisait sens de mettre en scène un gilet jaune, dont on entendait, au début, les revendications, le sentiment d'injustice, la précarité... J'y ai vu une caisse de résonance. En le confrontant à des gens comme moi avec des idées préconçues, on bouscule les images que l'on a les uns des autres et on provoque du débat, tout en engendrant des situations dramatiques, mais aussi drôles. Je trouvais ce mélange intéressant. 

Dans ce film sur les préjugés et les rapports de classe, tous les personnages finissent par se lier malgré la fracture qui les sépare. Est-ce votre manière d'apporter un regard optimiste sur la situation ?
Catherine Corsini : Le film finit sur un constat terrible, parce que Yann revient blessé. C'est le héros sacrifié, quand Raf et Julie repartent dans leur petite vie, plus épargnées. À l'hôpital, la souffrance est toujours là, ça n'en finit pas, mais il y a un gain d'optimisme qu'on saisi quand Raf offre le dessin à Yann. Il y a quelque chose dans sa manière de le reconnaître, de le dessiner, de le lui tendre... Je crois profondément à la solidarité quand on est dans des situations compliquées, même s'il y aura toujours des gens pour sauver leur peau en premier. On peut voir le verre toujours plein ou toujours vide. Au cinéma, c'est important de donner des pistes pour avoir plus de courage et de croyance dans des valeurs fondamentales, comme l'égalité. À l'hôpital, on est tous traités de la même manière, peu importe notre catégorie sociale, notre couleur, notre sexualité, notre genre. C'est un endroit merveilleux de tolérance.

"Les soignants n'étaient pas à notre disposition"

Vous avez tourné un film sur la crise de l'hôpital entre deux confinements, en pleine pandémie, avec de vrais soignants. Comment était l'ambiance sur le tournage ?
Catherine Corsini
: On avait des tests toutes les semaines, un représentant Covid qui nous changeait les masques, des règles de distanciation... On était dans un moment de contraintes. Il y a des endroits où l'on n'a pas pu tourner, comme les couloirs de l'hôpital Lariboisière à Paris, qui étaient très importants pour moi parce qu'immenses à s'y perdre, avec des endroits magnifiques. On s'est retrouvés à tout faire dans un lieu qui ne correspondait pas à ce que j'imaginais, mais malgré tout ça, on avait cette chance de pouvoir tourner. Dès qu'on recevait nos résultats et qu'on savait qu'on n'avait pas de cas de Covid, on était tellement heureux, fiers de faire très attention. Ça a créé une espèce de solidarité. Les soignants n'étaient pas à notre disposition, ils avaient posé leurs jours pour venir tourner et le reste du temps, ils étaient réquisitionnés pour la pandémie. Il fallait faire très attention à ça. On était respectueux de ce qu'ils pouvaient dire et eux étaient très contents d'être représentés dans un film. Ce n'était pas rien qu'ils soient avec nous, ça nous donnait une légitimité incroyable pour faire le film.

Qu'ont-ils apporté au tournage ?
Catherine Corsini
: C'était une équipe de soignants que j'avais constituée et pourtant, on a eu l'impression qu'ils travaillaient ensemble depuis toujours. Leur fonctionnement était en adéquation avec une équipe de tournage. Sur un plateau, on sait que l'on a besoin les uns des autres pour travailler et c'est la même chose dans les hôpitaux. Un médecin sans infirmière, ça ne marche pas, de la même manière que je ne peux pas faire de film sans mon équipe. Toutes ces choses ont fait écho. On s'est très bien entendus. Ils ont amené aux acteurs un confort incroyable. La vérité de leurs gestes ont permis aux comédiens d'être dégagés de quelque chose. Leur autorité les a mis à égalité avec les comédiens.

Aïssatou Diallo Sagna dans "La Fracture" © Carole Bethuel / Le Pacte

Aïssatou Diallo Sagna, aide soignante à la ville, livre d'ailleurs une prestation exceptionnelle en Kim, l'un des premiers rôles...
Catherine Corsini : Elle est venue au casting pour faire de la figuration. Au départ, je voulais une jeune actrice noire pour incarner Kim, mais j'avais l'impression que les comédiennes que je voyais jouaient à l'infirmière. Aïssatou a de l'autorité dans sa façon de bouger, de faire les gestes, de regarder, d'être patiente... Ce sont des choses merveilleuses qui font partie d'elle. Alors on a fait des essais, on a travaillé en profondeur, j'ai beaucoup parlé du personnage. À un moment, la confiance a pris le pas et ça s'est passé extrêmement simplement. J'avais peut-être plus de douceur et d'attention avec elle qu'avec les acteurs que je malmenais un peu plus. Elle était très bien dans son rôle d'infirmière, ce qui a été compliqué, c'était les moments de jeu, quand il y a la scène avec la prise d'otage par exemple. Je pense qu'elle a découvert sur le plateau qu'elle était capable de jouer des émotions, qu'elle pouvait d'ailleurs les recréer plusieurs fois. Elle a compris quelque chose des acteurs. Elle ne le sait pas forcément, mais j'ai vu son personnage grandir.