Marina Foïs et Valeria Bruni Tedeschi, duo sur le fil de LA FRACTURE

Dans "La Fracture", au cinéma le 27 octobre, Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs jouent un couple au bord de la rupture, plongé au cœur de la crise sociale alors qu'elles passent une nuit dans un hôpital saturé. Cette mise en abyme de la zizanie fait exploser le talent des deux actrices à jouer la comédie, le drame et un savoureux mélange des deux. Interview.

Marina Foïs et Valeria Bruni Tedeschi, duo sur le fil de LA FRACTURE
© Marechal Aurore/ABACA

Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs entrent dans la chambre d'hôtel où nous les rencontrons en pleine conversation personnelle. L'une est inquiète. L'autre, en quelques phrases, parvient à la rassurer. Un drôle de miroir du couple qu'elles incarnent à l'écran dans La Fracture, au cinéma le 27 octobre. Dans cette comédie dramatique signée Catherine Corsini, la Franco-italienne joue Raf, stressée, exubérante, intense quand la Française incarne Julie, insaisissable, patiente, mais lassée par l'égoïsme de sa compagne. Alors qu'elles passent la nuit aux urgences à cause d'une mauvaise chute, les amoureuses en crise doivent composer avec leurs propres tracas en même temps que les déficiences d'un système en ébullition. Entre elles, c'est l'éclatement. Dehors, c'est l'explosion : les manifestations des gilets jaunes s'intensifient et l'hôpital se trouve lui aussi au bord de la rupture. Valeria Bruni Tedeschi livre une prestation grandiose de bourgeoise blessée, têtue, confrontée à un routier révolté (Pio Marmaï). Marina Foïs est tout aussi juste en concubine désabusée, prise au milieu de ce chaos. Les deux comédiennes, devenues amies depuis ce tournage, nous parlent de leurs personnages, de la pandémie et de leurs bottes secrètes face aux tensions.

Dans La Fracture, vous jouez un couple. Qu'aimez-vous l'une de l'autre ?
Marina Foïs
: C'est embarrassant parce qu'elle est là, mais Valeria a un truc de tragicomédie que je trouve extrêmement séduisant. Elle arrive à créer quelque chose qui ressemble beaucoup à la vie: faire percuter la drôlerie et le drame, la légèreté et la profondeur. Cela me touche au-delà du raisonnable, comme quelque chose de nécessaire, comme un humour qui parfois nous plombe, comme une distance dont parfois l'on voudrait se défaire et qui nous sauve. Elle a tout ça et elle a sa beauté aussi, ses deux yeux-là (en les montrant, ndlr).

Valeria Bruni Tedeschi : On n'a pas eu de mal du tout à jouer les amoureuses. Nous avons des énergies différentes et j'aime beaucoup, je suis même un peu jalouse, de la sienne. Parfois, je regarde Marina comme j'aimerais être. C'est cinématographique. On s'entend, on se comprend, on est familières, on ne s'ennuie pas, et à la fois, nous sommes comme deux sœurs avec des énergies différentes.

Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs dans "La Fracture" © Carole Bethuel / Le Pacte

Valeria, votre rôle est inspiré de Catherine Corsini, la réalisatrice. Comment avez-vous composé avec ça ?
Valeria Bruni Tedeschi
 : Elle m'a coupé et bruni les cheveux et habillée comme elle, donc, comme un enfant qui met les chaussures de sa mère, il y a une chose qui est venue très naturellement avec cette transformation physique. Les dialogues et les répliques écrites viennent aussi d'elle, alors le mimétisme s'est fait tout seul. Après, j'y ai jouté moi-même et ce mélange d'elle et moi a fait un bébé, qui est le personnage du film.

Marina Foïs : Je connais le couple Corsini-Perez, la réalisatrice et la productrice, dans la vie depuis longtemps et je ne suis pas gênée du tout de dire que c'est une source d'inspiration directe. Je les connais ensemble, séparément et je reconnais leur mode de fonctionnement. Corsini est très sévère avec son propre personnage, mais pour la comédie, c'est toujours bien de charger.

Valeria Bruni Tedeschi : Dans ce personnage, il y a une forme d'autodérision sur ma façon d'appréhender la société, sur ma manière, superficielle et un peu bourgeoise, un peu bête, de me positionner sur certains sujets. J'ai pu dévoiler mon ridicule par rapport à une pensée que je n'ai pas assez approfondie. J'ai fait cadeau de cette chose un peu honteuse que j'ai en moi à Raf. J'aime bien parce que ça me déculpabilise aussi.

"C'était bénéfique d'être confinés"

Marina, il était question de faire exister un personnage qui passe le film au chevet de Raf/Valeria...
Marina Foïs 
: Elle n'est pas du tout un sujet et c'est intéressant parce qu'on sent bien que c'est un personnage qui a un secret. Plus souvent, on a des rôles où l'on raconte tout de cette personne. Là, il fallait faire exister cette fille en disant le minimum. Dans leur couple, le personnage de Valeria a une sensation d'abandon très forte, qui n'est pas que sa folie à elle. Mon personnage nourrit beaucoup ça, à tout le temps se barrer. Ça doit rendre dingue. J'avais envie que cette nuance existe pour équilibrer. Valeria parlait des énergies différentes, et bien là, ce sont deux énergies contraires. On ne sait pas qui brutalise le plus souvent l'autre. Julie est socialement au milieu du gué : elle vient probablement du même milieu que le personnage de Pio Marmaï. C'est une transfuge assumée. Plein d'amis à moi viennent d'ailleurs et quand ils se retrouvent à faire du cinéma, c'est quelque chose qui existe encore très fort pour eux. Moi, je suis née dans un milieu intello-bourgeois, donc je n'ai pas ce problème de légitimité à être là où je suis, mais Julie est très habitée par ces questions-là.

Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs dans "La Fracture" © CHAZ Productions / Le Pacte

Vous avez tourné ce film qui se déroule dans un hôpital en crise alors qu'à la ville, nous étions en pleine pandémie. Comment avez-vous vécu cette double réalité sans répit ?
Valeria Bruni Tedeschi
 : J'avoue avoir trouvé ça très bénéfique d'être confinés pour ce tournage. Être dans ce huis-clos nous a donné une concentration fantastique. Personne ne sortait le soir, on ne faisait que travailler et rentrer chez nous. Là, on était obligés, mais j'ai adoré ce tournage un peu sévère et j'adorerais qu'on soit confinés à chaque film, mais pas pour la Covid...

Marina Foïs : Je pense que ça nous a servi. Nous avons eu la chance de continuer à travailler pendant cette période, alors que plein de gens de la culture ne le pouvaient pas. On était cette exception. Il y avait la concentration qui nous tenait oui, mais aussi le fait de savourer cette chance.

L'humour du film permet de décompresser alors que la tension y est constante. Quelles sont vos soupapes de décompression à vous ?
Valeria Bruni Tedeschi
 : Je décompresse par le jeu. Tout ce qui touche au travail m'aide beaucoup à m'oxygéner. Dans la vie, j'ai plus de mal, je suis plus tendue. Alors de temps en temps, des séances chez la psy peuvent m'aider... et le yoga.

Marina Foïs : Le cinéma me sert beaucoup pour m'échapper, que ce soit pour rire ou pour pleurer. Et l'amitié ! J'ai quelques personnes dans ma vie dont l'énergie me nourrit. D'ailleurs, pendant le confinement, ce n'est pas le fait d'aller au restaurant qui m'a manqué, c'est le fait d'être plusieurs. On se régénère les uns les autres. Un jour c'est Valeria qui va m'apporter, en me parlant de ses films, de ses enfants, etc. Comme un vampire, je vais aspirer son énergie et la donner à quelqu'un d'autre le lendemain. Si on parle d'amitié, on parle de partager avec les gens qui nous ressemblent. Alors oui, l'amitié, et les amours divers et variés.

Valeria Bruni Tedeschi : L'amitié, où il n'y a pas d'enjeu, où l'on se dit les choses sans se sentir jugés. Parce que l'amour amoureux n'est pas vraiment une source de détente! Alors qu'en amitié, juste une parole peut apaiser et c'est justement ça qui n'est pas facile à atteindre.