Maxime Roy (LES HEROIQUES), cinéaste de rage et d'espoir

Maxime Roy a écrit et réalisé le sublime et flamboyant "Les Héroïques", en salles le 20 octobre. Avec ce premier long-métrage, il pose une caméra bienveillante sur un ancien toxicomane bataillant pour devenir un mec bien, à travers ses relations avec son père et ses enfants. Le metteur en scène voit son film comme une réponse à la question "comment exister dans un monde qui ne veut pas forcément de vous ?". Une description révélatrice de l'homme derrière la caméra, réalisateur sensible attiré par les failles.

Maxime Roy (LES HEROIQUES), cinéaste de rage et d'espoir
© James Weston

A-t-on trouvé en Maxime Roy le cinéaste des incompris ? Après deux courts-métrages sur des gens en marge (Sole Mio et Beautiful Loser), le jeune réalisateur français met en scène ses Héroïques, dans un film du même nom, au cinéma le 20 octobre. Ecrit avec son acteur principal François Créton, ce drame brillant est une fiction imaginée de la vie de son protagoniste, ancien addict en lutte contre ses démons pour se muer en type fréquentable. Et renouer avec les siens. La notion de lien est importante pour Maxime Roy, qui considère le contact comme "la chose la plus importante pour notre survie". Une vision d'autant plus essentielle à l'ère de la pandémie. Avec son film et ses personnages incarnés par un casting des plus émouvants (Roméo Créton, Richard Bohringer, Clotilde Courau, Ariane Ascaride), il parvient à mettre à jour la délicatesse cachée derrière l'apparente brutalité. Le garçon nous avoue avoir un problème avec les personnes violentes. C'est sûrement là qu'il puise le besoin d'éclairer les failles avec sa bienveillance, dans l'espoir de rendre le monde plus intelligible. Rencontre.

Que se passe-t-il entre François Créton et vous quand vous vous rencontrez ?
Maxime Roy : Je rencontre un mec assez particulier, fragile, encore sous méthadone. Il parle en verlan, je ne pige rien du tout ! Il vient d'arrêter l'alcool, mais il subsiste quelque chose de très révolté chez lui. On ne se connaît pas tant que ça quand il me montre les cassettes que son père a enregistrées avant sa mort. Il m'avait parlé de lui comme d'un mec hyper violent, très dur et quand on le découvre dans cette intimité, on voit quelqu'un qui aime vraiment son fils. C'était une grande preuve d'amour. François n'avait pas compris plein de choses de lui. Tout ce qu'il avait été jusqu'à présent était construit en rébellion contre une enfance mal comprise. Très vite, j'ai eu envie d'écrire là-dessus, sur son combat pour essayer d'être un mec bien, pour arrêter de s'effacer derrière la came dans laquelle il avait plongé à 11 ans.

Qu'est-ce qui vous donne envie de raconter cette histoire avec un film ?
Maxime Roy : C'est lui qui me fascine. Au départ, j'ai envie d'essayer de comprendre qui est François. Je le fais d'abord dans la vie, en allant dans des centres, des réunions d'alcooliques. J'apprends à le connaître avant que se dessine l'envie de raconter une histoire. On en parlait comme ça et petit à petit, on a basculé vers l'écriture du scénario. Cela vient avec une image importante pour moi : François, à 47 kilos pendant qu'il arrête la méthadone, qui porte son enfant dans ses bras. On ne sait pas si c'est lui qui porte le fils ou le fils qui le porte. Le film parle de cette passation.

"Les Héroiques" © Pyramide Distribution

Qu'est-ce qui fait la particularité des personnages des Héroïques ?
Maxime Roy : François et moi, on défend nos personnages dans leurs fragilités et dans leur envie d'être des gens bien. C'est quelque chose qui ressort vachement des Alcooliques Anonymes et qui m'a beaucoup appris. On m'a toujours dit que je n'étais pas quelqu'un de bien. Cette emprise psychologique un peu difficile a fait que j'ai mis du temps à essayer de me construire en tant que personne. On a essayé de montrer que c'est difficile de sortir de ça. On vit dans une société où les failles sont un problème, alors que pour moi c'est la beauté de quelqu'un.

Quelque part, vous redéfinissez les codes des représentations masculines. C'est important pour vous ?
Maxime Roy : C'est un débat compliqué, mais ce sont des sujets qui m'intéressent beaucoup. Francois est d'ailleurs quelqu'un d'hyper féminin dans son rapport à la masculinité. Il porte des talons, des jupes, il ne se pose pas la question. Quand tu écris des scénarios, tu t'interroges sur ce qui ressort de tes personnages masculins ou féminins. Je n'ai aucune réponse, c'est vaste et fascinant. Dans Les Héroïques, quand Michel et Léo chantent Eddy de Pretto ensemble, ça raconte beaucoup de choses. Entendre ces paroles, "tu seras viril mon kid", avec ce mec qui n'accepte pas de lâcher une sorte de parade de virilité, c'est assez magnifique. On écrit actuellement un autre scénario ensemble, avec des rôles d'hommes qui ne s'inscrivent pas tellement dans une représentation habituelle du masculin.

"J'ai envie d'aller vers des gens qu'on ne regarde pas forcément"

D'où vous vient votre envie de faire du cinéma ?
Maxime Roy
: Maintenant c'est assez clair, mais j'ai mis du temps à comprendre pourquoi je faisais ça. J'ai grandi en banlieue, sans avoir un grand accès à la culture. A 17 ans, j'étais régulièrement chez un ami dont le papa était projectionniste dans une salle de projection de rushs de films. Moi, à part Titanic et La Boum, je n'avais rien vu. Je n'arrivais pas à trouver ma place au collège et au lycée. Quand cet homme m'a fait entrer dans la salle de projection, j'ai découvert un monde hyper charnel. Jusqu'au jour où une équipe de tournage vient. Je les entends parler des rushs, décrire leurs émotions, leur rapport au monde. En sortant, je me dis "c'est quoi ce métier où tu peux parler de tes émotions ?" et "j'ai envie de faire ça". Les sujets de mes films sont en lien avec le fait que je n'ai pas forcément été compris plus jeune. Ça me donne envie d'aller vers des gens qu'on ne regarde pas forcément et d'être dans une recherche de bienveillance, tout le temps.

Vous connaissiez François l'homme, qu'avez-vous découvert de François Créton l'acteur ?
Maxime Roy
: On a fait une fiction et c'est ce qui est super troublant : il y a évidemment quelque chose de l'ordre de la réalité et en même temps tout est faux parce que tout est réécrit. Rien n'est réel, mais le sentiment que traverse le personnage est juste. Dans Michel, on a trouvé un personnage tragi-comique avec des tics de langages, un verlan très prononcé, un blouson estampillé "loser" dans le dos... C'est too much, mais ça le fait éclore, ça le rend brillant. François devient alors ce personnage qui est un clown de lui-même. Il se met à jouer Michel et c'est une autodérision presque caricaturale. Il prend un plaisir fou à se foutre de lui et c'est là qu'il devient acteur extraordinaire.

Richard Bohringer et François Créton dans "Les Héroïques" © Pyramide Distribution

Richard Bohringer joue le rôle du père. Pourquoi lui ?
Maxime Roy : Je ne voyais personne d'autre que lui pour interpréter ça. Il fallait trouver quelqu'un qui incarne cette génération, cette France, ce monde qui est en train de s'écarter pour laisser place à une nouvelle ère. Richard incarnait quelque chose de tellement fort en même temps qu'une immense empathie. C'est quelqu'un qu'on aime au premier regard. J'avais l'image d'un père avec toutes ses aspérités, d'un homme difficile avec son fils, mais qu'on apprécie avec ses raisons d'être. Il y a quelque chose de très, très fort entre eux. Quand ils se sont rencontrés avec François, ils ne se sont pas parlé pendant 1h30. Ils se reniflaient comme ça, comme deux bêtes. J'ai vraiment eu l'impression de voir le père et le fils. La relation a duré comme ça, ils se sont portés l'un et l'autre et l'amour est né entre eux pendant le tournage. Il s'est passé quelque chose de magique. C'était hyper beau à voir.

Les rôles féminins, portés par Clotilde Courau et Ariane Ascaride sont secondaires, mais très parlants...
Maxime Roy
: C'est marrant de prendre conscience de la vision que l'on a des mamans, et des femmes en général. Clotilde et Ariane jouent des figures de mères et je leur fais dire à toutes les deux "grandis". Comme si c'étaient elles qui savaient le bousculer, comme si les hommes ne savaient pas se parler et que les femmes y voyaient plus clair. Je ne m'étais pas rendu compte de la place que je leur donnais dans le film, je réalise cela a posteriori.

De quoi êtes-vous le plus fier avec Les Héroïques ?
Maxime Roy : J'ai voulu filmer François parce qu'il y avait de la lumière dans son combat et que pour moi, il était la preuve qu'on pouvait garder la foi même quand c'est difficile. J'ai la sensation que majoritairement, le film donne de l'espoir aux gens. Il y a un acte de résistance face à la morosité. J'ai souhaitais qu'en sortant, on ait envie d'aimer les gens. J'ai l'impression que mon travail est accompli. Surtout que François lui-même est enfin dans la vie. Il a accédé à une sorte de sagesse. Aujourd'hui, c'est lui qui prêche la parole, même dans ses groupes d'Alcooliques Anonymes. Le film lui a permis de combattre et son combat a permis de faire le film. Il sort en salles à un moment où François est là, vraiment là, C'est un projet qui élève plus qu'il n'écrase.