Niels Schneider : "Je ne peux vraiment pas me voir"

Niels Schneider est allé puiser au fond de ses propres fissures pour mieux se faire enrôler dans "Sentinelle Sud", film de soldat, de traumatismes et de famille de cœur, en compétition au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. Sur la côte basque, le comédien nous a parlé de son rapport aux tournages, de son aversion pour son image et de sa vie de couple.

Niels Schneider : "Je ne peux vraiment pas me voir"
© Jean Michel Nossant/SIPA

Acteur trouble, intranquille, ange noir... Les formules habituelles pour qualifier Niels Schneider se focalisent sur la part sombre derrière la douceur affichée. Les conséquences, sûrement, du brumeux mélange qui émane du Franco-Canadien et auquel les cinéastes aiment se heurter. Xavier Dolan a été le premier à le filmer beau (J'ai tué ma mère), mais vénéneux (Les Amours Imaginaires) et depuis le 7e art ne cesse de s'emparer de ce contraste, le baladant entre les rôles d'amoureux (Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait, Curiosa, Sibyl) ou d'habité (Diamant noir, Sympathie pour le Diable). Sentinelle Sud, en compétition au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, s'est présenté comme un terrain de jeu idéal pour explorer cette ambivalence. Niels Schneider incarne un militaire meurtri, désemparé au moment de retrouver une vie normale en France. Il nous explique avoir tout de suite cerné la douceur cachée sous les fêlures évidentes du personnage. Son propre paradoxe inversé, même si à 34 ans, il confie être plus serein que dans sa vingtaine : "Je me sens moins en colère, j'ai l'impression d'aborder les choses avec plus de légèreté." L'amour doit aider. En couple avec Virginie Efira, rencontrée sur le tournage d'Un Amour impossible en 2017, le comédien semble avoir calmé ses démons. Il a même réduit la clope, lui préférant sa version électronique. Vapotant face à l'océan déchaîné de Saint-Jean-de-Luz, il nous avoue qu'il aimerait avoir le pouvoir de prolonger cette décennie... Niels Schneider, futur acteur limpide, paisible, ange lumineux ? Il suffit de lui parler de son rapport à son image pour saisir que non. Le regard est toujours aussi concerné que le sourire est désinvolte. Et c'est tant mieux.

Jouer un soldat après avoir incarné un reporter de guerre dans Sympathie pour le Diable, c'était la suite logique ?
Niels Schneider : C'est une drôle de coïncidence, surtout que ce sont deux rôles qui m'ont marqué très fort. Christian Lafayette, de Sentinelle Sud, est un personnage magnifique pour son humanité. C'est un enfant de la Ddass qui a été baladé de familles d'accueil en familles d'accueil. Il s'est construit dans le monde très dur de l'armée, puis de la guerre, où il a trouvé ce qui lui manquait le plus, c'est-à-dire une famille, un père de substitution. Quand il revient à Paris suite à une embuscade, il souffre d'un syndrome de stress post-traumatique qu'il refuse de reconnaître. La vie civile lui est insupportable. C'est un film dur, mais qui affiche une nouvelle masculinité qu'on n'a pas l'habitude de voir au cinéma. Ces mecs arrivent à parler de leurs sentiments, d'amitié, de tendresse. Ils ont une profonde douceur.

"Il n'y a rien de plus fort que de sentir que quelqu'un est prêt à donner sa vie pour toi et inversement"

Comment se prépare-t-on pour entrer dans la peau d'un homme brisé, un militaire de surcroît ?
Niels Schneider : Le réalisateur m'a fait voir une grande liste de documentaires et de fictions, de Taxi Driver, où le personnage de Robert De Niro revient de la guerre du Vietnam, à des films sur des soldats américains de retour d'Irak. Ces mecs sont des mammouths et pourtant ils sont démolis, hantés par leurs fantômes. Je me suis demandé comment ils pouvaient se reconstruire, retrouver une vie. Pour le reste, c'est toujours à peu près la même chose, j'essaie de trouver un lien avec moi, parmi les souffrances, les désirs des personnages, ce qu'ils recherchent profondément, ce qui leur manque. C'est une sorte d'entre deux. Plus que l'armée, ce sont les quêtes intimes et universelles qui me touchent et me donnent l'impression de convoquer des choses chez moi.

Comme ce sentiment de vocation, cette conviction très forte de devoir remplir une mission ?
Niels Schneider
: Oui, ça fait écho au travail d'acteur. J'ai besoin de croire en une équipe et de voir qu'on est tous prêts à faire des trucs parfois un peu fous, jusqu'à mettre notre santé de côté, pour quelque chose en commun. C'est au-delà d'un petit bonheur. Là où je me sens le plus exister, où les choses prennent leur sens, c'est quand on agit les uns pour les autres. Il n'y a rien de plus fort que de sentir que quelqu'un est prêt à donner sa vie pour toi et inversement. Que ce soit en famille, en amour ou en amitié. C'est ce que le personnage a trouvé en mission et c'est ce qu'il essaie de retrouver quand il rentre en France. Il en vient à mépriser la vie civile. Cet égoïsme et cet individualisme sont pire que la guerre pour lui.

Ce décalage avec la "vie civile", vous le ressentez parfois ?
Niels Schneider : Toujours, quand je rentre de tournage ! Encore plus quand je reviens de l'étranger. C'est très bizarre de faire famille avec une équipe 24/24h, d'avoir un rapport très intime avec ces gens et de les voir disparaître du jour au lendemain. Chacun retourne à sa petite vie, on se donne parfois des nouvelles, parfois pas. Les premiers tournages sont un peu violents pour ça, alors quand je joue avec des enfants, j'essaie toujours de garder contact pour qu'il y ait un sas de décompression. Sinon, ils ne comprennent pas pourquoi ils sont très aimés, très entourés et pourquoi il n'y a plus personne du jour au lendemain.

Par quoi passe cette réadaptation au quotidien ?
Niels Schneider : Je n'ai pas de rituel, mais j'ai tendance à ne surtout pas me reposer. J'ai besoin d'être actif, de remplir les journées, de m'occuper. On a souvent 10 000 choses à faire. Je suis super heureux de retrouver mes amis, ma copine, ma famille... Sur certains tournages, je n'ai le temps de voir personne, souvent je ne réponds même pas au téléphone. C'est une bulle très intense, mais je suis aussi heureux quand elle éclate.

Niels Schneider et Sofian Khammes dans "Sentinelle Sud" © UFO Distribution

Quelle est la place du cinéma dans votre vie ?
Niels Schneider : Je ne suis pas du tout obsessionnel en dehors du plateau. Je vais en salles, je regarde énormément de films et on parle forcément de cinéma avec Virginie, mais ce n'est pas quelque chose de dévorant. J'aime ça parce que c'est un miroir de la vie. Le cinéma, c'est parler de soi, essayer de comprendre des choses. J'aime incarner des rôles parce que je me découvre à travers eux, je débusque des choses de moi que je ne soupçonnais pas. C'est une manière de regarder le monde dans lequel je vis.

Quand on vit avec une actrice, on parvient à décrocher ou l'on passe son temps à débriefer ?
Niels Schneider : (Rire). Ma vie de couple est une coupure qui m'est nécessaire. C'est super. Même si on est comédiens, on ne parle pas que de ça, on rit beaucoup. Quand je suis avec elle, comme avec mes amis ou ma famille, ça me fait vraiment du bien de penser à autre chose.

Depuis Diamant Noir, vous semblez particulièrement attiré par les drames. Qu'est-ce qui vous pousse vers ces œuvres ?
Niels Schneider : À l'inverse d'autres de mes rôles, Christian n'est pas sombre, mais il souffre. Ce n'est pas un méchant, c'est un agneau ! Je le trouve hyper doux, il y a une part d'enfant très forte en lui. En général, les personnages sombres me questionnent plus en tant que spectateur et acteur que les personnages pour qui tout va bien ou qui ne sont que dans le bon. Dans la vie, je trouve les vrais gentils extraordinaires, mais au cinéma ils m'interrogent moins.

"Je déteste voir mes films"

Avez-vous davantage envie de légèreté ?
Niels Schneider : Je viens de tourner un film d'Alice et Benoît Zeniter qui commence avec beaucoup de légèreté, j'ai pris un plaisir dingue à le faire. C'est un film très rapide, très vif, qui m'a procuré beaucoup de plaisir, alors j'aimerais en faire plus oui.

Regardez-vous les films dans lesquels vous jouez ?
Niels Schneider : Plus depuis quelques années. J'ai trop peur que ça me déprime pendant 3 jours. Je déteste ça, je ne peux vraiment pas me voir. C'en est physique. Je me mets à avoir des picotements partout, j'ai comme une allergie. Je me dis "pourquoi je ressemble à ça, pourquoi je fais ça ?" Et j'ai l'impression de contaminer tout ce qui m'entoure, que même une chaise ne va plus si je m'assois dessus. C'est terrible parce que je dois faire semblant d'avoir trouvé ça super à la fin... Alors que ça n'a rien à voir avec le film, c'est vraiment mon rapport à mon image. Et puis, j'ai aussi l'impression que le voir à l'écran réduit l'expérience du tournage. Quand tu joues, tout est plus large et d'un coup, c'est encadré, comme figé. C'est ce qui me dérange le plus. C'est hyper angoissant de ne plus pouvoir bouger les choses alors que dans mes souvenirs, c'est encore mouvant.