Nathalie Richard (AFTER LOVE) : "Ne perdons pas la folie, la désinvolture, le risque"

Dans "After Love" au cinéma le 29 septembre, Nathalie Richard joue l'autre femme, celle qui vit une histoire d'amour avec le mari de Mary du côté français de la Manche, à Calais. Une mère débordée, par son déménagement et son fils, qui ne comprend pas tout de suite qui est l'étrangère qui frappe à sa porte. Interview.

Nathalie Richard (AFTER LOVE) : "Ne perdons pas la folie, la désinvolture, le risque"
© RÅN studio / Rezo Films

Nathalie Richard est habituée à tourner pour des auteurs, de Bertrand Mandico à Jacques Rivette, en passant par Olivier Assayas ou Michael Haneke. Dans After Love, en salles le 29 septembre, la comédienne française s'est laissée séduire par l'écriture d'Aleem Khan. L'Anglais signe un premier film sur une histoire autour du deuil, de la découverte de l'autre par les secrets qu'il laisse derrière lui et de l'identité que l'on se construit dans le couple. Quand Ahmed meurt subitement, sa veuve Mary découvre sa double vie de l'autre côté de la Manche. Son amour a construit une famille avec son exact opposé : Geneviève, une Française non musulmane, mère d'un adolescent. Dans cet opus intime et fort, Nathalie Richard est cette femme qui fait voler en éclats les certitudes de l'héroïne. Elle arpente sa maison de long en large pour organiser son déménagement comme elle le peut, alors que le père de son fils ne répond plus et qu'une Anglaise frappe à sa porte... Il n'y a pas que sur grand écran que l'actrice aime jouer avec l'espace. Elle fait partie de ces interprètes qui se plaisent autant sur un plateau que sur les planches. Au théâtre, elle se prête au jeu de metteurs en scène tels que Jean-Louis Benoît, Yves Beaunesne ou Jean-Baptiste Sastre et s'est même essayée à l'exercice pour le Théâtre National de Chaillot avec son adaptation de la pièce Le Traitement par Martin Crimp. Rencontre avec une comédienne constamment en mouvement.

Qu'est-ce qui vous a plu dans After Love ?
Nathalie Richard : J'ai trouvé le scénario très fort par la nature de son vocabulaire et de l'histoire. Aleem ne raconte pas une trahison ou une double vie, il traite le paradoxe de toutes les personnes qui évoluent sur plusieurs territoires. Je trouvais assez beau qu'il ne soit jamais vraiment question de la trahison conjugale, même s'il y a une confrontation entre ces deux femmes. Le film apporte tout un discours sur les a priori, l'identité. L'épouse, Mary, découvre un homme qu'elle n'avait pas soupçonné de l'autre coté de la mer. Cela entraîne des reflets, des jeux de miroir. L'autre, Geneviève, n'imaginait pas du tout cette femme en face. Il y a aussi la question de la sexualité soulevée avec le personnage de l'adolescent, qui est très bien amenée. La nature qui s'effondre correspond à l'effondrement de cet homme et à ce qui se passe dans sa tête. Pourquoi meurt-il d'une crise cardiaque ? Il y a un trop en lui. Comme pour une falaise, arrive un moment où ça doit s'écrouler.

Le sujet de la rivalité féminine, trop souvent amené quand il est question d'une trahison amoureuse, est habilement contourné...
Nathalie Richard : C'est plus juste, plus large. Toutes les deux sont en plein bouleversement. A cause de la mort de son mari pour l'une et de son déménagement pour l'autre. Mary et Geneviève sont dans des moments critiques et se confrontent aussi parce qu'il y a ce fils au milieu. La position de mère de Mary et la fascination que peut avoir ce jeune adolescent pour essayer d'être avec son père font qu'elle a finalement beaucoup plus de force et de pouvoir sur lui que Geneviève. Cette dernière ne sait plus comment faire avec ce jeune homme, ne pouvant pas lui révéler la vie de son père.

Nathalie Richard et Joanna Scanlan dans "After Love" © RÅN studio / Rezo Films

Qui est-elle, Geneviève ?
Nathalie Richard : Geneviève se trouve en période de crise. Elle change de vie, elle a un amant. Et il y a cet enfant qui subit le silence de ses parents. Chaque personnage du film a besoin d'un moment d'éclaircissement. Cette femme essaie de tout tenir balloté jusqu'à la venue d'une étrangère chez elle. Il y a une vérité dans la relation mère-fils à ce moment-là. C'était intéressant de raconter la nécessité de l'altérité quand tout vacille. Le film raconte cet instant où tout ce qu'on a fait, construit, s'écroule. Comment fait-on quand tout s'en va ?

Comment s'est passé le tournage, quand on sait que le film est très personnel pour le réalisateur ?
Nathalie Richard : Sa manière de filmer est très précise. Aleem connaissait très bien son sujet. Son papa est pakistanais, sa maman anglaise. Elle s'est convertie aussi. Je savais de quoi il parlait et sa manière de diriger ne jouait pas que sur l'intime, mais également sur de vraies connaissances de cette double culture.

Le métier de comédienne amène-t-il aussi à vivre une sorte de double vie ?
Nathalie Richard : Mes rôles sont forcément présents, parce que quand on joue au théâtre, on les incarne tous les soirs. Les textes imprègnent l'esprit et le corps, les façons de bouger parfois. Il y a un léger déplacement en moi. Surtout parce que la force des sujets et la façon dont le film est mis en scène ouvrent un espace où se développer. Parfois, je me sens trop étriquée au cinéma par rapport au théâtre et il faut trouver comment faire pour que cela reste en faveur de l'image.

"La base c'est d'être juste"

Qu'est-ce que le théâtre vous apporte que le cinéma ne vous apporte pas et inversement ?
Nathalie Richard : Ce n'est pas le même temps, pas la même pratique, pas la même écriture non plus. Au théâtre, il y a un vrai travail du mot, du phrasé. J'ai un goût pour la boîte en tant que spectatrice. J'ai envie de savoir ce qui se passe là-dedans, jouer des artifices, mais le cinéma le peut aussi. Bertrand Mandico en joue beaucoup. Avec Aleem, j'ai retrouvé une rigueur de narration, de prose, qui m'a beaucoup plu.

Aborde-t-on les personnages de la même manière ?
Nathalie Richard : Au théâtre, on répète quand même deux mois avant. Au cinéma, même si on répète aussi, il est courant de faire des lectures pour ajuster les choses. Quand on accepte de faire un film, il y a parfois un mois qui se passe, pendant lequel j'ai le temps de travailler les scènes de mon côté. On n'y va pas tous les soirs, mais quand on sait qu'on a que 15 jours pour tourner, on n'a pas le choix que d'être concentrée. Au théâtre, le spectacle n'est jamais vraiment le même. Au cinéma, si on trouve que ce n'est pas bien, le montage apporte parfois une cohérence. La seule chose, c'est de toujours être juste. C'est la base.

Qu'est-ce qui vous plaît dans le cinéma ?
Nathalie Richard : J'aime quand un réalisateur a une vraie vision de cinéma, qu'il propose un monde. Avec Bertrand Mandico par exemple, c'est baroque, il vous amène là où vous ne vous attendiez pas forcément. J'observe une différence entre le cinéma des années 80/90 et 2000. Les choses ont beaucoup changé. Dans Haut bas fragile de Jacques Rivette par exemple, on sent que le hors champ du film est un monde beaucoup plus calme que le nôtre.

Joanna Scanlan et Nathalie Richard dans "After Love" © Rezo Films

Comment avez-vous vu évoluer le milieu ?
Nathalie Richard : Comme j'ai vieilli, ce n'est plus tout à fait pareil non plus… Je ne serai plus maman, je serai grand-mère à l'écran et il n'y a pas de souci. Heureusement que j'ai toujours la chance de travailler avec des gens qui sortent des conventions. Certaines actrices placent la barre de l'invisibilisation féminine à 40 ans, moi je dirais 50. L'écriture joue un rôle à ce niveau. Dans le cinéma d'avant, il y avait un plus grand mélange de générations. Aujourd'hui, il y a beaucoup de jeunes gens. Il faudrait voir pour recréer ce mix. Au théâtre par exemple, c'est très beau de voir quelqu'un de 70-80 ans sur scène. Il y a une sorte de sagesse géniale à cet âge-là. Il est aussi question de représentations des corps. Avec Bertrand, je fais des trucs fous à 58 ans ! L'âge, c'est vaste, et si on tente de raconter autre chose des rapports entre hommes et femmes, peut-être qu'il y aura plus de possibilités.

Trouvez-vous que les choses ont bougé depuis Metoo ?
Nathalie Richard : J'ai déjà entendu qu'aujourd'hui, il fallait faire attention, qu'un plan qui remonte le long des jambes d'une femme pouvait être perçu comme sexiste. J'ai un souci avec ça. Tout dépend de comment c'est fait. Cela peut être très beau, tout comme les scènes de nu. Pour Bertrand Mandico par exemple, les femmes sont des sortes de figures. Je suis souvent à poil dans ses films et pourtant je ne me suis jamais sentie aussi bien habillée que nue face à sa caméra ! Il y a un truc performatif, le corps dépasse la simple question de l'image de la femme. Faire bouger les choses d'accord, mais attention à ne pas perdre la folie, la désinvolture, le risque. Comment montre-t-on ce qui ne va pas si tout est propre et net ? Notre rôle est de représenter les écueils, les partition, les violences… C'est à nous d'assumer, même s'il faut le faire avec élégance et humanité. Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini n'aurait jamais existé dans ce cas, alors que c'est l'un des plus beaux films qui soit de réflexion politique. Pour revenir à After Love, la scène où Mary se déshabille est importante. Il montre une multiplicité de regards et c'est justement ce qui est beau dans le cinéma.