Zita Hanrot : "J'aime avoir des névroses et des obsessions"

Eblouissante sous les traits d'une lanceuse d'alerte, Zita Hanrot crève l'écran dans "Rouge", le second long-métrage de Farid Bentoumi, en salles le 11 août. Elle porte cet imparable thriller écolo avec ce mélange de force et de fragilité qui fait d'elle l'une des meilleures actrices de sa génération. Rencontre.

Zita Hanrot : "J'aime avoir des névroses et des obsessions"
© Jacques BENAROCH/SIPA

Depuis sa révélation en 2015 dans Fatima de Philippe Faucon, qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin, Zita Hanrot balade son talent d'auteur en auteur. De Fabrice Gobert à Patricia Mazuy en passant par Zabou Breitman, son talent n'échappe à personne et la place, plus que jamais, au centre de l'échiquier. Preuve en est avec son rôle dans Rouge de Farid Bentoumi. Elle y incarne une jeune femme recrutée en tant qu'infirmière dans l'usine chimique qui emploie son père (Sami Bouajila). C'est à travers ses yeux que le spectateur vivra le dilemme qui va vite l'assaillir : dénoncer les pratiques douteuses des lieux ou perpétuer l'omerta qui encapsule tout. Investie dans ce rôle comme rarement, Zita Hanrot, qui a récemment rencontré un franc succès avec la série Plan Coeur sur Netflix, s'est confiée au Journal des Femmes. Entretien. 

A ses prémices, le scénario privilégiait une relation père-fils. Farid Bentoumi a finalement remplacé le fils par la fille et a directement pensé à vous. Vous a-t-il dit pourquoi ?
Zita Hanrot :
C'est vrai. Quelques mois avant le début du tournage, il a changé le genre du personnage en suivant sa première intuition. Il travaillait sur Rouge au moment de la sortie de Fatima. C'est en me découvrant dans ce film de Philippe Faucon qu'il m'a proposé le rôle. Il m'a dit qu'il avait vu dans mon regard quelque chose qui ressemblait à celui de Sami Bouajila, qui incarne mon père et pour lequel il avait écrit le rôle. Il trouvait qu'on avait un sourire semblable, franc et lumineux et s'est dit qu'on pourrait faire partie de la même famille. C'est intéressant de voir ce qu'on peut dégager sans s'en rendre compte. Là, on parle d'un truc physique qu'on ne peut pas maîtriser ou contrôler.

Qu'est-ce qui vous a directement emballé dans le rôle de Nour ?
Zita Hanrot :
En réalité, c'est d'abord l'histoire qui m'a attirée. Je trouve la peinture de la relation père-fille très émouvante. C'est ce qui m'a fait entrer dans le récit, un peu comme le spectateur d'ailleurs. J'aime le fait que Nour regarde ses parents comme des individus et plus comme des espèces de héros. Ça me plaisait cette thématique du départ de l'enfance. A l'aube de la trentaine, il y a quelque chose de cet ordre, un regard moins fantasmé sur la famille, les parents, d'où on vient, l'héritage… Nour développe son propre regard, ses propres convictions… Tout ça m'a sauté aux yeux au-delà du côté actuel du récit. C'est un scénario très fourni, avec plein des choses à défendre, à raconter, des strates, des grilles de lecture, à l'image des poupées russes. Il y avait tout de suite cette force romanesque. Ce que j'aime aussi, c'est le fait de partir d'un sujet sérieux et grave -sans jamais être dans la moralisation- au cœur duquel Farid Bentoumi apporte du divertissement. Rouge a une vraie ambition de cinéma, notamment dans son mariage des genres. Il est à l'américaine dans l'inspiration tout en étant très Français.

Zita Hanrot et Sami Bouajila dans "Rouge". © Ad Vitam

Nour a beau être adulte, elle est toujours vue par son père comme une petite fille. Avez-vous déjà expérimenté ce type de regard ?
Zita Hanrot :
En général, ce qui me touche intimement, j'en parle à travers mes choix artistiques. J'ai souvent des projets qui me permettent d'exprimer mon point de vue, avec des films ancrés dans la société. Mais pour répondre à la question, on a tous ça. Il faut à un moment s'arracher de sa famille pour y revenir, comme une renaissance. C'est douloureux à faire. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'on abandonne ceux qu'on aime, au contraire. C'est important de se construire sans le poids du regard, sans la place qu'on nous donne dans la famille… En lisant le scénario de Rouge, je me suis dit que ça parlait de choses qui m'intéressaient et me touchaient à ce moment de ma vie.

"Il faut à un moment s'arracher de sa famille pour y revenir, comme une renaissance"

Nour incarne une génération qui a la lourde tâche d'ouvrir les yeux de ses aînés. Comme elle et à votre échelle, êtes-vous une potentielle "éveilleuse" de conscience ?
Zita Hanrot :
Aujourd'hui, on se rend compte que certains comportements qu'on pensait acceptables par le passé en se disant "peut-être que je suis chiante, que je manque d'humour face à certaines blagues" etc. sont tout simplement intolérables. Dénoncer systématiquement ces dérives verbales et comportementales est un devoir citoyen, un devoir qui appartient à tout le monde, à toutes les générations. Il y a encore beaucoup de progrès à faire, des personnalités sont encore à des postes décisionnaires tout en étant mises en examen pour des abus sexuels. Cela pose question, nous devons rester vigilants.

Être lanceur d'alerte, ça plonge aussi dans une profonde solitude… 
Zita Hanrot :
Est-ce que j'ai le courage d'être seule face au pouvoir ? Bonne question… Très bonne question, même. Je ne sais pas si j'aurais eu le courage de Nour… Rien ne la prédestine à être lanceuse d'alerte, elle refuse cette place tout au long du film. Ce n'est pas une héroïne militante, ça lui tombe dessus, elle n'était pas préparée pour ça. Le courage, elle l'a aussi parce qu'elle ne sait pas ce qui l'attend.

Avez-vous un côté militant ?
Zita Hanrot :
Probablement... Mais je n'aime pas l'injonction de prise de position immédiate que demandent les réseaux sociaux. Par exemple, les questions de la place des femmes, de la couleur de peau sont d'abord intimes, toujours en mouvement en moi... Elles demandent réflexion. Peut-être écrirai-je un jour un film sur ces sujets mais certainement pas sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas l'endroit ou l'outil d'expression qu'il me faut. Ces sujets méritent plus de temps pour être digérés.

"Je n'aime pas l'injonction de prise de position immédiate que demandent les réseaux sociaux"

Revenons sur la composition de votre personnage… Avez-vous repensé à l'approche documentaire de Fatima ?
Zita Hanrot :
Sûrement de manière inconsciente, les projets et les façons de travailler étant différents. Fatima, c'était mes débuts. Depuis, il s'est passé plein de choses : ma façon de bosser a évolué. Je me suis rendue compte il y a peu que je faisais beaucoup de personnages qu'on voit travailler : prof dans La Vie Scolaire, infirmière dans Rouge, gendarme dans Paul Sanchez est revenu !, etc… Pour ces rôles, j'ai approché des CPE, j'ai fait un stage à l'hôpital, j'ai rencontré un lanceur d'alerte, un infirmier urgentiste, j'ai passé du temps chez les narcotiques anonymes… Tout ça me permet de comprendre les enjeux des boulots, leur rythme, les frustrations qu'ils charrient, les impuissances qu'ils imposent… Mais aussi ce qui pousse une personne à faire tel ou tel métier… J'aime comprendre de quoi je parle pour être juste et crédible. Après au-delà de ça, les dialogue de Rouge sont super bien écrits et ça aide. Je n'ai jamais changé une ligne de mon texte car tout allait bien dans la bouche.

Dernière chose : vos parents se sont rencontrés aux Beaux-Arts… C'était mektoub le cinéma pour vous ?
Zita Hanrot :
(rires) Ils font des métiers que je ne pourrais pas faire. Ma mère est artiste et graphiste et mon père est graphiste et illustrateur de livres d'arts. Même s'il n'y avait pas d'acteur ou d'actrice dans la famille, on retrouvait cette fibre artistique, cette envie de création, ce vrai espace de discussion à la maison... Ils font tous un métier de création, un métier qui fait qu'on questionne les choses. C'est passionnant de s'isoler, de creuser dans sa tête et chercher à mettre en forme une pensée. En tant qu'actrice, j'aime avoir des névroses et des obsessions que je transforme en art. Plus ça va, plus je suis heureuse de faire ce travail ; je me dis que j'ai de la chance.