Anaïs Demoustier : "J'ai une tendance à la rapidité"

Anaïs Demoustier prête son prénom et son jeu à une jeune femme débordante, amoureuse, obstinée et d'une fraîcheur folle dans "Les Amours d'Anaïs", de Charline Bourgeois-Tacquet, au cinéma le 15 septembre. Dans cette comédie romantique vaudevillesque, l'actrice césarisée irradie l'écran pour questionner le désir, le temps qui court et l'angoisse de la tristesse. Interview.

Anaïs Demoustier : "J'ai une tendance à la rapidité"
© Mirco Toniolo/AGF/SIPA

Anaïs Demoustier est l'amante de Valeria Bruni Tedeschi et de Bruno Podalydès dans Les Amours d'Anaïs, de Charline Bourgeois-Tacquet, en salles le 15 septembre. Dans la continuité du court-métrage Pauline Asservie, de la même réalisatrice, l'héroïne de ce premier long-métrage nous embarque à vive allure dans une quête d'amour jouissive, hors des clichés. L'étudiante en hypokhâgne a changé de prénom entre la version courte et la version longue, mais a gardé son rythme effréné, ses pensées balancées tout haut, son désir de vivre, d'aimer, d'être partout à la fois. Un peu à la manière de son interprète, vue chez Haneke, Ozon, Tavernier, Donzelli, Dupieux… Et attendue dans 6 films prochainement. Avec plus de 40 longs-métrages à son actif et un César pour son rôle de philosophe dans Alice et le Maire, Anaïs Demoustier semble aussi inarrétable que son double fictif. Rencontre.

Ce rôle est le prolongement de celui du court-métrage Pauline Asservie. Quelle a été votre contribution dans la construction du personnage ?
Anaïs Demoustier
 : Lorsque nous avons décidé de poursuivre notre collaboration avec Charline Bourgeois-Tacquet, après le court-métrage, je lui ai demandé de ne pas oublier ce qui était génial chez Pauline : ses aspects excessifs, si déconcertants. C'est elle qui a écrit le scénario, mais je l'ai orientée vers la comédie car je ne voulais pas qu'Anaïs perde sa drôlerie et sa légèreté à la faveur d'une histoire d'amour. Quand il y a une intimité, c'est génial de pouvoir discuter avec le réalisateur de ce qu'on veut raconter à travers le film. Plus que de jouer, je crois que c'est la partie que je préfère dans mon travail.

"Je ne me trouve pas si intéressante"

Qu'avez-vous mis de vous dans cette Anaïs de cinéma ?
Anaïs Demoustier : Les communications entre les rôles et notre personnalité sont un peu mystérieuses, mais il y a toujours un peu de nous. Là, il y avait plus de points communs que d'habitude. Dans la vie, je parle très vite, je suis assez tonique, rapide, ce qui pousse souvent les réalisateurs à me calmer. Pour ce rôle, j'ai pu accentuer ça et me rapprocher de mon rythme habituel. Je peux aussi me poser les mêmes questions qu'elle : jusqu'où on assume ses désirs, sa soif d'absolu, son coté idéaliste ? Je suis aussi exigeante qu'elle avec la vie. Je ne veux pas me contenter de peu, je veux une existence très grande et très belle. Je suis aussi une amoureuse, j'ai l'impression que tout le monde l'est, mais peut-être pas ?

La réalisatrice a donné votre prénom à son personnage pour brouiller réel et fiction. Ce flou artistique avec l'actrice est-il angoissant ?
Anaïs Demoustier : Cela ne me fait pas peur du tout parce que je sais qui je suis. Je ne suis pas dépossédée par les rôles, mais je suis surprise de voir à quel point les gens veulent savoir ce qui vient de moi. Je ne me trouve pas si intéressante, contrairement aux fictions, aux personnages, à ce que racontent les films. A chaque nouveau rôle, je m'attache à comprendre qui est cette personne, même quand elle est éloignée de moi. Ces interrogations sur les êtres humains m'apprennent à mieux me connaître. C'est la richesse de ce métier.

Anaïs Demoustier dans "Les Amours d'Anaïs" © Haut et Court

Vous êtes-vous déjà étonnée grâce à un rôle ?
Anaïs Demoustier : Les metteurs en scène avec qui j'ai l'habitude de travailler me font parfois des surprises. Quand Guédiguian, avec qui j'ai tourné plusieurs fois, m'a proposé de jouer une fille très en colère dans Gloria Mundi, je lui ai dit "tu penses que je peux faire ça ?!" et il m'a répondu que oui. Il avait raison. Les gens perçoivent des choses de moi que je ne peux pas saisir. Comme quand mon frère m'a fait jouer une avocate générale dure, rigoureuse, dans La Fille au bracelet. Il avait bien vu, j'ai adoré jouer ce rôle. J'ai du plaisir à me fondre dans des personnages qui me racontent des espaces de moi restés inexplorés dans ma vie personnelle.

A 30 ans, Anaïs semble ne pas être d'accord avec les questions induites par son âge. Comme si elle devait davantage rendre de comptes sur sa manière d'être et que ça ne lui plaisait pas…
Anaïs Demoustier : Elle a quelque chose d'adolescent par rapport aux autres, elle n'a pas résolu toutes les questions. C'est comme s'il fallait avoir tout coché pour être un adulte complet, alors qu'elle est toujours en mouvement, en recherche, elle est dans une sorte de conquête. Elle assume qu'elle ne sait pas certaines choses. Elle est libre dans ses interrogations.

"J'aimerais bien incarner une religieuse..."

Avez-vous perçu vos 30 ans comme un virage, vous êtes-vous interrogée sur vos choix de films ?
Anaïs Demoustier : Je suis mes envies depuis mes débuts. Ce qui me conduit vers un film est très instinctif. Ma seule volonté consciente était de ne pas m'enfermer toujours dans le même rôle. J'ai fait attention à varier les plaisirs dans les genres aussi. Je n'ai pas de problème à aller d'un type de personnage à un autre, mais je suis heureuse de voir que plus je vieillis, plus mes rôles ont de l'épaisseur. J'ai beaucoup joué les jeunes filles parce que je faisais longtemps plus jeune que mon âge, alors je suis contente d'atteindre des propositions plus matures.

Y a-t-il un rôle que vous rêveriez de jouer ?
Anaïs Demoustier : Je n'ai pas envie de jouer tout court, mais pour quelqu'un, autour de la réflexion d'un réalisateur. Malgré tout, j'aimerais bien incarner une mystique, une religieuse. J'ai l'impression qu'il se passe quelque chose d'invisible quand on croit en quelque chose. Comme quand on joue la comédie, c'est de l'ordre de l'impalpable.

Denis Podalydès et Anaïs Demoustier dans "Les Amours d'Anaïs" © Haut et Court

La question du female gaze revient beaucoup dans le débat autour de la place des femmes au cinéma. Dans les Amours d'Anaïs, où le désir et la sensualité sont au centre de l'histoire, comment l'avez-vous perçu, ce regard de réalisatrice ?​​​​​​​
Anaïs Demoustier
 : Faire un film, c'est faire des choix. La place de l'actrice est géniale pour ça, on accepte de rentrer dans le délire de quelqu'un d'autre. J'ai toujours travaillé avec des hommes bienveillants et subtils. Tous les réalisateurs que j'ai eu la chance de rencontrer ont été délicats avec moi, avec le désir, avec la nudité. Le fait de tourner des scènes d'amour avec Valeria Bruni Tedeschi avec une femme derrière la caméra m'a peut-être mise encore plus en confiance. Comme Charline est de la même génération que moi, je me sens forcément plus proche d'elle.

© Haut et Court

Faites-vous attention à l'image des femmes que renvoient vos rôles ?
​​​​​​​Anaïs Demoustier : J'aime bien jouer des femmes moteurs. Cela ne m'intéresse pas d'être une muse, une femme à regarder, un objet… En même temps, je n'ai pas du tout le physique pour ce genre de rôles, donc on ne m'en a jamais proposé. J'ai d'ailleurs déjà dit à un réalisateur que les femmes dans son film n'étaient pas terribles… et il l'a réécrit ! Mon désir va vers des personnages qui prennent la parole, qui sont dans l'action, qui avancent dans plein de domaines différents. Cela peut paraître très léger, comme dans La pièce rapportée, mais rester un rôle complexe.

"J'essaie de me calmer un peu"

Anaïs court sans arrêt. Elle est constamment en mouvement. Contrairement à elle, savez-vous vous poser, prendre le temps d'apprécier les choses ?
​​​​​​​Anaïs Demoustier : Je me force à le prendre parce que j'ai une tendance à la rapidité. Au CP, ma prof m'appelait Speedy Gonzalez ! A vouloir aller trop vite, je faisais des fautes d'inattention. Elle avait raison, je m'en suis rendu compte plus tard. Alors maintenant j'essaie de me calmer un peu, de me dire que c'est bien de prendre le temps. La contemplation m'aide beaucoup, j'adore observer ce qui m'entoure, me rapprocher de la nature.