Avec BONNE MERE, Hafsia Herzi signe un puissant drame naturaliste

En salles le 21 juillet, "Bonne Mère" confirme tout le talent de mise en scène de l'actrice Hafsia Herzi, deux ans après son remarquable "Tu mérites un amour". Dans son Marseille originel, elle y dresse le portrait d'une mère de famille qui tente de maintenir sa smalah à flot malgré la dureté du quotidien. Voici trois bonnes raisons d'applaudir ce projet.

Avec BONNE MERE, Hafsia Herzi signe un puissant drame naturaliste
© SBS Distribution

Bonne Mère : Portraits de femme et de société

Nora, la cinquantaine commençante, se réveille à l'heure où tout le monde dort, où les hommes ne sont que silence et fragile accalmie. Elle a le temps d'un café, l'œil à la fenêtre, guettant les bâtiments encore endormis de sa cité, au nord de Marseille. Lorsqu'elle sillonne la rue, elle est presque seule. Tout juste un chat qui passe une tête. Tous les jours, ce même chemin qui la mène à l'aéroport, où elle exerce le métier de femme ménage pour une compagnie aérienne. Son quotidien, dur et pesant, est aussi celui de tant d'autres travailleurs silencieux, qui mettent déjà la main dans le cambouis quand le reste de leurs congénères émerge à peine. Nora est comme ça. Une mère-courage qui élève ses enfants à bout de force et qui ne compte pas ses heures pour subvenir à leurs besoins. L'aîné est en taule, le plus jeune est instable et, entre ces deux frères, se positionne une fille en colère qui s'apprête à utiliser son corps pour gagner sa vie. Pour son second film en tant que réalisatrice, Hafsia Herzi réussit un formidable double portrait : celui d'une mère dont le dévouement et la beauté représentent un porte-drapeau idéal pour toutes les mamans du monde et celui de tout un pan de la société, asphyxié, plongé dans la pauvreté et le désœuvrement.    

Halima Benhamed, une actrice en or

Elle est le yin et le yang du projet, son poumon, sa lumière et sa raison d'être. A vrai dire, tout reposait sur ses gracieuses épaules d'ex-danseuse classique. Dans la peau de Nora se cache en effet une femme discrète et émouvante: Halima Benhamed. Néo-actrice, elle ne faisait qu'accompagner sa fille au casting de Bonne Mère quand Hafsia Herzi a immédiatement perçu sa cinégénie, son élégance. Et elle a bien fait d'insister pour lui confier le rôle principal de ce drame familial et naturaliste. De tous les plans, l'intéressée, elle-même résidente de Marseille depuis plus d'une vingtaine d'années, séduit par son naturel déconcertant et ce regard si émouvant qu'elle pose sur le monde et sur sa famille. Il ne suffit d'ailleurs que d'un plan, le premier, pour comprendre qu'on l'aimera, qu'on l'accompagnera et qu'on vibrera au moindre de ses pas. En confiance, elle a réussi à insuffler à ce personnage principal ce qui fait le sel de son éducation : un mélange de tendresse et de fermeté (celle du père absent quand la mère est seule au foyer, ce qui n'est pas son cas dans la vraie vie). Depuis Mommy de Xavier Dolan ou Fatima de Philippe Faucon, la Bonne Mère de Hafsia Herzi est l'une des plus émouvantes vues au cinéma.

Halima Benhamed dans "Bonne Mère". © SBS Distribution

Hafsia Herzi : un héritage kéchichien

Pour Hafsia Herzi, ce projet n'a rien d'anodin. Il sort de ses tripes et de son histoire, puisqu'elle s'inspire également de sa propre mère. Le tournage, en équipe très réduite, s'est fait à l'endroit exact où elle a grandi. Elle a voulu en reconstituer sensoriellement et émotionnellement l'empreinte, la trace, avant que ce décor ne soit un jour voué à disparaître.
Révélée en tant qu'actrice dans La Graine et le Mulet d'Abdellatif Kechiche, elle a appris de ce mentor l'art du naturalisme, l'importance de choper la vie, de saisir l'instant qui traduirait au mieux une vérité transcendante. Dans les scènes de table ou de tension, la filiation est évidente. Celle des frères Dardenne aussi, lesquels ont toujours su immortaliser les petits gestes du quotidien, ceux qui, mis bout à bout, impriment le langage d'un film. C'est ce que fait Hafsia Herzi dès la première scène, avec un habile découpage qui rend compte des habitudes de Nora. Ajoutez à cette équation un zeste de la portée sociale d'un Ken Loach et vous aurez une idée plus précise de ce que représente cette Bonne Mère. Mais, plus qu'un film qui ressemble à, cette œuvre reste celle de son auteure : une jeune femme libre, inspirée, lumineuse, qui avance avec la même pugnacité que son héroïne.