Melvil Poupaud : "Être artiste, c'est un travail sérieux"

Regard de braise, voix suave et sourire taquin, Melvil Poupaud se révèle un interlocuteur irrésistible et enflammé. Désireux d'évoluer, notre fantasme d'adolescente n'a pas eu peur de se brûler les ailes, il a choisi la controverse et parfois la difficulté. Heureusement, ce dandy chic se porte comme un charme. Admirer ses manières et écouter ses mots, voilà qui suscite un enthousiasme difficile à apaiser…

Melvil Poupaud : "Être artiste, c'est un travail sérieux"
© Christophe Ena/AP/SIPA

Trentenaire posé désireux de changer de sexe dans Laurence Anyways de Xavier Dolan ou récemment serial killer dans la série à succès Insoupçonnable, Melvil Poupaud change de visage et se métamorphose en papillon de nuit, fragile et éthylé dans Une Jeunesse Dorée d'Eva Ionesco, en salles le 16 janvier. Rencontre avec un acteur aussi doué que séduisant.

Avez-vous subi une transformation physique pour endosser le smoking et les traits tirés d'Hubert Robert ?
Melvil Poupaud :
Eva Ionesco, la réalisatrice, avait en tête un homme plus âgé et m'a vieilli pour lui ressembler: cheveux grisonnants, petite moustache, regard désabusé et dégaine déglinguée par l'alcool.

Aviez-vous des appréhensions à la lecture du scénario ?
Melvil Poupaud : Les scènes d'ivresse m'angoissaient, elles peuvent être très dures à jouer. Là, elles ne m'ont pas effrayé. Eva me demandait d'aller toujours plus loin dans l'excentricité, donc je finissais par me lâcher.

"Excentrique", voilà un adjectif qui définit parfaitement votre personnage…
Melvil Poupaud :
Hubert Robert est un dandy décadent, un ex-gigolo en vrac qui essaye de cacher sa tristesse dans l'obscurité des soirées parisiennes. Il a dû être flamboyant à une époque, mais tout s'est cassé la gueule. Il revêt d'élégants costumes et sort en boîte pour draguer des jeunettes, mais rien ne fonctionne…

Son couple avec Lucile Wood (incarnée par Isabelle Huppert) décline au point de sombrer…
Melvil Poupaud : Ce type est toujours très amoureux de sa femme, mais ils se sont perdus… Elle est restée une vamp hédoniste, lui s'est noyé dans les paradis artificiels qui l'ont rendu aigri voire violent. Dans le fond, c'est un bon gars qui est passé à côté de sa vie. 

Les excès sont-ils indissociables de la condition d'artiste ?
Melvil Poupaud :
Dans les années 80, faire la fête impliquait un côté romantique et autodestructeur qui laissait place à des moments de grâce et de joie. Cette extrême folie a disparu. Je regrette l'extravagance et le culte de la danse, mais cette exubérance du showbiz n'existe plus parce que les noceurs, à force de se consumer, sont restés sur le carreau… Imaginez qu'ils ne dormaient jamais et se déchiraient cinq jours d'affilée. Sur le plateau, Eva nous disait: "Non, continuez à picoler! Vous avez pris de la coke, maintenant prenez de l'héroïne, ensuite vous fumerez des joints puis vous reprendrez de la coke…". C'était non-stop !

Quelles représentations aviez-vous des Années Palace ?
Melvil Poupaud : 
Je suis fils d'attachée de presse dans le cinéma... J'ai des souvenirs de gosse, vers 8 ans, de mecs dans des états seconds, de starlettes en crises de manque. C'était une faune dangereuse, sauvage. Ma mère a dû faire exprès de nous montrer cette réalité trash à mon frère (Yarol Poupaud, ndlr) et à moi pour nous vacciner et éviter que l'on ne tombe dans ces travers... 

Diriez-vous que vous vous êtes construit sur des valeurs familiales ?
Melvil Poupaud :
Notre père est posé, cartésien, sérieux, pas du tout destroy. Ma mère ne s'est jamais droguée, mais elle avait un penchant pour les gens hors-normes. Elle faisait des films indépendants, travaillait avec des intellectuels, cultivait une sympathie et une curiosité pour les marginaux… Résultat, nous sommes devenus des artistes "sérieux", avec une conscience du travail. 

Vous avez tourné avec des réalisateurs exigeants, on vous a vu dans des rôles très différents, vous signez un album* avec Benjamin Biolay… Vous retrouvez-vous dans cet éclectisme ou tentez-vous de nous perdre ?
Melvil Poupaud :
J'essaye de continuer à faire mon métier, d'y prendre plaisir et de comprendre ce qu'est être comédien en 2020 par rapport à 83 quand j'ai commencé avec Raoul Ruiz… Je m'adapte à un monde en mutation où la télé a pris une place énorme avec de bonnes séries inventives. Je prends davantage de risques dans un projet de TF1 que dans des films d'auteur formatés, vernis Festival de Cannes et CNC… Jouer dans la série Insoupçonnable, m'a vraiment excité, amusé. Le résultat a été apprécié du public, on ne me reconnaît pas pour autant dans la rue… et vous allez me découvrir bientôt en victime d'une prêtre pédophile dans Grâce à Dieu de François Ozon. C'est génial, non ?

La musique semble aussi prendre une place de plus en plus importante dans votre carrière…
Melvil Poupaud :
J'ai toujours fait du rock avec YarolBenjamin Biolay, c'est un autre genre, un truc de copains parce que je l'adore. C'est lui qui m'a proposé ce spectacle intimiste et sobre autour de la chanson française, une tournée de 70 dates, l'Olympia... C'est une grande chance. Je lui suis reconnaissant. Je n'aurais jamais imaginé me produire sur scène à ce niveau, au côté d'un instrumentiste et parolier aussi talentueux et inspiré que lui.  

3 questions aléatoires

Quelle est l'actrice qui vous fait fantasmer ?
Alice Taglioni.  

Qu'avez-vous réussi de mieux jusqu'à aujourd'hui ?
Ma fille (Anna-Livia qu'il a eue avec la romancière et scénariste Georgina Tacou, en 2001). Cela peut paraître cliché, mais elle est jolie, bien dans ses baskets, intelligente, ouverte d'esprit et cultivée. Une gageure pour sa génération !

Citez trois chansons que vous affectionnez et qui pourraient figurer dans la playlist d'Une Jeunesse Dorée ?
Spacer écrite par Nile Rodgers pour Sheila, Psycho Killer de Talking Heads et Emmanuelle de Serge Gainsbourg. 

Une Jeunesse Dorée, au cinéma le 16 janvier. 

*Songbook, de Melvil Poupaud et Benjamin Biolay.