Guillaume Senez gagne la bataille des émotions

Le réalisateur belge Guillaume Senez signe avec "Nos Batailles" un drame familial sensible, sans s'encombrer de superflu. Un tour de force rendu possible grâce à sa vision ultra-réaliste incarnée par un casting bouleversant, Romain Duris en tête. Le cinéaste nous parle de ce film dans lequel une femme abandonne son foyer sans prévenir, laissant son mari et ses enfants totalement au dépourvu.

Guillaume Senez gagne la bataille des émotions
© ALEJANDRO GARCIA/SIPA

Dans Nos Batailles, Olivier doit faire front du jour au lendemain. Un soir, sans explication, excuse ou indice, sa femme Laura ne rentre pas. "Elle s'est barrée", lui fait réaliser son copain flic. Le père de famille va devoir gérer ce bouleversement à la maison tout en menant une lutte syndicale au boulot. Sur le fil, ce papa désorienté est obligé de composer avec la tristesse, la colère et l'incompréhension, sans tirer les siens vers le bas. Ce deuxième long-métrage de Guillaume Senez relève de la pépite : une trouvaille lumineuse malgré la morosité du sujet et la mine déconfite de Romain Duris. On a évoqué la quête de l'émotion, le choix des acteurs et la difficulté de l'équilibre avec celui qui s'annonce comme un maestro des sentiments sur grand écran. 

Le Journal des Femmes : De quoi parle Nos Batailles ?
Guillaume Senez : C'est un film sur l'abandon, sur un mec qui se retrouve seul, mais c'est surtout un film sur la liberté de la femme de partir du jour au lendemain de chez soi sans être condamnée. Quand une mère abandonne le foyer, c'est parce qu'elle va en prison ou qu'elle est morte. Quand un homme quitte le domicile, c'est triste, malheureux, mais ça arrive. Une femme, c'est énormément tabou. Je voulais que Laura continue d'exister dans l'absence et qu'on ne la juge pas. C'était important.

Si Nos Batailles est si réaliste, c'est en partie parce que les acteurs ne connaissaient pas les dialogues avant de jouer les scènes. Comment ça fonctionne ? 
Les dialogues sont écrits, mais je ne les donne pas aux comédiens. Au début du tournage, on commence par improviser et petit à petit, on arrive aux dialogues prévus. Je les guide, on va où je veux, mais ensemble, avec leur créativité, leur ingéniosité. C'est un chouette travail collectif. Ils cherchent leurs mots, ils se chevauchent et la spontanéité jaillit. Le film devient naturaliste. Entre ce que j'ai écrit et le film fini, il y a très peu de différence. Réalisateur et comédiens travaillent de la même façon, en se mettant en empathie avec les personnages, donc c'est normal.

Pourquoi avoir choisi Romain Duris ?
On a beaucoup parlé de mon premier film, Keeper, de comment j'étais parvenu à cette spontanéité et ça l'excitait de travailler comme ça. Il avait envie de changer sa façon de faire, de sortir des sentiers battus. Je l'aime beaucoup en tant qu'acteur, il fait des choix très étonnants. J'ai senti qu'il était capable de beaucoup, que sa créativité allait trouver mon univers. C'est la même chose avec Laetitia Dosch et Laure Calamy. Ils font partie de la même famille de cinéma, celle qui aime travailler sans filet, prendre des risques.

© Haut et Court

Comment êtes-vous parvenu à trouver l'équilibre dans le sentiment sans tomber dans le larmoyant ?
On a essayé de le faire au scénario, mais il faut aussi y veiller pendant le tournage et c'est finalement au montage que l'on trouve la balance entre le boulot, la vie de famille, trop de Laura, pas assez… Je ne voulais pas d'un film analytique ou démonstratif, mais être dans le ressenti, dans le non-dit. Il faut constamment avoir le curseur en tête pour ne pas tomber dans l'évidence, le convenu, le misérabilisme. J'essaie que les spectateurs soient dans l'empathie afin de leur transmettre une émotion. Les costumes, la musique... chaque détail a son importance. C'est facile de sortir les violons pour une scène triste. Dès que c'est trop évident, on bifurque pour briser les codes.

Pourquoi avoir intégré un aspect social dans cette histoire de famille ?
Je voulais que le film parle de la répercussion du travail sur l'intime Quand on rentre à la maison, on ramène nos problèmes, on dort avec, on mange avec. S'il avait été fleuriste, le film n'aurait pas eu le même impact. J'aime tirer le curseur dramatique. Si l'émotion procurée peut nourrir une réflexion, c'est gagné. Mon rôle en tant qu'artiste est de montrer le monde dans lequel on vit, avec sa complexité, sans être didactique.

C'est ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
A 15 ans, j'allais voir du Abel Ferrara quand mes potes choisissaient Jurassic Park. C'était une évidence et pourtant, je n'ai pas grandi dans un monde culturel. Je viens d'une famille plutôt pauvre, j'ai été éduqué par ma mère, rien ne me prédestinait à ça. J'ai beaucoup de chance d'avoir cette passion, quand je vois que certaines personnes ne savent toujours pas ce qu'elles veulent faire de leur vie à 40 ans.

Les festivals comme Cannes, la reconnaissance, c'est important ?
Il y a une chose qui compte par-dessus tout, c'est qu'un film me permette d'en faire un autre derrière. Il ne faut pas négliger ça. La bienveillance du milieu, des critiques, est hyper importante. Mais je n'ai jamais pensé au public, je parle de choses qui me touchent moi, en espérant que ça va plaire. Si ce n'est pas quelque chose de viscéral, je me lasse. C'est tellement dur, ne serait ce que pour financer le film, que si tu n'y crois pas, tu n'y arriveras pas. Il faut être assez déterminé pour ne pas se perdre.

Quel est le plus beau compliment qu'on puisse vous faire ?
Quand les gens me disent qu'ils sont émus. C'est mon objectif de cinéaste. A Cannes, j'ai reçu un message pour me dire que mes enfants m'avaient vu au JT en Belgique. Je me suis effondré, alors que je venais de vivre 15 minutes d'applaudissements de la part de beaucoup de professionnels. Ces moments sont forts, mais aussi tellement frontaux qu'on a du mal à réaliser.

Nos Batailles, de Guillaume Senez. Avec Romain Duris, Laetitia Dosch et Laure Calamy. Au cinéma le 3 octobre.