Pierre Deladonchamps, ses folles années

Dans "Nos Années Folles" d'André Téchiné, en salles le 13 septembre, il interprète Paul Grappe, déserteur qui s'est travesti en femme pendant la première guerre mondiale avant d'y prendre goût et de vivre comme telle dans le Paris des années 1920. Depuis sa révélation dans "L'Inconnu du Lac" en 2013 et sa consécration aux César, Pierre Deladonchamps vit de folles années. Retour à ses côtés sur une filmographie (très) joliment menée et porteuse de projets excitants.

Pierre Deladonchamps, ses folles années
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Guiraudie, Claudel, Lioret. Bientôt Honoré. Aujourd'hui Téchiné ; des cinéastes consacrés qui ont révélé des monstres sacrés. Des grands noms de la réalisation qui ont aussi mis en lumière la nouvelle garde du 7e Art. Cette jeune génération, Pierre Deladonchamps en fait encore partie, bien que sa carrière semble mise en orbite. En atteste son César du meilleur espoir décerné en 2014 pour son premier "grand rôle" à 35 ans. Un âge que son visage juvénile ne trahit pas, même exténué comme il l'est lors de notre rencontre :"J'ai tourné dans le Jura cette nuit, je n'ai dormi que deux heures". On tentait alors la plaisanterie :"Si mes questions vous embêtent, vous me le dites et je remballe tout". Et il a ri, d'un large sourire. Le même que son personnage, Paul, une fois travesti en Suzanne - d'abord pour cacher son identité de déserteur, puis par goût -, maquille de rouge et dont il (ab)use pour séduire ses amants et maîtresses d'une nuit. Au grand dam de son épouse Louise, parfaite Céline Sallette, qui regrette de voir s'éloigner l'homme qu'elle aime au profit de la vamp Suzanne.

Dans le film, inspiré de la vraie vie du couple Grappe, ce passage d'un travestissement forcé par la nécessité de se cacher à une bisexualité et une féminité revendiquées n'est pas montré. "Je peux comprendre qu'il y ait des gens qui soient en manque de ça. Mais c'est volontaire de la part d'André, qui n'a pas voulu que l'on se pose trop de questions sur la psychologie du personnage mais plutôt sur la façon dont il le traversait dans les faits, en laissant la possibilité au spectateur d'imaginer ces périodes", commente celui qui est passé d'homme à femme. Non sans mal.

On ne naît pas femme...

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Il explique : "Le tournage a duré huit semaines. On a tourné les scènes de cabaret la première semaine, dans un Paris caniculaire. Le maquillage coulait, on transpirait, il fallait danser en plus. Ce n'était pas la période la plus marrante, j'aurais aimé des conditions plus faciles, mais on s'en est accommodé. Il y avait des journées où j'étais homme, puis femme, puis homme à nouveau. Et il fallait deux heures de maquillage, coiffure et habillage pour préparer Suzanne". De quoi conforter des idéaux, remettant en cause les schémas établis, qu'il avait déjà : "Les femmes souffrent plus que les hommes dans leurs tenues vestimentaires, le maquillage, les coiffures. On demande plus aux femmes qu'aux hommes. Un homme peut être brut de décoffrage, d'une femme on dira qu'elle se néglige." C'est pour cela que ce rôle d'homme qui se travestit n'a pas questionné l'acteur sur son rapport à la virilité ou la féminité ; c'était déjà chose faite. Il se souvient : "Quand j'étais petit, j'étais plus frêle que les autres, pas le plus costaud et donc pas le plus viril. C'est peut-être ce qui m'a plus facilement amené au métier d'acteur, à la possibilité de me transformer et d'incarner d'autres personnes. La virilité, la masculinité, la féminité, ce sont vraiment des choses qui sont surannées et qu'il faut dépasser. Il faut être qui on est et ne pas vouloir coller à un archétype, car c'est un peu vain". Cette prise de conscience, très précoce, a guidé l'acteur dans ses choix. "Un film doit être nécessaire", assène-t-il.

D'inconnu à incontournable

Libertin, mais énamouré dans L'Inconnu du Lac, résistant sous l'Occupation dans Nos Patriotes, fils à la recherche d'une filiation au Canada dans Le Fils de Jean, ou beau-père désastreux dans Une Enfance, les rôles n'ont pas manqué depuis 2013 et son César. Cette diversité, pourtant propre au métier d'acteur, force l'admiration chez Deladonchamps, qui construit une carrière comme peu le font et avec l'air de ne pas y toucher. Cérébral, mais instinctif, l'acteur use de son corps - à la fois fragile et force de séduction - comme de sa nudité.
S'il est bel et bien habillé face à nous, Pierre ne tient pas en place et mobilise son corps durant les vingt minutes de notre entrevue. Il commence l'interview une jambe repliée contre son torse. Joue ensuite avec sa cigarette. Porte sa main à sa cheville. S'étire gracieusement. Se frotte les yeux de fatigue...
Effrayé à l'idée de faire "un film pop corn" malgré le besoin de travailler, il explique devoir trouver un sens, une nécessité à chacun des scénarios qu'il lit. Pour lui, tout est préférable à l'indifférence, même déplaire ou cliver car"ne pas être aimé c'est provoquer une émotion". Pourtant, dur de lui trouver des détracteurs.

Après André Téchiné, il sera chez Christophe Honoré pour Plaire, Baiser et Courir Vite. Pierre Deladonchamps a remplacé au pied levé Louis Garrel et se glisse dans la peau de Jacques, écrivain et auteur de théâtre à Paris, qui vit une histoire d'amour avec Arthur (Vincent Lacoste), étudiant rennais, dans les années 1990, les années Sida. . En 2018, Pierre Deladonchamps va aussi étonner dans Les Chatouilles d'Andréa Bescond. Ce père d'une fille, âgée d'environ 8 ans, a accepté, non sans difficultés, le rôle d'un pédophile : "J'ai failli dire non. J'avais peur que ça me perturbe trop de faire ces scènes, même si elles ont été évidemment sécurisées et que rien ne se passait." Pour autant, pas question de se priver de projets ou de s'empêcher de participer à des films. Avec sa fille, il essaie "de faire le service après vente" et de lui expliquer quel film elle peut voir et à quel âge. "Pour L'inconnu du lac, j'espère qu'elle le verra le plus tard possible, pas avant ses 18 ans, qu'elle traverse sa propre adolescence sans être perturbée par un de mes personnages" analyse le papa acteur.

Toute première fois

Dans Big Bang de Cécilia Rouaud, celui dont le visage semble fait pour porter la mélancolie va s'essayer pour la première fois à la comédie."C'est ma face plus cachée. Ou peut-être moins apparente, mais que j'aimerais beaucoup développer. J'ai été bercé par la comédie étant jeune. Avec mes parents c'était Nulle part ailleurs, Les Nuls, Les Inconnus. Plus tard pour moi c'était les one woman show de Muriel Robin, les spectacles avec Jacqueline Maillan, plus récemment Florence Foresti. C'est un domaine pour lequel j'ai beaucoup d'admiration parce que c'est très dur". Ce n'est pas un hasard si toutes ses références évoquent les sketchs et les seul(e) en scène, milieu qui le fait fantasmer mais qu'il n'ose approcher de trop près, semblable à une transgression ultime et finale : "Je le ferai à 70 ans quand je n'aurais plus rien à perdre, mais il faudrait que je sois pris par la main. Je le garde sous le coude, parce que j'ai peur. Vraiment très peur de me prendre les pieds dans le tapis" . Si tapis il y a, il sera rouge. Et on sera là pour lui dérouler.