Golshifteh Farahani : "Je ne me considère pas du tout comme un symbole"

INTERVIEW - Dans "Go Home", au cinéma le 7 décembre, Golshifteh Farahani incarne une jeune femme de retour au Liban dans la maison familiale. Un film sensible et délicat, à l'image de la comédienne.

Golshifteh Farahani : "Je ne me considère pas du tout comme un symbole"
© IVIERE/VILLARD/SIPA

Golshifteh Farahani est une héroïne, dont l'histoire pourrait nourrir plusieurs films. Avant de se tourner vers le cinéma, elle s'intéresse à la musique. Elle aurait pu faire le conservatoire, mais ce n'est pas pour elle : "Je n'avais pas la discipline pour devenir soliste. Je ne peux pas m'asseoir 12 heures par jour et jouer, jouer, jouer." La comédienne franco-iranienne s'est attirée les foudres de Téhéran en 2009, après avoir joué dans le film américain Mensonges d'Etat, réalisé par Ridley Scott. Alors que le régime lui interdit de quitter l'Iran pendant six mois, l'actrice parvient tout de même à fuir le pays pour s'exiler en France. Depuis, Golshifteh Farahani s'est illustrée dans des rôles aussi divers que forts. A 33 ans, elle est de retour avec Go Home, au cinéma le 7 décembre. Dans ce drame, réalisé par Jihane Chouaib, elle incarne Nada, une jeune femme dans retour dans la maison familiale au Liban. Une demeure hantée par le souvenir de son grand-père et par un passé sombre. 

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a plu dans le scénario du film ?
Golshifteh Farahani :
Ce que je ne comprenais pas de l'histoire. Et quand j'ai vu le travail de Jihane, ça m'a vraiment intéressé.

Est-ce que votre personnage fait écho avec votre parcours, avec cette thématique de l'exil ?
Pas vraiment parce que le personnage de Nada n'est pas déracinée à l'âge de 25 ans, mais à l'âge de 6 ans. C'est très différent. On est beaucoup plus souple à cet âge là, on s'adapte plus facilement. Moi, je connais très bien mes racines, je n'ai pas besoin d'aller chercher ma maison d'enfance. Le point commun que l'on a c'est qu'elle cherche les fantômes en elle et dans cette maison. Moi aussi, je cherche mes fantômes pour pouvoir avoir la paix.

Votre exil, c'est une chose à laquelle vous pensez régulièrement ?
Quand on perd un bras, on n'y pense pas, on vit avec. La peine, la douleur, la difficulté, c'est tous les jours. L'exil, c'est pareil. C'est avec nous tout le temps.

Le film prend vraiment le temps d'installer son ambiance et ses personnages. Est-ce que c'est quelque chose qui manque dans le cinéma d'aujourd'hui ?
C'est ça le cinéma d'auteur. On donne le temps, on a besoin de temps dans ce monde-là. Le temps, c'est la seule chose que personne ne peut jamais acheter. Les gens qui profitent du temps sont les plus riches de la planète.

Y-a-t-il pour vous, comme pour Nada, une maison qui représente l'enfance ?
Oui, mais tout ce à quoi j'étais attaché est loin de moi, soit détruit, soit loin. On avait une maison d'enfance quand j'étais petite jusqu'à l'âge de 16 ans, une maison de famille avec un jardin.

Ressentez-vous, comme votre personnage, une sorte de devoir envers votre famille ?
C'est différent parce que Nada cherche quelque chose sans savoir ce que c'est, quelque chose qu'elle ne comprend pas. Moi, j'ai compris l'histoire de ma famille. Je ne suis pas obligée d'aller chercher, je connais tous ses secrets. Elle, elle cherche pour pouvoir se connaître elle-même.

Votre prénom de naissance n'est pas Golshifteh, mais Rahavard. Pourquoi ce changement ? 
C'est mon père qui a choisi le prénom Golshifteh. Ca aurait du être mon prénom de naissance, mais le gouvernement n'a pas accepté parce qu'en Iran, on ne peut pas donner n'importe quel prénom. "Golshifteh", ça veut dire "la fleur éprise", "la fleur folle d'amour". Je suis Golshifteh, même si le gouvernement n'a pas accepté.

Vous avez tourné pendant 10 ans au Moyen-Orient avant de tourner à Hollywood. Comment s'est passée la transition ?
En un clin d'oeil. Un jour j'étais en Iran, le lendemain j'étais à Hollywood. C'est comme un flash. Ce n'était même pas une question d'adaptation, c'était comme mettre un éléphant au Pôle Nord. Mais c'est le même travail, jouer c'est jouer, même dans un blockbuster avec 4 caméras et 4 hélicoptères.

Vous êtes la première actrice iranienne à jouer dans une production américaine, depuis la révolution de 1979. Est-ce une fierté ?
Pas du tout. C'est de la chance. Je crois qu'il y a un chemin devant moi. Je n'ai même pas le choix. La décision était déjà prise pour moi.

Votre retour en Iran a été difficile, après le tapis rouge où vous ne portiez pas de voile...
Non, ce n'était pas ça. Le problème était juste de travailler dans une production américaine. C'est ça que le gouvernement n'a pas aimé. Après, c'est devenu de plus en plus compliqué parce que tout ce que je faisais devenait un symbole ou un acte rebelle. J'étais juste en train de vivre ma vie. Je suis un être humain normal à Paris, je ne me considère pas du tout comme un symbole.

Vous avez posé nue pour le magazine Egoïste, ce qui aussi fait polémique en Iran. Vous ne considérez pas non plus ça comme un symbole ?
Je suis une actrice internationale et je suis libre. Je ne suis pas liée à l'ignorance du pouvoir.

Si je vous cite chacun de vos films, que vous évoquent-ils ?
A propos d'Elly.
C'est loin. [Elle réfléchit longuement] C'est loin.
Syngué Sabour. La connaissance sur moi-même et une libération.
My Sweet Pepper Land. La musique et la folie.
Just Like A Woman. La danse et New Mexico, aux Etats-Unis.
Les Deux Amis. L'amour.
Exodus. Apparence. Et j'y ai trouvé un bon ami, avec Joel Edgerton.
Les Malheurs de Sophie. Un film pour l'enfant que j'aurai un jour.
Paterson. Une expérience magique, extraordinaire avec un metteur en scène incroyable. 

© Paraiso Production Diffusion