"Des réactions parfois violentes" : je suis en couple avec une personne borderline

Fabien et Lou sont ensemble depuis 10 ans, leur quotidien est parfois compliqué...

"Des réactions parfois violentes" : je suis en couple avec une personne borderline
© 123rf-halfpoint

Lorsqu'il y a dix ans j'ai croisé le regard de Lou dans un bar, j'ai su toute suite que j'avais envie de passer le reste de ma vie avec elle. Lorsqu'aujourd'hui encore nous nous remémorerons ce moment, nous sommes d'accord pour dire que ça a été un véritable coup de foudre mutuel. Je suis venu vers elle et nous avons passé la soirée à discuter comme si nous nous connaissions déjà. Dernière son look un peu punk, elle laissait transparaître une certaine vulnérabilité et cela m'a beaucoup séduit. Nous avons échangé nos numéros de téléphone et nous sommes ajoutés en amis sur Facebook avec la promesse de nous revoir très vite. Et nous n'avons pas attendu car dès le lendemain nous nous sommes donné rendez-vous pour boire un verre. Très vite, nous nous sommes embrassés et nous sommes allés chez elle. Nous avons fait l'amour avec passion, de manière très intense. Je devais travailler tôt le lendemain et en plus, je n'avais pas avec moi les produits pour les lentilles alors j'ai dû me résoudre à la laisser et à ne pas dormir chez elle. J'ai senti qu'elle le prenait mal ou en tout cas qu'elle avait besoin d'être rassurée sur le fait que j'avais envie de la revoir.

Et de fait, nous ne nous sommes plus quittés ensuite même si étrangement, au début, j'avais l'impression qu'elle avait peur de s'engager affectivement. Elle avait du mal à accepter que je rentre vraiment dans sa vie, elle refusait de se projeter, elle me signifiait qu'elle avait besoin d'espace. Nous avons énormément parlé, elle m'a confié qu'elle avait des troubles du comportement alimentaire, qu'elle était très anxieuse et qu'elle n'avait pas une bonne estime d'elle-même. Des fois, lorsque nous passions le weekend ensemble, il y avait des moments où je la voyais comme s'éteindre, le regard ailleurs et vide.

Pour un mot de travers, elle était capable de retourner une gifle.

Parfois même, elle se mettait à pleurer sans raison apparente. Je tentais de la rassurer… ça ne marchait pas toujours. Ces hauts et ces bas dans son humeur, parfois dans la même demie journée, ne me dérangeaient pas. Je m'y suis habitué et nous avons appris à faire avec et même à s'en amuser. Nous étions (et nous le sommes toujours) très amoureux et très complices. Je m'inquiétais davantage de ce qu'elle pouvait avoir des réactions fortes sinon violentes envers d'autres personnes lorsqu'elle se sentait agressée. Pour un mot de travers, elle était capable de retourner une gifle.

La vie à deux et le mariage

Au bout d'un an, nous avons décidé de vivre ensemble et elle s'est installée dans mon appartement. Rapidement, nous avons décidé de nous marier. Lou continuait d'avoir des crises de larmes, des "moments de vide" et des "jours de chiale" comme elle disait alors. Je mettais ça sur le dos du stress et de la fatigue liés à son travail. Souvent, elle me disait qu'elle avait peur que je la quitte alors que c'était tout sauf dans mes intentions. Comme je n'envoyais aucun signal en ce sens, je ne comprenais pas qu'elle éprouve un quelconque sentiment d'insécurité. Au fur et à mesure des années, j'ai vu Lou se recroqueviller. La pandémie de Covid et les confinements étaient passés par là et je pensais que c'en était la cause. Elle s'est mise à souffrir de douleurs musculaires parfois très intenses sans que les médecins ne trouvent rien. Elle avait beaucoup de mal à dormir, à manger suffisamment et faisait de plus en plus de crises de larmes. Elle était souvent épuisée et refusait les sorties. C'était assez étrange parce que si elle avait des moments vraiment sombres où elle était saisie d'une peur et d'une angoisse violentes - "c'est comme si du goudron m'enveloppait" m'expliquait-elle, elle avait aussi des moments très joyeux, très enthousiastes.

Un jour, elle m'a confié qu'elle avait souvent des idées noires et qu'elle culpabilisait parce qu'elle avait "toutes les raisons d'être bien". Et moi, je culpabilisais de ne pas savoir comment l'aider et je m'interrogeais sur ma capacité à la rendre heureuse. J'avais peur aussi, peur qu'elle se fasse du mal, peur de la perdre. Parfois aussi, faute de la comprendre, il m'arrivait de perdre patience et je m'en voulais.

La pose du diagnostic par un psychiatre

À ce moment-là, Lou a décidé de consulter un psychiatre. Elle en avait déjà vu un certain nombre dans sa vie sans que cela ne l'aide véritablement. Mais elle m'a dit que là, il fallait vraiment qu'elle trouve de l'aide, qu'elle devait faire quelque chose pour ne pas sombrer complètement. Le spécialiste qu'elle a vu s'est montré très à l'écoute et compétent. Au bout de trois consultations, il a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline et lui en a expliqué les mécanismes. En gros, du fait de schémas psychologiques qu'elle a développés très jeune, Lou ressent toutes les émotions de manière très extrême, son image d'elle-même est perturbée, souvent très faible et elle éprouve une grande insécurité sur le plan relationnel. Cela explique aussi bien la sensation de vide qu'elle peut éprouver régulièrement que sa peur du rejet et de l'abandon ainsi que son impulsivité et des comportements qui peuvent parfois la mettre en danger.

J'ai compris que l'amour ne peut pas tout

Pour elle - mais aussi pour moi, l'annonce de ce diagnostic été à la fois un soulagement et une libération. Nous avons pu mettre des mots sur ce dont elle souffrait et mieux comprendre comment elle fonctionnait. Nous avons lu ensemble des articles et des livres sur le sujet et elle a commencé à voir un psychothérapeute spécialisé. Je l'ai rejointe pour quelques séances ensemble afin d'apprendre à l'aider sans sortir de mon rôle de mari et sans me mettre de côté. J'ai compris que l'amour ne peut pas tout.

On ne guérit pas du trouble de la personnalité borderline mais les manifestations peuvent s'atténuer. Et, c'est ce qui se passe aujourd'hui alors que Lou apprend à gérer mieux ses émotions et a accepter de se lâcher un peu la bride quand ça ne va pas très bien. Tout n'est pas rose tous les jours mais je la vois progresser, s'apaiser et trouver un peu plus de stabilité. Nous allons fêter nos dix ans de rencontre. Notre couple est plus fort que jamais. Notre complicité du début ne nous a jamais lâchés mais désormais nous nous comprenons mieux.