Houda Benyamina (Divines) : "On ne me tiendra pas par les couilles que je n'ai pas"

CINEMA - Houda Benyamina a retourné le Festival de Cannes 2016, d'où elle est repartie avec la Caméra d'Or, grâce à "Divines". Son premier film, disponible le 3 janvier en DVD, BRD et VOD, parle d'amour, d'amitié, de spiritualité, de colère. La rage au ventre, la cinéaste l'a aussi, quand elle parle de ses convictions et de son art. Entretien.

Houda Benyamina (Divines) : "On ne me tiendra pas par les couilles que je n'ai pas"
© Diaphana

"On n'a pas le droit d'être fatigué quand on fait du cinéma." Cette phrase, Houda Benyamina l'a prononcée lors de son discours de remerciement à Cannes, après avoir remporté la Caméra d'or. Elle en dit long sur la réalisatrice de Divines, femme de convictions, "laborieuse" comme elle se décrit, humaniste avant d'être féministe. Dans son drame, disponible le 3 janvier en DVD, BRD et VOD, celle qui signe son premier long-métrage met en boîte ses valeurs, ses interrogations et ses émotions. Résultat : une tragédie de banlieue percutante sur deux ados qui rêvent d'argent et de réussite. "Divines", c'est évidemment parce qu'elles sont splendides, mais aussi "parce que Dieu a une part de féminité, pour dépasser les questions de genre". Un film sur le politique et le sacré, sur "ce qui donne un sens à ta vie et la ravit". Houda Benyamina filme l'amour, l'amitié, la spiritualité, l'actu, la jeunesse. Ses modèles ? Pasolini, Scorsese, Blier pour le 7e art ; Mohamed Ali, Jeanne D'Arc, les Lumières pour le reste. Des héros prêts à mourir pour leurs idées. Comme elle, prête à tuer ses maîtres pour nourrir son ciné.

Houda Benyamina © Joel Ryan/AP/SIPA

Le Journal des Femmes : Comment est née l'idée du film ?
Houda Benyamina : En 2005, j'ai vécu les émeutes de l'intérieur. J'avais envie de sortir, de brûler des poubelles et d'exposer ma colère. À cette époque, il n'y a pas eu d'intelligentsia derrière, comme on a pu le voir avec la Révolution française ou mai 68. Peintres, auteurs, réalisateurs ont transformé cette colère en art. J'avais envie de questionner tout ça, d'être connectée à mon temps, de poser les questions qui me semblent étranges.

Vous concentrer sur deux personnages féminins, c'était par revendication ?
Je n'ai pas voulu faire de pied de nez. Le pouvoir et la reconnaissance, deux thématiques du film, ne sont pas l'apanage des hommes. Ces besoins sont humains. En repérage dans les quartiers, j'ai côtoyé une nana qui avait un pouvoir de dingue, qui faisait plier tout le monde, elle avait le regard malin, elle était drôle. C'est devenue Rebecca, la dealeuse.

Trouvez-vous qu'on en fait trop sur le manque de représentation féminine au cinéma ?
Le fait qu'on en parle autant prouve juste où en est notre société. Divines est un événement parce qu'on n'a pas l'habitude de ça. À Cannes, j'ai fait un discours humaniste parce que les injustices me rendent dingue. Quand tu gagnes un prix, le monde entier peut t'entendre, il faut t'en servir.

Le cinéma est-il trop aseptisé à vos yeux ?
Je ne me construis jamais au contre, mais au pour. J'ai beaucoup de films référence. Thé au harem d'Archimède est un chef d'oeuvre absolu, comme Un, deux, trois, soleil de Blier. On me dit que Divines n'est pas un film de banlieue, mais ça l'est. C'est une histoire d'amitié, d'amour, plantée dans un décor de banlieue. Je viens de là-bas et j'adore cet endroit. Il y a mille choses à explorer, c'est un vivier pour les artistes.

Image tirée du film © Easy Tiger

Dans Divines, le personnage principal de Dounia est interprété par votre sœur, Oulaya Amamra. C'était une évidence ?
Je n'ai pas pensé à elle. Oulaya n'a pas eu la même éducation que moi. Elle a fréquenté un collège catholique privé, elle a fait de la couture, de la danse classique, de la natation. Elle était délicate, très féminine. Un peu flipette. Je ne la voyais pas du tout endosser le rôle de la bagarreuse Dounia, qui me ressemble davantage. Puis elle m'a dit "j'ai le droit comme tout le monde de passer le casting. Quand tu donnais tes cours de théâtre et qu'il y avait personne tu comptais sur moi et là non..." Elle a commencé à venir en jogging, elle s'est mise à la boxe, s'est fait virer de son bahut pour aller dans un lycée de secteur. Pendant 10 mois elle était comme ça, elle m'a convaincue. Honnêtement, Oulaya, Jisca et Déborah peuvent facilement être comparées à Depardieu, Al Pacino et De Niro.

Il y a cette incroyable danse entre Dounia et Djigui, plus sexuelle que n'importe quelle scène d'amour...
C'est la scène de cul du film. Il faut apprendre aux mecs à toucher les filles. Ils ne savent pas nous surprendre. Ils n'ont pas le sens sacré du geste. J'ai beaucoup dit à Kevin Mischel : "Ne la touche pas comme si c'était ton canapé ou un chien. C'est elle, le geste doit être en pleine conscience." On fait les choses machinalement, là non.

Il y a aussi des plans filmés à la manière de Snapchat. Comment avez-vous eu l'idée ?
C'était une envie dès l'écriture. Snapchat est intéressant du point de vue de l'egotrip et de la mise en abyme. Grâce à ça, les jeunes sont metteurs en scène de leur propre vie. J'ai voulu que ça devienne un outil cinématographique porteur de sens, de sensibilité. Je fais un film sur la jeunesse, il faut bien que je sois en phase avec ce qu'elle est, sans l'incarner de manière superficielle.

La punchline "t'as du clito", c'est venu comment ?
L'expression "t'as des couilles" m'a toujours énervée. J'ai souvent dit "on ne me tiendra pas par des couilles que je n'ai pas". C'est important de féminiser le courage par le verbe. Mine de rien, ça travaille dans le corps, dans les gênes. Que la punchline "t'as du clito" ait marqué, c'est une petite victoire. On a beau être au XXIe siècle, l'égalité entre les sexes n'est pas atteinte.

Le ressentez-vous dans le cinéma ?       
Quand on dit qu'il n'y a pas assez de films de femmes à Cannes, on ne pose pas les bonnes questions. À la Femis (école nationale supérieure des images de l'image et du son, ndlr), c'est 50/50. Pourquoi on n'existe plus après ? Pourquoi le comité de sélection du Festival de Cannes est composé de 4 hommes ? Personne n'a jamais posé la question. Le visage du cinéma mondial changera quand les femmes y seront représentées. Il faut l'ouvrir.

Regardez la bande-annonce de Divines, d'Houda Benyamina, disponible le 3 janvier en DVD, BRD et VOD :

"DIVINES de Houda Benyamina - Bande-annonce"

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