Michel-Édouard Leclerc, patron au quotidien "punk" : "Je ne me comporte pas comme quelqu'un de privilégié" (exclu)
Il est probablement le patron le plus connu des clients d'hypermarchés en France. Michel-Édouard Leclerc a accordé une interview au "Journal des Femmes" pour lever le voile sur les coulisses du quotidien d'un homme d'affaires de son envergure.
C'est une figure incontournable de la grande distribution, un patron médiatique et apprécié des consommateurs ; ils étaient quasi 20 millions de foyers à avoir fréquenté un magasin Leclerc en 2023 pour faire leurs courses, jouant des coudes avec le grand rival Carrefour. Michel-Edouard Leclerc a bien voulu nous détailler son quotidien de PDG, n'éludant aucune question sur l'argent, la concurrence ou le pouvoir d'achat. Interview exclusive pour Le Journal des Femmes avec celui dont le nom s'affiche sur les devantures de centaines de grands magasins à travers le pays.
À quoi ressemble la journée "classique" du patron du groupe E.Leclerc ?
Ce n'est pas classique. C'est assez punk ! J'anime, un peu comme un chef d'orchestre, un réseau de 700 chefs d'entreprise, hommes et femmes, et leurs équipes. Ils représentent 180 000 salariés et chacun d'entre eux voudrait jouer sa partition. Il faut que je respecte ça parce qu'ils sont chacun sur leur territoire. Donc, mon rôle, dans une journée, ça passe de l'amont de la production des centres Leclerc à l'aval, la relation avec les consommateurs et ce jusque dans les médias, pour être un peu 'évangéliste' de Leclerc. Mon principal rôle, aujourd'hui, c'est que je suis un influenceur à l'interne, de la stratégie de l'enseigne. Dans la prolongation de ça, je représente l'enseigne dans les médias, dans les polémiques ou dans l'expression de ce que je pense...
Ce n'est pas classique. Ça bouge beaucoup. Ce n'est jamais la même journée mais je passe sans arrêt, je suis beaucoup sur le terrain. Je suis dans les magasins ou dans les entreprises, tous les deux jours ! Je peux aller dans un magasin à 2h ou 3h de Paris. Je vais visiter des magasins qui viennent d'ouvrir. Je regarde ce qui est bien, ce qui est beau. Je vais saluer les collaborateurs. Et puis, il y a des réunions plus précises où on me présente des projets, où on discute de projets nouveaux, d'intelligence artificielle, de nouveaux chariots intelligents, modalités de paiement, nouvelles applications...
Est-ce que ça vous arrive de la jouer patron incognito dans les magasins ?
Il y a 180 000 salariés dans les centres Leclerc, je ne les connais pas tous mais ils me reconnaissent tous. J'aime les gens et je pense que je suis un mec généreux. Je n'ai pas oublié d'où je viens et donc, je donne. Je donne de l'attention mais par exemple, quelquefois, ça prend énormément de temps les selfies...
"Je ne me comporte pas comme quelqu'un de privilégié"
Et puis je suis client moi-même, j'ai ma carte Leclerc ! Je suis client au Centre Leclerc de Landerneau [en Bretagne sur les terres familiales, ndlr], celui de Levallois-Perret, un peu aussi à Montparnasse. Maintenant qu'on ne peut plus passer par le centre de Paris, je passe par Montparnasse. Je ne me comporte pas comme quelqu'un de privilégié. Si on me demande une pièce d'identité, je la sors et ça peut arriver. Il y a beaucoup de gens qui croient que je fais du théâtre en payant moi-même à la caisse parce qu'ils s'imaginent que c'est chez moi... Ce n'est pas chez moi, nous sommes une association d'entreprises indépendantes.
Et vous allez faire un tour chez vos concurrents ?
Je vais très souvent chez les concurrents, à la fois dans leurs magasins et sur leur site pour effectuer une veille concrète de ce que font les autres. Moi, je considère qu'il n'y a pas de petits et de grands concurrents, donc je vais chez Carrefour City, regarder s'ils ont changé quelque chose dans les magasins. Je regarde quelle est la valeur ajoutée ou la différence entre deux enseignes. C'est intéressant de voir les produits du monde, les produits français, de regarder les enseignes françaises et les enseignes du monde. Parce que quand tu ne te mets pas en "mode observation" tu ne comprends pas ce qui t'arrive après.
Quel est votre avis sur l'IA ?
Leclerc a passé un accord avec Google et on a Gemini. D'un point de vue professionnel, c'est très bien fait parce que Google garantit de ne pas commercialiser nos propres données et quand bien même on peut puiser dans un pot commun, tout ce que j'y mets, ça ne part pas anonymement ailleurs.
Personnellement, je l'utilise, j'ai 4 ou 5 comptes ChatGPT. Moi, par exemple, j'écris. J'ai des problèmes de mémorisation depuis que je suis tout petit, donc je suis quelqu'un qui découpe les journaux, utilise des Stabilo Boss et grandit avec ça. Je dois avoir à peu près 200 ou 300 carnets mais en fait, si je les scanne aujourd'hui, si j'ai mon IA à moi, je vais avoir la bibliothèque que je suis en train d'externaliser.
Vous connaissez les raisons de ces problèmes de mémoire ?
Oui, je n'arrête pas de dire que c'est génétique et, du temps où je m'en souviens, je n'écoutais pas mes profs à l'école. Par contre, je lisais après mes cours, je lisais beaucoup sur la plage ou à la maison. Je n'ai la mémoire d'aucun cours depuis la plus petite classe jusqu'à la fac ! Je suis un hyperactif et dans ces cas-là on a tendance à se disperser, écrire, coller comme pour faire des craft books [il en possède plusieurs, ndlr]. Je fais ça avec mes Stabilo et j'ai des codes couleurs. J'ai toujours voulu rester un étudiant pas fini.
"J'ai une famille très cosmopolite"
Là où tout le monde dit à ses enfants : 'Sois un adulte', je comprends ça du point de vue de la responsabilité, mais du point de vue de la création, de la disponibilité, de la joie de vivre... Je ne nie pas et ne fuis pas la responsabilité. J'ai quatre enfants, j'ai sept petits-enfants, j'hésite parce qu'il y en a un qui arrive en fait, et j'ai une famille très cosmopolite. J'ai une belle-fille indienne, j'ai une belle-fille franco-marocaine, j'ai un gendre franco-américain, j'ai une femme russo-mongole. Donc, je ne fuis rien du monde.
Quand on a un salaire comme le vôtre, on regarde encore les prix ?
Je suis contre le gaspillage, je ne suis pas un rigoriste de la consommation, mais je n'étale pas et je n'ai pas oublié d'où je viens. Et même, moralement... Par exemple, j'ai des grands crues chez moi. Oserais-je dire que c'est plus les copains de mes enfants et mes enfants qui les sifflent que moi ? (rires). J'aime découvrir les choses, donc je n'ai pas un comportement de classe, je n'ai pas un comportement de catégorie.
J'aime les gens, je ne fréquente pas que mon monde, d'ailleurs je ne fréquente pas mon monde. Mes amis sont mes collaborateurs, mais mes amis sont aussi des gens qui font plein d'autres métiers.
Comment allez-vous faire pour aider les Français à passer un bon Noël ?
Je vais leur offrir des baisses de prix sur un maximum de jouets, de trucs de déco et tout. On a eu des dizaines de réunions, je peux te dire que j'ai mis la pression sur les centres Leclerc qu'ils puissent faire plaisir aux familles du Black Friday et jusqu'à Noël. Je n'ai pas vu la chose simplement en tant que commerçant qui cherche des ventes. J'étais motivé par l'idée qu'on est dans une société aujourd'hui triste, fragmentée et sans fraternité. Je reste où je suis, mais au moins, que plein de choses soient accessibles.
