Aude Rouaux : "Il est impossible d'échapper aux secrets de famille"

Les mystères de notre passé familial nous poursuivent. Le documentaire "Secrets de famille" nous fait découvrir les parcours d'hommes et femmes qui remontent le temps afin de découvrir la vérité sur leurs origines. Ne manquez pas ce long-métrage passionnant, le 23 avril à 20h50 sur France 5. Entretien avec Aude Rouaux, l'une des réalisatrices.

Aude Rouaux : "Il est impossible d'échapper aux secrets de famille"
© Capture d'écran - France 5

Dans le documentaire Secrets de famille, diffusé le 23 avril à 20h50 sur France 5, Aude Rouaux et Marie Garreau de Labarre partent à la découverte de ces hommes et femmes au passé familial lourd et dont l'histoire leur a été dissimulée la plus grande partie de leur vie. Un long-métrage poignant et édifiant qui montre qu'il est difficile (voire) impossible d'échapper aux secrets de nos ancêtres, puisqu'ils seraient gravés… dans nos gènes.
Nous suivons les parcours de Jean-Pierre, fils d'un militaire allemand né durant la Seconde guerre mondiale, Anne-Marie, qui descend d'une lignée de femmes atteintes de maladie mentale ou qui se sont ôtées la vie, et Bénédicte, à la recherche d'une sœur qu'elle n'a jamais connue. Déterminés à percer les mystères de leur arbre généalogique, ils entreprennent un véritable voyage vers leurs racines. Entretien avec l'une des réalisatrices du documentaire, Aude Rouaux.

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de vous pencher sur les Secrets de famille ?
Aude Rouaux :
Avec ma co-réalisatrice Marie Garreau de Labarre, nous avions vu le film Carré 17, dont l'auteur cherche à savoir qui est sa sœur morte en bas âge et pourquoi on ne lui a jamais parlé d'elle. C'est trente ans plus tard, en interrogeant ses parents, qu'il comprend que sa sœur était trisomique. En voyant ce long-métrage et en constatant les efforts que peuvent mettre les gens pour cacher quelque chose, on s'est dit que c'était peut-être un sujet à approfondir et qu'il fallait aborder le côté "transmission invisible". Il s'agissait de s'interroger : Comment intériorise-t-on ces secrets de famille ? Comment les perpétue-t-on de génération en génération ? Comment peuvent-ils ressortir bien plus tard ? Pourquoi certaines personnes sont-elles dans le déni ?

On apprend même que les cicatrices des traumatismes de nos grands-parents ou parents sont inscrits dans nos gènes…
Aude Rouaux :
Exactement, cela a été une vraie découverte. On pensait que ces blessures familiales dont nous héritons se manifestaient dans notre vie quotidienne par le biais de l'inconscient, mais on ne savait pas que ces secrets pouvaient se transmettre par la génétique. Nous nous sommes donc penchées sur ces études, notamment grâce au psychogénéalogiste Emmanuel Ratouis, un fervent disciple de cette pratique.

Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez été confrontée durant la construction du documentaire ?
Aude Rouaux :
Le réel défi a été de convaincre les gens de se livrer, de nous laisser les accompagner dans cette quête vers leurs origines. On touche à l'intime, à la famille, ce que des personnes ont parfois mis 30 ans à enfouir… Ce n'est certainement pas devant une caméra qu'ils veulent parler en premier.

Est-il toujours souhaitable de fouiller dans le passé, d'ouvrir cette boîte de pandore... au risque de se brûler les ailes ?
Aude Rouaux :
Quand nous avons commencé le documentaire, on ne savait pas trop s'il était toujours souhaitable de lever le voile sur une vérité qui fait mal. Au fur et à mesure, en écoutant les témoins, on se rend compte qu'il faut parler, parce que les secrets nous poursuivent, ainsi que nos enfants et petits-enfants. Tout cela se répercute de génération en génération. Il est impossible d'y échapper. Je suis intimement convaincue, après avoir fait ce documentaire, qu'il faut aborder ces sujets, même s'ils sont graves, avec nos enfants (dès lors qu'ils sont en âge de comprendre évidemment). À mon humble avis, à partir de 8-10 ans, il faut commencer à expliquer ce qui s'est passé, le traumatisme quel qu'il soit. Les secrets non dévoilés peuvent faire des dégâts, on s'en aperçoit avec Anne-Marie qui a été confrontée à des cauchemars, des crises d'angoisses, des malaises… avant même de connaître la réelle histoire de sa famille.

Malgré tout, est-il possible de s'affranchir d'un lourd passé familial ?
Aude Rouaux :
On a forcément des tares, mais on peut s'en libérer grâce à des facteurs comme l'éducation. Par exemple, Anne-Marie s'en est sortie parce qu'elle a atterri dans une famille d'accueil qui l'a aimée, qui l'a envoyée à l'école, l'a emmenée chez le psychologue. Avec des soins, de l'amour et de l'attention, on peut s'en sortir.

Quel moment retenez-vous du tournage ?
Aude Rouaux :
Le moment où nous sommes aux archives avec Anne-Marie est très émouvant. Elle y découvre que sa grand-mère s'est suicidée lorsqu'elle a su ce qu'étaient devenus ses parents. Quand on va aux archives, on ne s'attend pas à faire de telles découvertes. Les retrouvailles de Jean-Pierre avec son neveu sont également très touchantes, nous avons ressenti ce sentiment fort de libération et de soulagement.

Avez-vous eu des nouvelles de ces intervenants ?
Aude Rouaux :
J'en ai tous les jours ! Aujourd'hui, j'ai parlé à Jean-Pierre, qui va fêter les 80 ans de sa sœur en Allemagne au mois de juillet. C'est une relation qu'ils ont eu cœur à développer car ils n'ont plus la vie devant eux, donc, ils en profitent. Pour Anne-Marie, c'est plus compliqué : elle est en train de perdre sa maman, mais elle est heureuse d'avoir entamé ce voyage vers ses origines et d'avoir tourné cette page avant que sa maman parte. Quant à Bénédicte, elle attend la sortie du documentaire pour l'envoyer à sa sœur (qu'elle n'a jamais rencontrée, NDLR), c'est un message qu'elle veut lui faire parvenir.

Découvrez le documentaire Secrets de famille, réalisé par Aude Rouaux et Marie Garreau de Labarre, le 23 avril à 20h50 sur France 5, dans l'émission Le Monde En Face. Le programme sera suivi d'un débat animé par Marina Carrère d'Encausse.