Déborah François : "Jouer la folie est un cadeau pour une actrice"

Révélée par les Dardenne, Déborah François s'est imposée à l'écran face à Catherine Frot ou Sophie Marceau. Elle a gagné en popularité dans la peau d'une dactylo aux côté de Romain Duris et en glamour mariée à Guillaume Gallienne dans "Cézanne et moi"... C'est dans les robes élimées et la folie ténébreuse de l'empoisonneuse "Fleur de Tonnerre" qu'elle nous envoûte et révèle l'ampleur de son talent. Rencontre avec une actrice solaire, hypnotique et déconcertante de naturel.

Déborah François : "Jouer la folie est un cadeau pour une actrice"
© Sophie Dulac Distribution

Quels mots choisiriez-vous pour vous présenter à nos lectrices ?
Déborah François : Je suis atypique : spontanément bienveillante, je suis aussi d'une sincérité éprouvante. Très entière, très cash, je n'ai aucun filtre. Quand j'aime, je sais pourquoi, je l'explique et inversement.. Je n'ai pas que des qualités, mais je réfléchis beaucoup. J'ai une forme d'empathie qui me permet de me glisser dans la peau des autres et d'imaginer des émotions.

Quel regard portez-vous sur votre parcours d'actrice ?
Je suis heureuse de fêter mes dix ans de carrière. Cela fait vieille dame qui regarde derrière, mais je suis fière du chemin parcouru. C'était mon rêve de petite fille. Je n'osais l'imaginer et je suis émerveillée d'arriver à le vivre, vraiment. J'ai une chance immense de faire ce métier. J'essaie d'en rester consciente.

Quel prix pourrait-on vous décerner ?
Celui de la plus grosse dormeuse.

Quel compliment vous fait-on souvent ?
J'analyse bien les situations. Je suis observatrice.

Quel métier exercent vos parents ?
Mon père est commissaire à Liège en Belgique et ma mère est animatrice santé. Elle fait de la sensibilisation sur le thème de la contraception ou des infections sexuelles, par exemple.     

Avez-vous déjà été hors la loi ?
Oui, comme tout le monde. J'ai du avoir quelques ivresses sur la voie publique, mais je dois avouer qu'avec un père dans la police, j'étais l'adolescente la plus sage de la ville !

Quel est le plus beau regard que l'on ait posé sur vous ?
Dans l'absolu, je dirais celui de mes parents. Il y a deux raisons de devenir acteur : soit on a été au centre de l'attention et l'on aime ça, soit on n'a pas été assez regardé et on a envie de l'être. Mes parents ont toujours posé sur moi des yeux d'amour, de fierté et d'exigence.

Quelle est la genèse du film et celle de votre rôle ?
J'ai lu le scénario d'une traite, je ne l'ai pas lâché, je suis vraiment rentrée dans ce portrait, attachée à la petite fille puis à la femme. C'est génial incarner un personnage extraordinaire avec un tel potentiel, une héroïne  "borderline", toujours sur le fil, d'osciller entre folie apparente et conscience glaciale, d'exprimer des motivations ignobles de façon assez froide.

© Sophie Dulac Distribution

Qui est Fleur de Tonnerre ?
Il s'agit d'Hélène Jégado, une empoisonneuse qui vécut en Bretagne au XIXe siècle. On a peu d'informations historiques. C'est pour cela que les versions de Jean Teulé et Stéphanie (Pillonca-Kervern, réalisatrice, ndlr) divergent. Chacun peut se projeter, lire son histoire et avoir un avis différent sur cette femme.

A-t-on le droit de penser qu'elle est sous l'emprise d'une force obscure ?
Bien sûr ! Chacun croit en ce qu'il veut : une déviance maléfique qui vient de l'intérieur, une âme noire et possédée ou une menace extérieure. Est-ce qu'elle est une sorcière ? Une schizophrène ? Est-ce qu'elle entend des voix ? Cette liberté d'y voir une pathologie psychiatrique ou un phénomène démoniaque est intéressante.

Fleur de Tonnerre est cuisinière. Elle a cette démarche de faire plaisir... puis de faire souffrir, comme une mère nourricière qui provoquerait le pire...
On estime qu'elle a tué une quarantaine de personnes et qu'il y a eu presque le double de tentatives. Ce qui la motivait, c'était de rendre les gens malades. Ensuite est venue la volonté de donner la mort. C'est presque un syndrome de Münchhausen inversé. Elle crée le mal, atteint à la santé de l'autre, pour attirer l'attention voire soigner...   

Aux fourneaux, les gestes vous étaient familiers  ou les avez-vous travaillés ?
Jean Imbert m'a donné des cours personnalisés, fait répéter des mouvements précis. Merci à lui : j'ai coupé énormément d'oignons, de carottes et de viande... J'ai confectionné des dizaines de ragoûts de bœuf, de soupes de légumes, de gâteaux… Je n'ai pas seulement appris à être un cordon-bleu, j'ai aussi accompagné les visites des psychologues spécialisés dans les criminels et les gens violents.

Vous portez merveilleusement ce premier rôle et vous êtes entourée d'un casting impressionnant..
Il y avait beaucoup d'hommes sur le tournage et nos relations étaient excellentes. Je connaissais le jeu de Jonathan Zaccaï. Il ne m'a absolument pas déçue dans la peau du juge et dans cette confrontation qui est le fil rouge du film. Il fallait trouver un rythme cohérent et pas monotone. Benjamin Biolay était très étonnant en Matthieu Verron, il n'était pas l'amoureux bonne pâte que j'avais imaginé. Il a apporté une nonchalance très élégante qui a habillé à merveille sa passion inhérente.

Est-ce qu'apparaître sans fard à l'écran a été douloureux ?
 Le dépouillement était nécessaire au niveau de l'émotion, du visage comme des costumes. C'était important de m'enlaidir pour cette histoire qui s'écoule sur une trentaine d'années avec des changements physiques, une décrépitude marquée.

Malgré l'évidente nécessité, c'est aussi se faire violence lorsque l'on est une jolie jeune femme...
C'est sûr que cela ne fait pas plaisir. Je me trouvais affreuse, mais je ne voulais pas me cacher derrière des effets ou du maquillage. La folie est à la fois intense et subtile à jouer. Elle peut devenir une démo d'actrice complètement à côté de la plaque si elle est trop démonstrative, trop dans l'hystérie. Ce n'est pas une illuminée qui se prend pour Napoléon, je devais garder une retenue, un certain contrôle.