Astrid Whettnall, authentique et passionnée
Astrid Whettnall est l’héroïne du film de Rachid Bouchareb, “La Route d’Istanbul”, diffusé vendredi 22 avril à 20h55 sur Arte. Elle incarne Elisabeth, cette mère courage qui tente de sauver sa fille partie en Syrie. Rencontre avec une actrice d'exception.
Astrid Whettnall est discrète, mais elle brille par son talent. Elle débute sa carrière de comédienne par un petit rôle dans Vampires de Vincent Lannoo. Une minute suffit pour qu'il la considère comme la "Meryl Streep belge". Il la fait alors jouer dans Little Glory et Au nom du fils, son premier rôle principal, pour lequel elle remporte le prix de la Meilleure actrice au Festival du Brésil en 2014. Astrid Whettnall s'illustre également dans Yves Saint Laurent, biopic de Jalil Lespert et Marguerite de Xavier Giannoli en 2014 avant de croiser la route de Rachid Bouchareb et celle d'Istanbul...
Le Journal des Femmes : Vous incarnez Elisabeth dans le nouveau film de Rachid Bouchareb (Indigènes, 2006), parlez-nous de votre personnage.
Astrid Whettnall : Elisabeth est une femme intelligente qui élève seule sa fille à la campagne. Elle est infirmière rurale, ne gagne pas des fortunes mais vit décemment. Elle est assez pudique, peu tactile mais très aimante. Elle vit sa vie au jour le jour et a une relation tout à fait normale avec sa fille de 18 ans, Élodie, dont elle s'occupe bien et sur laquelle elle garde un oeil. Une adolescente à priori comme les autres jusqu'au jour où Elisabeth découvre que son enfant s'est radicalisé et a décidé de partir en Syrie faire le jihad : un choc d'une violence inouïe. Elle se pose des milliers de questions avant de réagir et de faire confiance à son instinct de mère, de faire son sac et tout faire pour retrouver sa fille.
Comment vous êtes-vous préparée au rôle ?
C'était une préparation à deux niveaux. Avec Rachid Bouchareb, on a beaucoup travaillé sur le scénario en lisant des témoignages dans la presse, en regardant des documentaires. On s'est renseigné sur les contextes politique, social et religieux. Le personnage d'Elisabeth est, quant à lui, impolitique. La nouvelle lui tombe dessus brutalement, elle n'y comprend rien et ce qui m'intéressait surtout, c'était de savoir qui était cette femme, savoir comment étaient ses relations avec le père d'Élodie, son véritable lien avec son enfant et son rapport au monde d'aujourd'hui. Je suis restée très collée à son parcours et à ce qu'elle subissait : l'angoisse de ne pas voir revenir sa fille, d'imaginer un accident, une histoire d'amour jusqu'à apprendre son départ dans l'objectif de faire le jihad.
Pourquoi vous dans La route d'Istanbul ?
J'avais toutes les raisons d'accepter. Rachid Bouchareb est quelqu'un que j'admire vraiment car il dénonce toujours des vérités humaines sans effets de style, avec honnêteté. Et au-delà d'un super scénario, j'ai trouvé le rôle d'Elisabeth magnifique. Elle est courageuse, combattante et authentique. Je m'intéresse souvent à ce que les personnages pensent et non à ce qu'ils disent. Comme dans la vie, on dit des choses et on pense l'inverse. Elisabeth est cash, nette et droite. Elle dit ce qu'elle pense. Et je pense que c'est un film important. Je fais partie des gens persuadés que la culture peut sauver le monde. On peut imaginer que si un jeune regarde La route d'Istanbul, il sera moins perméable au discours des rabatteurs jihadistes qui viennent le chercher et c'est déjà essentiel.
Quel est le message que vous souhaitez faire passer ?
Il y en a plusieurs. Le premier, d'accompagner les jeunes, de les renseigner, qu'ils aient un rapport à la culture, qu'ils lisent un livre ou regardent un film sur le sujet pour les renforcer face à l'endoctrinement. C'est aussi dire aux parents de ne pas couper le lien avec leurs enfants et surtout aider les familles qui sont les premières victimes. Elles vivent ça seules, elles sont stigmatisées. Ce n'est pas bon d'être le frère ou la mère d'un kamikaze. Elles n'ont pas de travail et leur vie part en lambeaux. Plusieurs femmes, qui ont vécu cette horreur, ont vu le film et m'ont dit que ce qui les avait frappées, c'était la solitude d'Elisabeth qu'elles ont ressentie elles aussi. Elles étaient seules face à leurs questions, face au deuil. Elles s'isolent et vivent l'enfer. Il faut les aider.
Qu'auriez-vous fait à la place d'Elisabeth ?
Je ne saurai pas dire, mais je pourrais aller au bout du monde et faire tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver mon enfant. J'espère avoir le courage d'Elisabeth, une femme forte, combattante, qui part vers l'inconnu, dans un monde violent et qui ne se plaint jamais. Elle continue d'avancer et rien ne peut l'arrêter.
Avez-vous eu des difficultés à tourner certaines scènes ?
Même si j'essaie d'être le plus vierge possible sur les plateaux et de remplir mon rôle par les pensées, les peurs et les angoisses du personnage, il y a eu une scène assez difficile : celle où elle "reparle" pour la première fois à sa fille sur Skype. Elle la découvre alors en niqab. C'était comme si c'était ma fille. Mon cœur explosait dans ma poitrine. Je voyais mon adolescente effacée derrière son voile noire, sa féminité volée et envolée. Il y avait de la colère, de l'incompréhension, la supplique de revenir parce que c'est dangereux, tout était mélangé. C'était troublant et je savais que je portais la parole de ces mères et que c'était important de rester le plus authentique et sincère possible.
Comment choisissez-vous vos films ?
Je me tourne vers les réalisateurs, les scénarios et les histoires qui parlent de ce qu'il se passe aujourd'hui. J'essaie de choisir des rôles riches qui m'apprennent des choses et qui me poussent à me poser des questions. Pour La route d'Istanbul, l'histoire était riche, importante, c'était un sujet dont il était important de parler. Rachid Bouchareb est quelqu'un que j'admire tout comme Vincent Lannoo, qui m'a offert mon premier grand rôle dans Au nom d'un fils, dans lequel j'incarne encore une mère, toujours Elisabeth, qui se venge de son fils, victime d'un prêtre pédophile. Ça me paraissait important de faire un film sur le sujet. J'ai eu la chance jusqu'à maintenant de travailler avec des gens passionnés et passionnants. À partir du moment où le scénario me plaît, je fonce.
Vous êtes actrice et scénariste. Avez-vous pensé à la réalisation ?
Non et je pense que je ne le ferai jamais parce que j'aime me mettre au service de l'univers d'un réalisateur et mon métier est d'être comédienne. J'adore jouer, je ne vois pas ce que je pourrais apporter à l'histoire du cinéma. Si un jour, j'ai en tête un sujet qui me tient à coeur, j'écrirai un scénario que j'enverrai à un réalisateur par exemple. J'irai chercher quelqu'un qui transcendera l'histoire par une vision du monde d'aujourd'hui qui est intéressante et qui enrichit le propos du film.
Rendez-vous sur Arte vendredi 22 avril à 20h55 pour découvrir Astrid Whettnall dans La route d'Istanbul de Rachid Bouchareb.
Bande-annonce La route d'Istanbul :