"The Artist is Absent", le documentaire sur Martin Margiela : une histoire de mode et d'anonymat

Ne jamais parler en son nom et s’oublier totalement, ou plutôt se faire oublier, au profit d’un collectif : c’est ça le concept premier Martin Margiela. Ce très obscure designer a été étudié à la loupe par Alison Chernick qui réalise ce court-métrage documentaire captivant intitulé The Artist is Absent signé Yoox Group. Tout d'abord présenté au très réputé festival du film de Tribeca 2015, il y a quelques jours de cela, il est aujourd'hui visible sur la page Youtube de Yoox Group pour le plus grans plaisir des adeptes de Margiela mais aussi pour tous les amateurs de mode, de mystère et de génie.

Durant 11 minutes 50, on découvre - ou redécouvre - les dons de Martin Margiela, que ce soit au niveau de sa créativité mais aussi de sa faculté à "imposer un regard", à "rediscuter le système de la mode" pour "complètement retourner l'histoire de la mode en sa faveur". Images d'archives, témoignages de collaborateurs, d'amis du milieu tels que les couturiers Jean Paul Gaultier et Raf Simons, la journaliste Suzy Menkes, l'historien de la mode Olivier Saillard : voici un film qui vous permettra de mieux comprendre la démarche artistique et sociologique d'un designer pas comme les autres.

Un travail conceptuel :

"Il a montré qu’on pouvait faire des choses avec rien et ça c’est très rassurant pour le monde". 

Cet artiste proche du minimalisme est connu, entre autre, pour s'être associé dans les années 80 au fameux groupe des Six d'Anvers (de l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers) constitué des talents de la mode belge avant-gardiste : Dries Van Noten, Ann Demeulemeester, Walter Van Beirendonck, Dirk Bikkembergs, Dirk Van Saene, Marina Yee. Après ça, Martin Margiela fera ses armes aux côtés de Jean Paul Gaultier avec qui il partage le même ADN de la mode : le besoin de réinterpréter les matières et matériaux, de bousculer les codes de la mode. Ainsi, pour Margiela, tout peut devenir "concept mode". On réutilise du vieux pour créer du neuf en détournant, à la manière des "ready made" de l'artiste Marcel Duchamp. Son talent de designer réside dans le fait de savoir parfaitement bien, comme personne avant lui, déstructurer, déconstruire pour reconstruire.
 

Un désir d'anonymat :

"Il est allé un peu plus loin que tous les autres en disparaissant complètement".

Le grand public ne connaît pas le visage de Martin Margiela, et c'est très bien comme ça. Voilà un artiste qui a su s'imposer, se faire aduler, changer la mode, sans même avoir besoin de se montrer, juste par la force de ses idées et de son travail. Et ce qui était, à l'origine, un désir presque politique de mettre en avant la mode et non son créateur, est devenu par la suite sa marque de fabrique et l'une des clés de son succès : il a "fait de l'anonymat un outil de communication (...) en succédant à une ère de starification des créateurs de mode". 
Et pour dialoguer avec cet axe de communication de l’anonymat, le logo de Maison Martin Margiela n’est autre qu’une série de chiffres très impersonnelle : tout se tient, tout est cohérent dans sa démarche.
Le troisième rouage de cet excès d’anonymat c’est l’idée de masquer le visage des mannequins qui défilent pour Maison Martin Margiela : l’œil n’est donc plus attiré sur une personne au détriment du vêtement qu’elle porte ; le mannequin devient un porte-manteau vivant qui ne fait que sublimer la création. La femme est alors perçu, dans ce contexte précis, comme un concept et non comme personne identifiable. On est très loin des années 90 et de ses top models vedettes qui faisaient vendre par leur nom et leur visage ! Chez Margiela, on regardez le vêtement mais pas celle qui le porte ! Une vraie révolution en somme...