Festival de Pâques d'Aix-en-Provence : Renaud Capuçon et Dominique Bluzet, sur la même longueur d'onde

Ils sont les créateurs du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence. Le violoniste Renaud Capuçon et le directeur des théâtres aixois et marseillais Dominique Bluzet ont accordé leurs visions de la musique classique pour permettre à la cité aux mille fontaines d'accueillir cet événement majeur depuis 2013. Ils nous ont expliqué pourquoi on ne devait pas manquer l'édition 2022, du 8 au 24 avril, que l'on soit expert ou novice.

Festival de Pâques d'Aix-en-Provence : Renaud Capuçon et Dominique Bluzet, sur la même longueur d'onde
© Caroline Doutre

"Le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence n'est pas un catalogue." Renaud Capuçon et Dominique Bluzet, à l'origine de ce rendez-vous printanier de musique classique, insistent sur la notion de rencontre entre public et artistes reconnus mondialement. Du 8 au 24 avril, les notes retentiront dans les lieux sélectionnés par le violoniste et son acolyte, directeur de théâtres incontournables du Sud de la France. Si les grandes stars (Barbara Hannigan, Maria Joao Pires, Yuja Wang, Stephen Kovacevich...)  sont attendues à Aix, c'est avant tout sur les moments de partage que veulent insister les directeurs. Après une année blanche et une édition 100% numérique en 2021, le duo ingénieux a imaginé un retour en grande pompe pour cette année de reconquête des salles.

En plus de la programmation officielle, le Festival se répandra dans la ville via des masterclass ou encore des concerts gratuits avec des associations. Le fait d'avoir touché un public mondial, de Hanoi à Clermont-Ferrand, par les concerts retransmis en ligne a donné des ailes aux organisateurs. "On a fait d'Aix pendant 15 jours la capitale du monde musical !", s'émerveillent-ils. Et même ceux qui n'ont passé que 10 minutes en ligne ont compté dans la balance. Car le leitmotiv de Dominique Bluzet et Renaud Capuçon est avant tout de connecter les gens par le bonheur de l'émotion. Leur objectif est, à terme, de toucher des millions de personnes avec leur événement. Ils nous ont expliqué ce qui leur tenait tant à cœur, et à quoi s'attendre pour cette version 2022.

En quoi le Festival de Pâques est-il un événement incontournable pour les amateurs de musique classique ?
Dominique Bluzet
: L'idée de départ était de créer un rendez-vous, tout en transformant Aix-en-Provence en haut-lieu de la musique classique. Le sens politique, se battre pour son territoire, pour son public, était aussi important que le sens artistique. Je crois que c'est pour cela que notre association, avec Renaud Capuçon, fonctionne. Nous avons réussi à construire l'un des plus grands festivals d'Europe avec un seul mécène fondateur. Aujourd'hui, 6 ou 7 nous soutiennent, mais le CIC est toujours présent à nos côtés et nous offre la chance extraordinaire d'avoir le plus gros mécénat culturel français en matière de spectacle vivant. Notre rendez-vous est incontournable musicalement parce qu'il réunit les plus grands musiciens du monde. Nous avons construit quelque chose qui permet à Aix d'exister d'un point de vue international, en dehors du Festival d'Art Lyrique en été. La ville est devenue un Salzbourg français. Enfin, nous avons réussi à démontrer que la solidarité était importante.

L'année dernière, l'édition numérique a été un franc succès avec 1,5 million de spectateurs. Qu'allez-vous garder de cette expérience pour 2022 ?
Renaud Capuçon : L'énergie énorme que l'on a déployée avec Dominique. C'était un moment très difficile qui, contre toute attente, est devenu une grande réussite. C'est bien d'être deux dans ces cas-là. Nous avions dû décommander plusieurs orchestres pour des raisons sanitaires, mais nous avions transformé l'essai avec quelques artistes venus nous aider. Non seulement on n'annulait pas, mais en plus on remplaçait et on existait par vidéo avec des artistes hallucinants. Même si ça a été dans la douleur, je crois que nous avons marqué des points. Certains lieux ferment pour bien moins que ça.

Dominique Bluzet : Cette édition spéciale nous a permis une grosse réflexion sur la place de l'artiste dans le schéma. Avant, on ne se posait pas la question. Un Festival, c'était un artiste sur scène, un public dans la salle. Que doit-on conserver pour que cela reste une relation entre musiciens et publics sans retirer à l'artiste son rôle prépondérant ? Cela induit de se demander comment filmer sans impacter l'expérience des gens présents. Cette année, on ne va pas refaire un festival 100% numérique, mais retransmettre quelques concerts qui nous semblent symboliques. On veut recentrer sur l'artiste sans que la technique ne soit un poids.

Pour cette édition, vous avez mis un point d'honneur à programmer des orchestres français. Pourquoi ?
Renaud Capuçon
: Les artistes français viennent depuis la première année du Festival, mais cette fois, nous faisons un vrai focus sur eux. Après 10 ans de grands orchestres internationaux, je trouvais ça important que le Festival mette en lumière l'excellence française et pas uniquement des grands artistes mondiaux. C'est une manière de tirer notre chapeau à nos meilleures formations, même s'il y en a évidemment d'autres que l'on n'a pas pu inviter.

Quels seront les concerts phares de cette édition ?
Renaud Capuçon : Le Quatuor pour la Fin du temps de Messian sera donné au Camp des Milles, un endroit où les prisonniers étaient déportés vers Auschwitz. Enormément d'artistes y ont transité. On a décidé d'y jouer une œuvre très à propos puisque ce Quatuor a lui-même été composé en Silésie, dans un camp de concentration. C'est une sorte de pont invisible entre ces mondes. La pièce de Messian est une des rares pièces qui me fait pleurer quand je l'écoute. Il y a des œuvres qui vous marquent, que vous jouez au bord des larmes. Elle est très puissante même sans connaître son histoire. La force tellurique suffit. J'ai voulu 4 musiciens totalement différents pour ce concert : une Canadienne, un Iranien, un Allemand et moi, un Français, afin de représenter deux générations de musiciens. L'ouverture est aussi assez symbolique pour nous. Barbara Hannigan va diriger deux œuvres lumineuses, mais qui caractérisent deux bords différents : le Requiem de Mozart, peut-être l'une des œuvres les plus connues de la musique classique, et le Concerto pour violon à la Mémoire d'un ange de Berg. Ce dernier est pour moi le plus grand concerto pour violon jamais écrit, mais il n'est pas très connu du grand public. De les avoir le même soir, se répondant comme en miroir, interprétés par deux des artistes les plus marquants du XXI siècle (Barbara Hannigan et Christian Tetzlaff), permet d'illustrer la parité qui nous tient à cœur. Cet équilibre entre les stars, les jeunes talents et les musiciens confirmés fait la force de notre festival depuis 10 ans.

Comment mettez-vous en valeur les jeunes artistes à Aix ?
Renaud Capuçon
: La jeunesse fait partie très intégrante du Festival. Ces artistes ne sont pas parqués dans des concerts dédiés, il sont intégrés à la programmation. Si on prend l'exemple des deux trios, Zeliha et Helios, ils n'ont pas besoin de nous pour exister, mais on leur donne un vrai coup de projecteur par l'aspect médiatique. Nous sommes très fiers de pouvoir les mettre sous le feu de la rampe. Cela leur donne confiance, les propulse sur le devant de la scène tout en créant des ponts. On se réjouit du fait que des artistes que l'on a mis en lumière volent de leurs propres ailes 5 ou 6 ans plus tard. On le fait avec modestie, c'est une mission essentielle pour nous. Le public nous fait confiance. L'idée que le public d'Aix puisse venir écouter des géants, très connus ou moins, fait partie de notre ADN. Le Festival apporte l'excellence dans cette ville à taille humaine, dans un décor magnifique, avec une lumière propre au printemps. Cette atmosphère sérieuse se dégage avec beaucoup de bonne humeur.

Que diriez-vous à des néophytes, des curieux, qui ont l'impression que le Festival de Pâques d'Aix n'est pas pour eux ?
Renaud Capuçon
: Les gens qui pensent ça imaginent de mauvaises raisons qui sont souvent les mêmes. La première chose c'est de dire "ce n'est pas pour nous". Quand on demande pourquoi, la réponse est: "parce qu'on ne connaît pas, on n'a pas les codes". Au Festival, la transmission est essentielle. Elle se fait naturellement, par le fait de venir aux concerts. Il y a une notion d'accueil extraordinaire, on se sent bien. Il n'y a pas de dresscode imposé par exemple. Il existe une promiscuité avec les artistes qui procure un sentiment familial. C'est beaucoup moins impressionnant qu'une grande salle à Paris, par exemple.

Dominique Bluzet : Il suffit de se laisser porter. Une salle de spectacle, c'est très sensitif. Pas besoin de se concentrer pour écouter. Une fois dans le fauteuil, si vous avez envie de fermer les yeux, de dormir, ce n'est pas très grave, au moins vous vous réveillerez en musique. Les mamans chantent une berceuse pour endormir leurs enfants. Le rapport à la musique classique, c'est ça. Cela nous emporte dans un univers formidable.

Après bientôt dix ans d'existence, quel bilan dressez-vous du Festival ?
Dominique Bluzet
: Pour la première édition, nous avions 6 500 spectateurs. Cette année, pour la 9e édition, nous attendons plus de 40 000 personnes alors que c'est encore une année compliquée. Pour la première édition, il y a eu 13 concerts et là, il y en aura 28. Avant, on ne se produisait qu'au Grand Théâtre et au Jeu de Paume, aujourd'hui nous sommes présents dans une dizaine d'endroits. C'est près de 1000 artistes réunis pendant 15 jours. Nous avons évolué, construit, sans dévier de notre ligne. En 10 ans, nous ne nous sommes jamais fâchés Renaud et moi. C'est un parcours de vie, nos enfants ont grandi, le monde a changé. On ne s'est pourtant pas lâché la main. Nos missions sont de moins en moins définies et c'est une chose formidable. Espérons que ça continue ainsi.

Plus d'informations et réservations sur le site du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence.