Stephan Eicher : "Je vous assure que Goliath est plus fort que David !"

Stephan Eicher revient en force avec "Hüh", un album de reprises revisitées avec la fanfare Traktorkestar. Avec ce véritable coup de jeune, le gracile Helvète se sent revigoré d'une énergie nouvelle et créatrice. Inspirations, conflits avec son label, soucis de santé, peur de vieillir : l'artiste de 58 ans se confie.

Stephan Eicher : "Je vous assure que Goliath est plus fort que David !"
© Laurent Seroussi

Affable, curieux et jovial, Stephan Eicher s'avance dans les salons à l'ambiance tamisée du Pavillon de la Reine, place des Vosges. "Vous voulez boire quelque chose ? Ils ont tout ici : rhum, whisky, champagne ?", me demande-t-il d'une voix posée, avec un accent reconnaissable entre mille.
Cet accent, qui l'a beaucoup desservi au début, le talentueux Suisse en a fait une force. Avec presque quarante ans de carrière à son compteur, le chanteur de 58 ans parvient à se renouveler… même avec un album de reprises ! Dans Hüh, son nouvel opus, disponible dans les bacs, Stephan Eicher, audacieux, collabore avec la fanfare Traktorkestar et revisite ses morceaux cultes tels que Pas d'ami comme toi ou Louanges pour leur conférer un pep's et un dynamisme rafraîchissant. Malgré une blessure au dos et un conflit avec Barclay, son label, qui l'ont freiné ces dernières années, l'artiste helvétique n'est pas paralysé... loin de là. 

Journal des Femmes : Pour ce nouvel album, vous avez collaboré avec Traktorkestar. Qu'ont-ils apporté à votre musique ?
Stephan Eicher : Une énergie que j'avais un peu perdue depuis le dernier disque. J'avais tendance à mettre en avant les paroles, parfois au détriment de la musique, qui était moins musclée. Les membres de ce groupe ont entre 27 et 33 ans, c'est une autre génération de musiciens. Ils m'amènent des ennuis aussi, car ils démolissent toutes les salles avec leurs confettis et leurs débordements (rires). Cela m'amuse de jouer le contrepoids du mec légèrement blasé, qui regarde les jeunes faire les cons !

Ce contraste donne un cocktail détonant...
Stephan Eicher : J'adore expérimenter et faire fonctionner des idées un peu bizarres. La voix de Stephan Eicher avec 3 batteurs et 9 cuivres : cela semble un peu merdique sur le papier, mais c'est à cet endroit que l'on peut prouver une certaine créativité. Quand on me dit que c'est impossible, je dis : "Attends, tu vas voir !"

Philippe Djian écrit la plupart de vos chansons, qu'est-ce qui vous plaît dans son écriture ?
Stephan Eicher : Ses paroles ne sonnent pas comme celles d'une chanson française. Les thèmes, les images, les structures sont différentes. Dans Déjeuner en paix, je chante : "Me ferais-tu un bébé pour Noël ?", des paroles qui pourraient avoir un sens plus profond, puisque Jésus est né à Noël… C'est une poésie un peu sucrée, comme un cupcake.

La chanson Pas d'ami comme toi comporte également un double (voire un triple) sens…
Stephan Eicher : Il y a une tension érotique dans ce morceau, est-ce un garçon qui chante à un garçon ? C'est ambigu... et c'est son génie. Avant de chanter ce titre, j'avais une petite appréhension. Je reste hétérosexuel, même si je respecte beaucoup mes amis gays, dès lors, j'avais peur de ne pas avoir la légitimité pour interpréter cette chanson ou que l'on ne me prenne pas au sérieux. Il m'a dit : "Débrouille-toi !" En Belgique, ce morceau est le sujet d'une thèse de doctorat : est-ce un roman érotique ou l'image d'une relation d'amitié masculine que l'on transpose sur une relation amoureuse hétérosexuelle ? Vous voyez un peu la complexité de ce que je chante ? Cela fait fumer ma tête (rires) ! 

"Avant, je croyais pouvoir faire le show toute ma vie... Mais il y a un terminus !"

Vous avez récemment été blessé au dos, au-delà de la douleur physique, était-ce éprouvant moralement ?
Stephan Eicher : Si l'on a une douleur, on s'imagine que l'on devrait être le centre du monde, mais lorsque j'étais en tournée, j'ai remarqué que j'étais responsable du gagne-pain de beaucoup de gens. J'ai tellement culpabilisé que je suis remonté trop tôt sur scène et je me suis vraiment fait mal ! 

Vous avez dû surmonter la douleur pour vous investir sur scène.
Stephan Eicher : J'ai essayé, j'ai fait plusieurs concerts... jusqu'à ce que je ne ne puisse plus bouger et que je finisse à l'hôpital ! J'ai reçu des infiltrations épidurales, mais je ne supportais pas la morphine, j'ai eu des réactions d'une douleur incroyable. En plus, on ne pouvait pas opérer. Cela a été un choc : avant je croyais pouvoir faire le show toute ma vie, mais on se rend compte qu'il y a un terminus. J'ai des enfants et des amis proches qui me font prendre conscience que je vais vieillir. Voilà un concept que j'avais complètement mis de côté !

Avez-vous peur de la mort ?
Stephan Eicher : Elle me trouble, elle me fait chier ! (rires) Mais, je ne cherche pas non plus à ralentir le processus, regardez, j'ai des cheveux blancs.

Mais vous avez encore vos cheveux !
Stephan Eicher : Par exemple, oui ! Je me rends toujours un peu plus vieux pour ne pas tomber dans le piège de porter des costumes avec des baskets et rouler dans une Ferrari jaune avec une copine qui a trente ans de moins que moi, j'essaye d'éviter tous ces clichés. J'aimerais bien être un vieux chic. L'âge est une merde (rires) ! J'adore ce que je fais, j'aurais bien aimé l'éternité dans ce métier. Charles Aznavour a tenu longtemps sur scène, mais c'est un extraterrestre. Et puis, il est arménien, je suis un Suisse (rires) !

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Stephan Eicher et le groupe Traktorkestar © Laurent Seroussi

Vous avez été bloqué par votre dos, mais aussi par Barclay, qui a refusé de sortir vos disques.
Stephan Eicher : Je pense que mes problèmes de dos ont été, au moins en partie, déclenchés par ce conflit. Je me pliais devant l'industrie du disque littéralement et allégoriquement. J'aurais aimé être cet espèce de David contre Goliath, mais je vous assure que Goliath est plus fort que David ! Je rêvais de rassembler d'autres musiciens dans mon cas, car l'union fait la force, mais malheureusement, les artistes sont assez individualistes. L'industrie du disque nous fait croire que l'on est unique, mais ce n'est pas vrai... Il faut s'entraider.

Quel regard portez-vous sur l'industrie musicale après ces désaccords ?
Stephan Eicher : La relation entre un artiste et son label est comme un mariage… de raison ou d'amour. C'est effrayant que ces couples puissent se faire si mal, sans faire attention l'un à l'autre. Je ne connais pas un fermier qui laisserait mourir sa vache à lait. J'ai la sensation d'avoir été malmené, mais si vous parlez avec Barclay, ils vous diront surement que je suis fatigant (rires) ! Vous n'allez pas croire ce qu'ils vont gagner dans 2 ans, alors qu'ils ont viré la moitié du personnel ! Beaucoup d'entre eux étaient mes amis. Cette insensibilité conjuguée avec l'essor du digital, c'est brutal. Peut-être que je suis un vieux con, mais je pense que le monde sera merdique pendant un certain temps. Dans 150 ans, il sera sublime !

Avec le recul, comment décririez-vous votre carrière ?
Stephan Eicher : Pas mal pour quelqu'un qui a un accent ! J'attends toujours que l'on vienne me chercher pour me dire : "Monsieur Eicher, vous ne pouvez plus être ici", mais pour l'instant cela n'est pas encore arrivé ! Maintenant, j'aimerais faire un disque plus intime, faire un contrepoids avec ces orgies de confettis.

Cliquez ici pour découvrir Hüh, le nouvel album de Stephan Eicher, disponible dans les bacs.