L'actrice Esther Rollande et la réalisatrice Marion Desseigne Ravel sont LES MEILLEURES

Avec "Les Meilleures", en salles le 9 mars, la cinéaste Marion Desseigne Ravel offre à Esther Rollande son premier rôle de cinéma : celui d'une fille qui tombe amoureuse d'une autre fille, campée par Lina El Arabi, dans un quartier populaire. Rencontre avec l'actrice et la réalisatrice de ce premier film sensible et réaliste.

L'actrice Esther Rollande et la réalisatrice Marion Desseigne Ravel sont LES MEILLEURES
© Domine Jerome/ABACA

Paris, dans un quartier populaire. Nedjma (Lina El Arabai) et sa bande de copines chillent pendant l'été. Les journées passent et se ressemblent, faites de taquineries et de "guéguerre" contre d'autres meufs pour conserver leur banc fétiche. Nedjma est une amie loyale, prête à s'imposer pour défendre les sien(ne)s. Pourtant, face à Zina la nouvelle, Nedjma la fonceuse se radoucit, plutôt observatrice, intriguée. Une attirance évidente naît entre elles. Les Meilleures, au cinéma le 9 mars, c'est l'histoire de ces filles qui tombent amoureuses dans un environnement où l'on se juge pour un rien, à un âge où les réseaux sociaux et l'avis des autres dictent les actes et les pensées. Dans ce premier long-métrage, Marion Desseigne Ravel place l'homosexualité au cœur d'un film sur l'adolescence, l'amitié et le poids du groupe. La révélation de Nedjma à elle-même passe par sa rencontre avec Zina, interprétée avec aplomb et délicatesse par la débutante Esther Rollande. Marion Desseigne Ravel et son actrice nous en disent plus sur ce film qui replace les femmes au centre de l'écran.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Marion Desseigne Ravel
: En arrivant à Paris pour mes études de cinéma, j'ai fait de l'aide aux devoirs pour des collégiens et lycéens de la Goutte d'Or. Pendant 6 ou 7 ans, j'ai appris à connaître l'univers de ces ados originaires du Maghreb ou de l'Afrique de l'Ouest. C'était au moment du vote de la loi du Mariage pour tous. Un jour, ils ont débarqué avec des tracts homophobes distribués par la Manif pour tous. Leur première réaction était assez violente, ils avaient des mots durs sur l'homosexualité. En parlant, on a découvert que ça les questionnait, que ça pouvait les concerner. On s'est alors demandé ensemble ce que ça voulait dire de sortir avec une femme quand on est une femme, avec un noir quand on est maghrébin, etc. Je ne pensais pas à en faire un film, mais cette expérience était tellement forte qu'elle s'est cristallisée. A partir de là, j'ai eu envie de raconter une histoire d'amour entre deux filles dans ce Paris du Nord-Est, avec les personnages que je côtoyais alors. J'ai découvert mon homosexualité ado et ce film-là, moi, je ne l'ai pas vu. Il m'a manqué alors je l'ai réalisé.

Esther Rollande : Pour moi, ça s'est passé étrangement. J'étais à un moment de ma vie où je n'avais jamais tourné et même si ça m'intéressait, je n'y croyais pas vraiment. Je ne connaissais personne dans ce milieu, je n'avais jamais pris de cours de théâtre. J'ai rencontré le frère de Lina El Arabi sur un tournage de clip. C'était pile le moment où ils cherchaient l'actrice qui incarnerait Zina. Il a parlé de moi et c'est comme ça que je me suis retrouvée sur le casting. Quand on m'a dit que j'avais le rôle, j'ai enfin découvert le scénario que j'ai trouvé génial. Le film faisait écho à des thématiques dans ma vie personnelle à ce moment-là. C'est très bien tombé.

Marion, qu'est-ce qui vous a convaincue de choisir Esther pour ce rôle ?
Marion Desseigne Ravel
: L'autre version de l'histoire, c'est qu'on avait casté Lina El Arabi depuis quelques semaines, mais qu'on avait beaucoup de difficultés à trouver la comédienne qui allait jouer Zina. Avant de rencontrer Esther, on a eu beaucoup de refus d'actrices, qui étaient assez effrayées par la thématique homosexuelle. Parfois, ça les gênait d'embrasser une autre femme, parfois c'était pour d'autres raisons, comme le fait qu'elles ne pourraient pas montrer le film à leurs parents. Avec Esther, et alors que je n'y croyais pas du tout, ça a immédiatement matché dans le jeu avec Lina. Il y avait une forme d'alchimie dans leur énergie, mais elles restaient très différentes. On a travaillé pour que leurs caractères ressortent, mais j'ai l'impression qu'il y avait une forme d'évidence, qu'elles éprouvaient du plaisir à jouer ensemble.

Qui sont Zina et Nedjma, les héroïnes du film ?
Esther Rollande
: Zina est une fille sûre d'elle, tout en étant très intérieure, prudente, pas très expansive. Elle vient d'arriver dans le quartier, elle attend de prendre ses marques avant de s'affirmer. Ce n'est pas explicité dans le film, mais Zina a déjà vécu une expérience amoureuse avant, elle sait qu'elle est lesbienne. Avec Nedjma, c'est plus fort qu'elle, il y a une alchimie physique entre elles.

Marion Desseigne Ravel : Je voulais construire ce duo avec du contraste. L'histoire n'aurait pas pu avoir lieu avec deux Nedjma. Il fallait que Zina joue la guide, qu'elle la pousse à faire un pas en avant, qu'elle la rassure. Elle comprend les difficultés que Nedjma traverse. Le personnage de Lina El Arabi a plusieurs facettes. Elle peut être dure dans l'espace social et a en même temps au fond d'elle, une fragilité, une tendresse, un rapport beaucoup plus sensible aux choses, qu'elle ne montre pas à ses copines. Ce n'est pas la façon dont elles fonctionnent entre elles. Peu d'actrices sont capables de switcher aussi vite d'une façon d'être à une autre. Lina peut être physique tout en laissant place à une intériorité. Sur la question de la rencontre amoureuse, je crois que Zina répond à cette émotivité que Nedjma a en elle. C'est ce qui précipite leur histoire.

L'amour de Nedjma et Zina se confronte quasi-exclusivement à des regards féminins. En quoi c'était important de ne pas insister sur le jugement des hommes ?
Marion Desseigne Ravel
: Dans le film, les gens qui ont les mots les plus durs par rapport à l'homosexualité sont souvent des personnages très jeunes : les enfants dans le square, la sœur de 13 ans. Pour moi, il y a une forme d'immaturité dans la violence qu'ils exercent. J'avais envie d'inverser ce que l'on voit habituellement. L'ami de Nedjma Sidiki est plutôt aidant, accompagnant et doux, même s'il n'a pas envie d'accepter son homosexualité. A l'inverse, les filles se montrent dures. On parle beaucoup de la place des femmes dans la société, de leur représentation. Je crois qu'il y a une violence chez elles aussi. Donner de la place aux personnages féminins, ce n'est pas juste raconter des histoires tendres, mais accepter cette violence et en parler.

Marion, vous parlez de courage pour incarner ces rôles. Qu'entendez-vous par là ?
Marion Desseigne Ravel
: J'ai parlé de la difficulté à trouver Zina, mais il y avait aussi le rôle de la petite sœur, pour lequel j'ai rencontré des filles de 12, 13 ou 14 ans. Beaucoup de parents ont dit "non" parce qu'ils ne voulaient pas que leur fille joue la sœur d'une lesbienne. Je m'en doutais avant de faire le film, mais le processus de fabrication me l'a confirmé : ça grince encore à certains endroits. Ce ne sont pas forcément des refus violents ou homophobes, c'est bien plus complexe que cela. C'est pour ça que je parle d'une forme d'engagement. Toutes les comédiennes du film sont venues parce qu'elles croyaient très fort au projet. Par exemple, Laetitia Kerfa, qui joue la cousine de Zina, m'a tout de suite dit qu'elle ne voulait pas incarner une homophobe. Quand je l'ai rassurée sur ce point, elle m'a confirmé que c'était ça qu'elle voulait défendre.

Esther, que retenez-vous de cette première expérience d'actrice ?
Esther Rollande
: J'étais effrayée avant le tournage, je m'attendais à beaucoup de difficultés. J'étais paumée, je ne connaissais pas la moitié des métiers présents sur le plateau. J'étais sur l'instant au début et puis j'ai beaucoup appris en observant les filles, en écoutant Marion, qui était un guide assez incroyable. Cette expérience m'a vraiment donné envie de faire ce métier par la suite. C'est le plus important et ce que je retiens de ce tournage. Jusque-là, c'était plutôt un rêve d'enfant auquel je ne croyais pas. Je m'intéresse à toutes les formes d'art, je dessine, je fais de la danse, de la musique, alors je savais que je voulais faire quelque chose d'artistique. Le jeu m'intriguait énormément, j'avais très envie de l'explorer, mais ce n'était pas un objectif sérieux avant Les Meilleures.

Quels sont les retours sur le film qui vous ont le plus touchées ?
Esther Rollande
: J'ai été très touchée à Toulouse, pendant le festival Des Images aux Mots. On a été applaudies super longtemps, ça m'a procuré une montée d'émotions. Je pense aussi à cette dame qui nous a dit : "Ma fille est lesbienne et j'ai l'impression de mieux la connaître après avoir vu votre film" ou à cet homme qui avait fait son coming-out depuis peu et à qui le film a fait beaucoup de bien. Ça fait plaisir de voir que le film fait du bien aux gens.

Marion Desseigne Ravel : Une personne maghrébine a pris la parole lors d'une projection pour dire qu'elle était lesbienne, qu'elle avait grandi en cité et qu'elle trouvait que le film était "respectueux". Ce mot était une consécration pour moi parce que c'était très important de ne pas fantasmer ou déformer leur histoire. A l'inverse, d'autres retours qui me font plaisir, c'est quand des spectateurs très éloignés de ces thématiques me disent qu'ils ont du mal à entrer dans le film, mais qu'ils finissent par comprendre ces jeunes, par être touchés par cette histoire d'amour sans être directement concernés.

Pourquoi c'est important d'avoir fait ce film ?
Esther Rollande
: Parce qu'il prouve qu'on ne devrait pas ne pas avoir le droit de s'aimer. Et parce qu'il y a peu de films qui montrent l'amour entre deux filles dans un contexte comme celui-ci, à notre époque, de manière aussi réaliste.

Marion Desseigne Ravel : Pendant longtemps, les personnages LGBTQIA+ mouraient à la fin du film ou étaient extrêmement torturés. Boys don't cry, par exemple, m'a beaucoup inspirée, mais finit très mal. J'avais envie de faire un film qui donne une forme d'espoir sans être naïf, en expliquant que ce n'est pas facile pour autant.