Avec Pingouin & Goéland et leurs 500 Petits, Michel Leclerc honore le désir de vivre

Avec Pingouin & Goéland et leurs 500 Petits, Michel Leclerc honore le désir de vivre

Le réalisateur du "Nom des gens" et de "La lutte des classes" signe un documentaire passionnant sur Roger et Yvonne Hagnauer, un couple de Résistants ayant sauvé et éduqué des dizaines d'enfants pendant l'Occupation française. Michel Leclerc nous parle de "Pingouin & Goéland et leurs 500 petits", ce film sous forme de portrait pensé comme une ode à l'existence, au cinéma le 3 novembre.

Pingouin & Goéland et leurs 500 petits, au cinéma le 3 novembre, raconte des destins extraordinaires. Celui d'un couple de militants pacifistes qui a profité d'être à la tête d'une maison pour enfants soutenue par le régime de Vichy pour cacher des juifs. Et celui de tous ceux qui sont passés par leur établissement. "Du côté de la vie", c'est l'expression qu'emploie Michel Leclerc pour évoquer ces rebelles Pingouin et Goéland, les anciennes orphelines de la Maison de Sèvres et aussi son film. S'il insiste sur ce point, c'est parce que toute cette histoire prouve qu'aucun cas n'est trop désespéré pour se remettre à exister, à apprendre et à profiter. Sous la protection d'Yvonne et Roger Hagnauer, des dizaines d'orphelins de guerre et de juifs persécutés ont hérité d'une éducation inspirée de l'Ecole nouvelle de Montessori ou Decroly. Plus de soixante-dix ans plus tard, le réalisateur Michel Leclerc filme les femmes âgées, drôles et au caractère bien trempé que ces enfants sont devenues. Ces forces de vie racontent leur version de l'histoire, à laquelle s'ajoutent de nombreuses images d'archives. Le réalisateur habitué aux comédies a fait le choix d'une narration à la première personne pour détailler cette folle histoire de Résistance et de pédagogie. Il faut dire qu'il est directement concerné : sa mère, aujourd'hui disparue, était l'une des 500 petits de la Maison de Sèvres. Interview autour de Pingouin et Goéland et de leurs leçons de vie.

Pingouin & Goéland et leurs 500 petits parle de la Maison d'enfants de Sèvres, de Roger et Yvonne Hagnauer et aussi des anciens enfants qu'ils ont hébergés. Comment avez-vous décidé d'aborder tous ces aspects dans votre film ?
Michel Leclerc
: Pingouin et Goéland ont eu un itinéraire assez complexe, il fallait que je raconte toutes les facettes de leur histoire pour la faire comprendre et la transmettre. Je ne voulais pas me restreindre. Les anciennes, avec leur manière de parler et d'être bien à elles, sont quasiment une preuve de la réussite de la Maison de Sèvres. Le fait que 60 ans après, celles qui sont toujours vivantes soient toujours aussi vivaces et enthousiastes en dit beaucoup. Elles continuent de se voir et d'honorer la mémoire d'Yvonne et Roger à leur manière : en étant du côté de la vie. Enfin, c'était compliqué pour moi de traiter ce sujet sans aborder mon lien direct avec la Maison de Sèvres. Quand j'ai compris l'importance de la trajectoire d'Yvonne et Roger dans l'histoire de ma mère, je me suis dit qu'il fallait que je me penche sur le sujet un jour ou l'autre.

"C'est un cadeau de filmer les grandes gueules que sont les copines de ma mère"

Pourquoi maintenant ?
Michel Leclerc : Je sais depuis l'adolescence que je dois faire ce film. A 25 ans, avant même de réaliser des longs-métrages, j'ai eu un premier élan et je me suis renseigné auprès de l'INA pour voir quelles images d'archives existaient. C'était finalement beaucoup trop tôt pour mener à bien ce projet. Je savais le film que je ne voulais pas faire : pompeux, déprimant, plombant ou édifiant, mais je ne savais pas quoi faire pour autant. En réalisant mes comédies de fiction, j'ai compris qu'on pouvait parler de choses très graves en étant léger. C'était aussi beaucoup plus simple une fois que ma mère n'était plus là puisque je me voyais mal l'interviewer sur son histoire. L'autre limite était l'âge des protagonistes, qui commencent à se faire vieilles. Par exemple, l'une d'elle, Léa, est décédée quand j'ai terminé le film. C'est dire si c'était le bon moment.

Avez-vous hésité à réaliser une fiction plutôt qu'un documentaire ?
Michel Leclerc : J'aurais pu en faire une fiction, mais je préfère faire des films sur des antihéros que sur des héros. Quand j'ai pris conscience de la somme d'archives que je possédais, avec des centaines de photos, de films à toutes les époques, j'ai voulu les exploiter. Et puis c'est quand même un cadeau de filmer les grandes gueules que sont les copines de ma mère. Il aurait été dommage de prendre des comédiens pour jouer à leur place. C'était très long de trouver le ton. J'ai finalement voulu faire un film drôle de temps en temps, comme un film d'aventures avec des histoires incroyables, des rebondissements, des personnages, des coups de théâtre, où on rit, on pleure... Ça ne sera pas moi, mais ce ne serait pas très étonnant qu'un jour, quelqu'un ait l'idée de faire une fiction sur cette histoire.

Réunion des anciens de la Maison de Sèvres © Dulac Distribution

Comment décrivez-vous Pingouin et Goéland ?
Michel Leclerc : Roger et Yvonne Hagnauer sont des iconoclastes, des gens qui ont tracé un chemin tout à fait singulier, hors des sentiers battus, qu'ils ont suivi de manière entêtée, avec un certain sens de la provocation.

Ces deux instituteurs radiés pour anti-patriotisme à cause de leurs idées libertaires se retrouvent, pendant l'Occupation, à gérer un établissement vichyste consacré aux enfants de la guerre et à y cacher des juifs...
Michel Leclerc : Ces fervents pacifistes sont devenus des résistants. Ils ont utilisé cette couverture officielle pour constituer une équipe de gens poursuivis par le régime de Vichy, à qui ils faisaient des faux papiers et qu'ils n'appelaient que par des noms de totems. A partir de 1941, ils se sont mis à recueillir des enfants juifs, dont ma mère et ses sœurs, avec cette obsession de l'Education Nouvelle. Yvonne était passionnée par cette pédagogie née après la Première guerre mondiale. C'était son but : faire des enfants des adultes autonomes, libres, qui pensent par eux-mêmes. Alors qu'on prônait "travail, famille, patrie", la Maison de Sèvres était un lieu de liberté, de culture, de théâtre, de musique, de danse, d'autogestion... C'est extraordinaire que tous ces enfants, juifs ou pas, mais très traumatisés et malheureux, aient réussi pour la plupart à se réparer dans cet endroit et à se construire une vie d'adulte à peu près stable. Fortunée, une amie de ma mère, est même devenue secrétaire de Michel Rocard pendant 25 ans !

"Ces femmes se sont construit une nouvelle identité, plus forte que l'identité de leurs origines"

Le film aborde la question du droit à l'oubli face au deuil et à des traumatismes immenses...
Michel Leclerc : C'est le sujet de mon film : comment a-t-il été possible que des enfants aussi malheureux aient pu se réparer sans passer par la psychanalyse ? Une fois arrivé dans la Maison, aucun d'eux ne parlait de ce qui lui était arrivé. Pingouin et Goéland essayaient de tourner leurs pensées vers autre chose en les intéressant. C'est pour cela que plein de people venaient, comme l'explorateur Paul Emile Victor ou le volcanologue Haroun Tazieff. Tout ça c'était pour faire rêver les enfants, les faire se dépasser et oublier leurs tourments. Ça a fonctionné. Je pense même qu'il n'y a pas eu une seule fille issue de la Maison de Sèvres qui n'ait pas travaillé. C'était la dimension féministe de Goéland. Il fallait faire des études, en fonction de ses possibilités. Celles qui n'en faisaient pas devaient être autonomes, travailler. Pour l'époque, c'était assez exceptionnel.

La mixité de la Maison de Sèvres est aussi surprenante pour les années 40 !
Michel Leclerc
: C'était très avant-gardiste, alors qu'aucune école en France n'était mixte. Cette mixité allait d'ailleurs au-delà du genre. Tous ces enfants étaient liés par la tragédie, mais n'avaient pas les mêmes niveaux sociaux, origines ou background familiaux. C'est important pour moi, cette façon dont ces femmes se sont construit une nouvelle identité plus forte que l'identité de leurs origines. Elles se définissaient plus Sévriennes que juives. C'est aussi pour cela que je suis obsédé par cette question : je sais que l'on peut se réinventer. À chaque période de notre vie, on peut choisir de mettre en avant tel ou tel trait de notre personnalité. L'identité se construit en cours de route, en fonction de ce que l'on a envie d'offrir aux autres.

Vous dites que c'est un film sur la sororité. Qu'entendez-vous par là ?
Michel Leclerc : La Maison de Sèvres était plutôt une école de filles, même s'il y avait environ 30% de garçons. En tout cas, de mon point de vue, ma mère avait des copines. J'ai grandi au milieu de ça et je peux dire qu'elles étaient plus que des sœurs, dans la mesure où des frères et sœurs peuvent s'éloigner une fois adultes. Elles ne se sont jamais quittées de leur vie. Elles se voyaient très régulièrement, même bien après la mort de Pingouin et Goéland. Le destin les a bombardés dans cet endroit, mais tous les anciens n'en reviennent pas de la chance qu'ils ont eue d'être tombés là-bas. Certains disent même qu'ils n'auraient pas fait tout ça dans leur vie s'ils n'avaient pas été orphelins et qu'il n'étaient pas passés par Sèvres...

Dans le documentaire, on comprend que beaucoup d'entre eux ont fait carrière.
Michel Leclerc : Je n'ai pas fait de statistiques, mais il y a eu beaucoup de profs et d'instituteurs. Récemment, les filles du mime Marceau m'ont clairement dit que la Maison, où il est resté 3 ans, a été déterminante dans sa vocation. Il y est arrivé à 20 ans, alors qu'il faisait passer des enfants juifs en Suisse. J'ai d'ailleurs appris que les deux seuls enfants qu'il a amenés à Sèvres étaient ma mère et sa copine Henriette. Quand il est arrivé, Goéland lui a dit "on a besoin d'un moniteur et je sais que vous êtes aimé des enfants, alors vous restez". Il animait un atelier de théâtre et c'est là qu'il a commencé à s'exercer et à devenir mime. Cet endroit a fait naître des vocations, même si ce n'était pas directement des professions. Toutes les anciennes sont très versées dans les arts et la culture. Dans le film, elles reviennent d'une exposition à Beaubourg. À 86/87 ans, elles n'arrêtent pas et toute leur vie a été comme ça. Elles ont une grande ouverture d'esprit.

"Pingouin & Goéland et leurs 500 petits // VF"

À voir les résultats de la Maison de Sèvres, on se demande comment Goéland n'est pas devenue une grande figure française de la pédagogie. Pourquoi est-elle restée dans l'ombre, selon vous ?
Michel Leclerc : Je pense qu'elle va le devenir ! Pingouin et elle ont écrit, mais pas beaucoup. Lui sur le syndicalisme, elle sur la pédagogie, mais je ne crois pas que c'était une théoricienne. La Maison de Sèvres est une expérience unique dans des circonstances historiques particulières, qui ne s'est pas tellement exportée. C'était un univers global. Les enfants y étaient 24/24h, l'école ne s'arrêtait pas à 16h30. Goéland faisait de la mise en scène de théâtre et elle donnait ses cours après le dîner. Venait qui voulait. C'est difficilement reproductible, parce qu'il y a moins d'orphelins aujourd'hui qu'à l'époque et que tout ce système était très lié à la personnalité de Pingouin et Goéland, pas seulement à leur pédagogie.