LAS NINAS : Pilar Palomero écorne joliment l'image de la petite fille sage

Avec son film "Las Niñas", en salles le 27 octobre, le cinéaste Pilar Palomero pose un regard sur l'Espagne des années 90 à travers l'histoire de Celia, sage fillette de 11 ans pour qui la puberté va être synonyme de désobéissance et de libération. Un portrait à hauteur d'enfant qui en dit long sur les besoins d'émancipation d'une génération.

LAS NINAS : Pilar Palomero écorne joliment l'image de la petite fille sage
© Jorge Fuembuena / Epicentre Films

À en croire les derniers Goyas, équivalence des César au pays de Cervantes, Pilar Palomero souffle un vent de fraîcheur sur le cinéma espagnol. Las Niñas, au cinéma le 27 octobre, lui a permis de rafler 4 de ces prestigieux prix et pas des moindres : Meilleur film, Meilleur nouveau réalisateur, Meilleur scénario original et Meilleure photographie. À travers le portrait d'une fillette de 11 ans, la cinéaste critique habilement la société espagnole des années 90, quand le franquisme se faisait encore sentir sous les élans progressistes. Pendant que son pays se débattait avec ses idéaux, la réalisatrice se démenait avec ses propres révolutions, à une période où tout s'embrouille : la puberté. C'est ce temps charnière entre l'enfance et l'adolescence que Pilar Palomero a souhaité capturer, sans jamais servir le cliché de l'ado rebelle. La réalisatrice dépasse les ambitions politiques de son œuvre pour lui donner une dimension intime, en nous glissant dans le quotidien de Celia. Quand Brisa, une nouvelle amie, débarque dans sa vie, l'enfant de chœur ouvre la porte des interdits, des découvertes et des libertés. Ce personnage en pleine tempête interne est savamment interprété par la jeune Andrea Fandos. Celia, les copines et les grandes sœurs forment la bande de filles de Pilar Palomero. Une clique vivifiante, comme une bouffée féministe venu des 90s. Interview avec la cheffe de file.

Quel a été le point de départ du film ?
Pilar Palomero
: Sans être un film autobiographique, l'histoire se base sur mon expérience et celle de personnes qui m'entouraient dans l'univers dans lequel j'ai grandi, à Saragosse, au début des années 1990. Le point de départ, c'est un cahier de religion dans lequel j'avais écrit une rédaction sur la sexualité au service de Dieu et de l'amour. En retombant dessus, je me suis dit que c'était incroyable que l'on nous demande d'aborder le sujet de la virginité à travers le prisme catholique dans ces années-là. J'ai commencé à faire des recherches, à en parler autour de moi, et je me suis rendu compte que notre souvenir de cette époque était biaisé. En 1992, les Jeux Olympiques de Barcelone et l'exposition universelle de Séville ont créé une euphorie collective, mais on n'était pas aussi modernes qu'on le pensait. On portait tous le fardeau de l'héritage du franquisme, de la religion... J'ai voulu que ce film permette aux spectateurs d'avoir une réflexion sur leur perception des choses dans une société très dépendante du catholicisme, même après 15 ans de démocratie.

"Je voulais retranscrire cet instant précis où on laisse l'enfance derrière soi"

Le film parle aussi à ceux qui n'ont pas vécu l'Espagne de cette époque. Qu'est-ce qui crée ce sentiment d'intemporalité ?
Pilar Palomero
: Je ne le sais pas exactement, mais j'en suis très heureuse parce c'est la meilleure chose qui puisse arriver à une réalisatrice. On peut transposer le film à d'autres époques et sur d'autres sociétés peut-être parce que l'on fait le voyage à travers les émotions de Celia. Malgré tout le contexte politique et social, le film parle aussi de grandir et cela fait appel aux sentiments. Les gens se sentent proches d'elle, il vivent ses doutes, ses angoisses, ses changements. Andrea transmet très bien tout ça.

Votre film se penche sur un sujet rarement abordé sans tomber dans les clichés : celui de la puberté, juste avant l'adolescence. Pourquoi cette période précise et comment avez-vous trouvé l'équilibre ?
Pilar Palomero
: En tant que spectatrice, j'ai réalisé qu'il n'y avait pas beaucoup de films sur la puberté, en tout cas en Espagne. J'ai eu envie de raconter, depuis mon monde à moi, ce que j'avais vécu à cet âge-là, qui était aussi l'âge d'Andrea au moment du tournage. Le casting était très important. Les filles ressemblent aux personnages, mais on a aussi fait en sorte que les personnages s'adaptent aux actrices, qu'elles puissent imprégner les rôles de leur personnalité. Pour Andrea par exemple, si on avait tourné 4 mois plus tard, elle n'aurait plus été Celia. J'ai laissé pas mal de marge à l'improvisation, pour pouvoir dépeindre des moments uniques et retranscrire cet instant précis où l'on laisse l'enfance derrière soi.

"Las Niñas" © Epicentre Films

Comment avez-vous abordé certains sujets, comme la sexualité, avec des jeunes actrices qui découvraient elles-mêmes ces questions-là ?
Pilar Palomero
: Ce qui a été le plus difficile, c'était de les trouver. Nous avons rencontré 1000 jeunes filles. Mais ensuite, c'était très amusant de travailler avec elles. Par exemple, la scène avec le préservatif, je leur ai simplement dit d'ouvrir l'emballage et c'est ce qu'elles ont fait. J'ai filmé leurs réactions. C'était la première fois pour elles et j'ai réalisé qu'il n'y avait pas une énorme différence en 2019 et 1992 ! Il y a des phrases, des questions qui étaient dans le scénario, mais on a construit les scènes peu à peu, avec un mélange d'improvisation et d'une direction d'acteurs assez marquée. Quand on les voit fumer une cigarette pour la première fois, évidemment sans nicotine, je leur ai dit "amusez-vous avec ça, soyez vous-mêmes". Je cherchais à capter leur authenticité et elles ont été très généreuses. Je crois que ça se voit dans le film, en tout cas moi, je suis vraiment tombée amoureuse de ces filles.

"Si le film peut aider les femmes à se questionner pour s'émanciper, ce serait une grande réussite féministe pour moi"

Quel a été le plus gros défi de mise en scène, induit par votre volonté de filmer à hauteur d'enfant ?
Pilar Palomero : Cette volonté était très claire depuis le départ. On voulait que ce soit le point de vue de Celia, c'est pour ça qu'elle est filmée de très près, en format en 4/3. Ça n'a pas du être facile pour Andrea d'avoir cette proximité avec la caméra, à laquelle il fallait qu'elle montre ses émotions, mais en réalité, on n'a pas eu trop de difficulté pendant le tournage.

En s'émancipant, les jeunes filles remettent en cause ce que leur mère et l'école religieuse veulent leur imposer. Essayez-vous de dire que les filles, les femmes même, doivent sortir de l'impératif d'être sages comme des images ?
Pilar Palomero : Je voulais effectivement dépeindre les messages qu'ont reçus les hommes les femmes de ma génération et qui était aussi nocifs pour les uns que pour les autres. Je pense à cette image de la femme parfaite, cette injonction à être vierge et tous les discours contradictoires de cette époque. Je voulais aboutir à une réflexion qui soit une sorte d'auto-évaluation. Par exemple en 1992, les tabous persistaient alors que l'on pensait qu'ils étaient renversés. Si le film peut aider le public à se questionner, les femmes en particulier, pour s'émanciper, ce serait une grande réussite féministe pour moi.