François Créton (LES HEROIQUES) : "Je suis la preuve qu'il n'est jamais trop tard"

François Créton se dédouble pour incarner Michel, personnage principal inspiré de lui-même dans "Les Héroïques", de Maxime Roy, en salles le 20 octobre. Blouson en cuir estampillé "loser", ganache burinée de laquelle s'écoule un verlan chiadé, l'acteur s'offre un premier rôle rock'n'roll sur la résilience et la force du lien. Rencontre.

François Créton (LES HEROIQUES) : "Je suis la preuve qu'il n'est jamais trop tard"
© Shootpix/ABACA

Michel, ancien addict, reup cool, mais compliqué à gérer, bataille pour être un type clean. Son aîné prend ses distances, son père va mourir, son ex le somme de mieux s'occuper de leur bébé. Malgré les coups durs, Michel s'accroche à l'abstinence comme il s'agrippe à sa moto : avec ferveur. Ses démons et son âme de rebelle ne prendront pas le dessus sur son envie d'être là pour les siens, ancré dans le présent. Exactement comme son interprète. François Créton lègue non seulement ses traits, mais aussi son histoire à ce personnage flamboyant, dans Les Héroïques, au cinéma le 20 octobre.
Poussé par son ami Maxime Roy, réalisateur de ce film d'une grande sensibilité, le comédien habitué aux apparitions de télévision, au doublage et au théâtre s'offre un premier rôle de cinéma aussi ardent que les émotions qui l'habitent. L'acteur passé par le pire garde son attirail de bad boy, ses 'tiags, ses cuirs, son verlan et ses bagouzes pour incarner cet imparfait magnifique. La came et l'alcool n'auront pas eu raison de sa délicatesse, ni de la tendresse qui saute aux yeux dès l'instant où le regard se pose sur lui. François Créton, c'est une force de vie éclatante, un type spirituel planqué derrière un acteur qu'on a hâte de voir enflammer le grand écran, encore et encore. En attendant, entretien autour du film qui signe sa révélation. Comme une renaissance.

Les Héroïques, c'est un peu l'histoire de votre vie, le parcours d'un addict qui décide d'être un mec bien, mais aussi d'un homme qui apprend à être un bon père au moment où le sien se meurt...
François Créton : On parle de paternité, mais en réalité on évoque la parentalité. Les personnages pourraient être des femmes, l'histoire serait identique à la virgule près. Qu'est-ce que c'est d'accepter ses parents, qu'est-ce que c'est d'accepter un nouvel enfant quand tu ne t'y attends pas? Ce sont les questions qui traversent le film. Avec Maxime, le réalisateur, on a beaucoup d'empathie pour nos personnages. On a été chercher chez chacun de nous tout ce qui pouvait les rendre encore plus tendres. J'ai travaillé par exemple autour de la poésie, pour la mettre dans la peau de Michel. On voulait qu'il y ait ce rapport à une certaine beauté, à une délicatesse.

"Deviens-tu le père ou la mère de tes enfants le jour où tu les acceptes tels qu'ils sont ou l'inverse ?"

Comment est née l'envie de faire un film inspiré de vous ?
François Créton : Maxime était le chéri de ma fille pendant un certain temps. J'étais donc son beau-père, un beau-père un peu particulier, j'imagine... Ça a matché tout de suite entre nous. Avant de mourir, mon père avait enregistré 7 cassettes d'une heure dans lesquelles il s'auto-interviewait. Il essayait de se livrer, même si on sentait qu'il était dans le contrôle. Après sa mort, j'en ai lancé une et c'était assez terrible. Je les ai mises au placard. Je ne sais pas pourquoi, mais quand j'ai rencontré Max, je lui ai demandé qu'on les regarde ensemble. Mon idée de départ était de faire un documentaire, mais tout de suite après le visionnage, Max me dit que les cassettes ne l'intéressent pas, que c'est sur la relation entre le père et le fils qu'il faut faire une fiction.

Le film tourne beaucoup autour de Michel, votre personnage. Pourquoi avoir finalement centré l'histoire sur cet alter ego ?
François Créton : Pendant la phase d'écriture, les producteurs nous ont demandé de réaliser un court-métrage. À l'époque, je venais d'avoir un bébé, j'habitais en sous-sol dans une cave, j'étais en pleine séparation... On a chopé des éléments de cette vie. Un soir, j'ai pris le petit dans mes bras en lui faisant écouter des chants bouddhistes vietnamiens pour qu'il s'endorme. Max a filmé cette scène avec son téléphone sans que je ne m'en rende compte. On s'est dit que ce serait ça le film. L'histoire de Michel et de son père et de Michel et son grand fils est devenue aussi l'histoire de Michel et son bébé, ce qui a accentué la notion de parentalité. Comment cela va-t-il se tricoter sur trois générations? L'éventail d'émotions du personnage s'élargit alors : qu'est-ce que son rapport avec son père entraîne dans sa relation avec son fils? Qu'est-ce que ça transforme en lui? Et la question dont on n'a pas de réponse: deviens-tu le père ou la mère de tes enfants le jour où tu les acceptes tels qu'ils sont ou l'inverse?

Roméo et François Créton dans "Les Héroïques" © Pyramide Distribution

Avez-vous mis votre veto à certains endroits ?
François Créton : Aucun, parce qu'on a beaucoup puisé dans ma vie, tout en étant conscients qu'on écrivait une fiction. Cela nous permettait d'exagérer des choses pour les pulvériser. Le tournage a été une catharsis pour moi. Il y a eu des moments de guérison. Roméo, qui joue le fils de Michel, est mon fils dans la vraie vie. Il a eu la capacité de rentrer dans la peau du personnage de Léo tout de suite. Une scène m'a particulièrement bouleversé : après qu'il ait rechuté, Michel attend dans un hall et Léo arrive. Il lui dit "je ne veux pas que tu redeviennes comme avant" ce à quoi Michel répond "non". À cet instant, on joue ces deux personnages, tout en étant l'un et l'autre conscients que notre réalité a été ça. On ne l'a pas exprimé comme tel, mais on se l'est dit aussi. Ce moment nous a permis de nous dire l'un et l'autre "ok maintenant c'est sûr, c'est du passé".

"Roméo, qui joue le fils de Michel, est mon fils dans la vraie vie"

Qu'est-ce qui vous a aidé, vous, à vous en sortir ?
François Créton : Les Alcooliques Anonymes ont été une révélation pour moi et pourtant, comme c'est un programme américain, le mot Dieu apparaît souvent et j'avais un peu de mal avec ça... Mais des traductions différentes parlent de puissance supérieure, de puissance du groupe, de "Dieu tel que chacun le conçoit". J'ai finalement découvert un programme spirituel. Là-bas, mes préjugés se sont écroulés. J'ai revu mon regard sur les gens que tu juges hâtivement. Je me suis rendu compte que la possibilité de prendre le temps de travailler sur soi, d'être ensemble, dans une réflexion, à l'écoute les uns des autres, ça fonctionne. J'ai vu des personnes se révéler. Leurs histoires ont changé ma vie. Ça m'est arrivé de ne plus être le même après une réunion. C'est ce qu'on veut dire dans le film: c'est ensemble que ça marche. Comme le dit le dicton: "Tout seul je vais plus vite, mais à plusieurs on va plus loin."

"Les émotions peuvent m'enlever ma sobriété"

Continuez-vous à vous impliquer aux Alcooliques Anonymes ?
François Créton : Oui! Il faut s'occuper des réunions pour qu'elles fonctionnent. Quand je suis arrivé la première fois, heureusement qu'il y avait des anciens. Et puis j'ai remarqué que si je ne me rends pas en réunion, je ne vais pas bien. Je commence à avoir un peu de solidité donc je n'ai pas trop le risque de boire, mais sans ces moments, il me manque quelque chose pour ma sobriété mentale... Même sans consommer d'alcool, les émotions peuvent m'enlever ma sobriété. J'ai besoin des réunions pour la retrouver. Méditer m'aide aussi beaucoup. Le médicament des alcooliques, c'est de l'eau et de l'air!

Quelle a été votre réaction la première fois que vous avez vu le film ?
François Créton : Ça m'a mis une claque. À la fin, je me suis dit "c'est quoi cette vie de merde?" C'était horrible. Je suis rentré à pieds, je n'ai pas desserré un mot... et à la fois j'étais très content. J'ai trouvé le film très dur et comme il est tiré de mon histoire, ça m'a vraiment impacté. Je ne m'y attendais pas. Je pensais que j'aurais autant de recul que pour le tournage. Ça n'a pas été le cas, mais j'étais aussi extrêmement heureux et fier de nous, qu'on y soit arrivé.

François Créton dans "Les Héroïques" © Pyramide Distribution

Comment se défait-on d'un rôle comme celui-ci ?
François Créton : J'ai rejoué depuis et je suis très content de voir qu'on me propose des rôles très différents. Evidemment, on m'a fait faire un mec bourré (dans Suprêmes, d'Audrey Estrougo, ndlr), mais j'ai aussi eu la chance de jouer dans À la folie, de la même réalisatrice qui sortira cet hiver, dans lequel je suis un père un peu limite, dans le déni de la famille qu'il devrait avoir en charge. C'était une continuité par rapport au rôle de Michel, tout en m'en sortant. Le mouvement était différent. Je viens également de tourner dans un premier film où j'incarne un assistant réalisateur homosexuel emmerdé par des gamins à Boulogne-sur-mer. Je suis ravi parce que les réalisatrices m'ont proposé ce personnage après m'avoir vu en Michel, ce qui veut dire que sa tendresse est vraiment palpable.

Quand vous sentez-vous héroïque ?
François Créton : Je ne me sens pas héroïque, je me sens "les héroïques". Le pluriel est important. Les gens me disent souvent que je suis un exemple, alors que ce n'est pas le cas. Je suis juste la preuve qu'il n'est jamais trop tard. J'aide les autres par mon parcours, pour leur montrer que ça existe et eux m'aident à me rappeler d'où je viens et où j'ai intérêt à ne pas retourner. Dans la vie, il y a des moments où l'on ne voit pas les mains tendues et d'autres où l'on peut les attraper. Quand on y parvient, il ne faut pas les lâcher.