Oulaya Amamra : "Le rire est aussi politique que le drame"

Oulaya Amamra met Yasin Houicha au pas dans "Fragile", en salles le 25 août. La jeune comédienne césarisée pour "Divines" joue de sa force de caractère pour incarner cette iniciatrice solaire, prof de dancehall et amie dévouée. Interview avec une assoiffée de vie.

Oulaya Amamra : "Le rire est aussi politique que le drame"
© Marechal Aurore/ABACA

1, 2, 3, une claque. 1, 2, 3, une claque. Oulaya Amamra ne laisse aucun répit à Yasin Houicha dans Fragile. Pour lui apprendre à danser, elle n'hésite pas à le gifler et lui hurler dessus. C'est comme ça que Lila, son personnage, apprend au héros Az les rudiments du dancehall, cette danse jamaïcaine tellement sensuelle. Les partenaires de jeu de Divines se retrouvent face à la caméra d'Emma Benestan. Dans cette romance maîtrisée, c'est elle qui mène la danse (et la barque) quand lui se prend les pieds dans le tapis et se noie dans son chagrin.
Oulaya Amamra a peu tourné depuis son divin raz-de-marée. La faute à son sérieux: après son César, la sœur d'Houda Benyamina (réalisatrice du-dit film) a souhaité entamer des études au Conservatoire pour parfaire son jeu.
"Je m'autorisais un film par an, ce qui m'obligeait à choisir parmi les projets et à être encore plus regardante sur les propositions qu'on me faisait." Studieuse, cette passionnée de théâtre semble toujours l'être malgré le succès. Une rigueur inculquée par des années de danse classique ? Peut-être, mais on retient surtout d'elle une quête éperdue d'expériences, une volonté d'être multiple. Comme quand elle tournait pour Philippe Garrel (Le Sel des Larmes) et enchaînait avec une série Netflix (Vampires), pour mieux nous prendre par surprise en donnant du rythme et en jouant une amie-amoureuse dans Fragile. 1, 2, 3… Suivons Oulaya aussi loin que son talent la portera.

Qu'est-ce qui vous a fait dire "oui" à Fragile ?
Oulaya Amamra
 : J'ai aimé l'idée de ce groupe de jeunes libres, qui ne se posent pas de question. On n'est ni dans un cliché de la banlieue, ni dans une caricature de la famille maghrébine. La diversité n'est même pas un sujet, on l'oublie. La réalisatrice Emma Benestan est parvenue à dépasser ça. En voyant le film, on retient l'amour, l'amitié et la danse. J'aime cette intemporalité, le fait de raconter une histoire qui pourrait se dérouler n'importe où, toucher n'importe qui. Je ressens la même chose devant Dirty Dancing : ça me parle comme ça parlera à d'autres jeunes filles dans 10 ans. C'est ce qu'Emma a cherché à atteindre et c'est pour moi la force de Fragile.

Qui est Lila, votre personnage ?
Oulaya Amamra
 : Lila est une jeune femme indépendante, très en phase avec elle-même. Son passé douloureux l'a transformée en loup solitaire, mais elle aime ça, se retrouver seule, partir en bateau… Elle sait ce qu'elle veut. C'est une guerrière prête à tout surmonter. Et surtout, elle n'attend pas que l'amour la sauve. Elle n'a jamais eu de vues sur Az. Le sentiment amoureux vient la bousculer à un moment de sa vie où elle n'y croit plus. Ça fait du bien de voir un personnage féminin qui n'a pas besoin d'homme pour exister. Ici, c'est le rôle masculin qui est en quête d'amour, qui a l'impression de tout perdre quand il se fait larguer. C'est brillant d'avoir inversé ces codes.

"J'ai pris énormément de plaisir à mettre des claques"

Y avait-il un côté jouissif à jouer ce renversement de situation ?
Oulaya Amamra
 : Vous n'imaginez même pas ! J'ai pris énormément de plaisir à mettre des claques à Yasin (Houicha, son partenaire de jeu, ndlr) pour qu'il danse ou à poser mes pieds sur son dos pendant qu'il faisait des pompes (rires). C'est la première fois que je joue un personnage de ce style, une sorte de coach de vie. J'ai adoré, mais je crois que j'aurais tout autant aimé avoir une fille face à moi. C'est dans le fait de donner des ordres qu'il y a quelque chose de jouissif.

Lila transmet à Az son amour pour la danse. À travers ça, elle lui permet d'accepter sa sensualité et sa fragilité…
Oulaya Amamra
 : Il se débloque par la danse. Au début, il est raide, on sent qu'il n'assume pas une part de lui. Une fois qu'il l'accepte, en se laissant aller, il devient plus beau. Il prouve qu'être soi-même, c'est composer avec sa sensualité et sa féminité.

Oulaya Amamra et Yasin Houicha dans "Fragile" © Haut et Court

Le cinéma a-t-il joué ce rôle pour vous ?
Oulaya Amamra :
C'est ce que j'adore dans ce métier. On a la chance de pouvoir vivre des choses qui nous font évoluer. J'ai appris le dancehall grâce à Fragile et je continue de le pratiquer. Après des années de danse classique, où tout est très droit, rigoureux, je n'avais pas conscience que je pouvais bouger ainsi. J'ai l'impression d'apprendre à être moi-même sur des terrains que je ne soupçonnais pas. Je viens par exemple de jouer une cheffe d'orchestre pour un film intitulé Divertimento et depuis, j'écoute beaucoup de musique classique. Le cinéma m'impacte, me révèle et m'inspire.

Faites-vous attention à ce que vos rôles transmettent comme messages, notamment sur les femmes ?
Oulaya Amamra 
: Forcément, avec une sœur comme la mienne… J'ai découvert le métier avec Houda (Benyamina, réalisatrice de Divines, ndlr). Elle qui aime tant jouer avec les genres et les codes, elle m'a éduquée à ces sujets-là. J'ai grandi avec ce regard, alors quand je lis un scénario, c'est l'histoire d'abord, mais je fais également attention à ce que l'on sorte du schéma habituel. Cette notion est aussi très importante pour Emma Benestan. C'est d'ailleurs parce que j'admire leurs points de vue, que j'aime qui elles sont, que je pourrais jouer dans tous leurs films. Elles pourraient me demander n'importe quoi, je le ferais !

"Je ne supporte pas d'attendre"

Vous voici dans une comédie romantique, après des choix de films plus politiques. Vous cherchez à tout essayer ?
Oulaya Amamra
 : Complètement. J'avais très envie de faire de la comédie, parce que j'aime beaucoup me marrer et parce que j'estime que le rire peut être aussi politique que le drame, voire plus. J'ai la chance de travailler avec des metteurs en scène qui se permettent plein de choses, qui sont super libres.

Vous semblez avoir une réelle soif d'apprentissage. D'où cela vous vient-il ?
Oulaya Amamra 
: Je n'arrête pas ! J'ai terminé le Conservatoire et j'essaie de multiplier les formations. Je vais bientôt participer à un stage de clown. Je cherche à être en mouvement pour apprendre, pour m'enrichir. Je ne supporte pas d'attendre. J'estime que l'on doit beaucoup vivre pour faire ce métier et pour ça, il faut être curieux, observer les gens, faire du sport, ne pas se concentrer uniquement sur la technique. Comme les musiciens, nous devons maîtriser notre instrument. Quand l'acteur investit son corps pour le mettre au service du jeu, ça change tout. Écrire, voyager, rencontrer du monde, aller voir ses amis, jouer au loup-garou… Tout ça, c'est de l'apprentissage.

Oulaya Amamra et Yasin Houicha dans "Fragile" © Haut et Court

 

"J'aimerais bien être enfermée dans le film…"

Comme dans le film, avez-vous une bande, un clan qui vous soutient ?
Oulaya Amamra
 : J'ai une bande de cinéma, avec ma meilleure amie Jisca Kalvanda, Déborah Lukumuena, Samir Decazza… Ce sont des gens avec qui j'ai grandi grâce à l'association 1000 visages, créée par ma sœur. J'aime savoir que nous sommes une nouvelle génération d'acteurs et que nous avons la volonté de réaliser des choses ensemble. On a une autoroute devant nous ! Et étrangement, j'ai le sentiment que je pourrais appartenir à plein de bandes différentes, que j'en aurai sûrement plusieurs au cours de ma vie, avec lesquelles je dévoilerai d'autres parts de moi.

"Fragile" : que vous évoque ce mot ?
Oulaya Amamra 
: Avant ce projet, c'était péjoratif. Être fragile, c'était ne pas tenir le coup, ne pas avoir les épaules. Depuis le tournage, j'ai envie d'assimiler la notion de fragilité à l'amour. Quelque chose dans ce sentiment nous dépasse. Peu importe que l'on soit fort ou non, c'est un endroit de lâcher-prise sans aucune culpabilité. On est nous-mêmes, on est vrai, on ne pense à rien d'autre. Comme Emma, pour toutes ces raisons, j'aimerais bien être enfermée dans le film…