Jodie Foster : "C'est une maladie féminine de vouloir se surpasser "

Palme d'honneur du Festival de Cannes, Jodie Foster prend la défense de Tahar Rahim dans "Désigné Coupable" de Kevin Macdonald, au cinéma le 14 juillet. En plaidant pour le respect des droits de l'Homme sous les traits de Nancy Hollander, l'actrice multi-oscarisée place une nouvelle fois la barre très haut. Rencontre avec une grande représentante du 7e art.

Jodie Foster : "C'est une maladie féminine de vouloir se surpasser "
© Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

"J'ai planté de la lavande et des tournesols chez moi pour penser à la Provence." Jodie Foster, croissant et chocolat chaud en main, nous accueille plus francophile que jamais dans la salle feutrée d'un restaurant cannois. Son phrasé irréprochable dans la langue de Molière, dont nos compatriotes ne se lassent pas, nous cueille d'emblée. Son accent est aussi imperceptible que sa sympathie est palpable. Dans Désigné Coupable, en salles le 14 juillet, celle qui vient de recevoir la Palme d'honneur du Festival de Cannes remise son accessibilité joviale au placard, pour enfiler la robe de l'impénétrable avocate des droits de l'Homme Nancy Hollander.
Bouche fermée par un trait de rouge à lèvres carmin, elle devient la représentante de Mohamedou Ould Slahi, ce Mauritanien emprisonné à Guantanamo pendant 14 ans pour avoir été soupçonné d'être le cerveau des attentats du 11 septembre. Ce rôle, également sa première incarnation politique, lui a valu le Golden Globe de la Meilleure actrice dans un second rôle.

Pour Le Journal des Femmes, la surdouée d'Hollywood admet être studieuse. À la voir mimer de drôles de danses sur la banquette ouatée du palace, on devine le pitre derrière la bonne élève, la grande enfant sous l'immense actrice aux 55 ans de carrière.

Qu'est-ce qui vous a séduite dans Désigné Coupable ?
Jodie Foster : J'étais d'abord embarrassée de ne rien savoir sur Guantanamo. Comme pour tous les Américains, le 11 septembre a été un bouleversement sans parallèle. Alors pour moi, Guantanamo renfermait forcément des méchants. Lire ce script m'a confrontée à mon ignorance et j'ai voulu creuser. La première vidéo où j'ai vu Mohamedou parler, j'ai été frappée par son humilité, sa joie, cette humanité et cette spiritualité qui émanent de lui. J'ai trouvé cet homme exceptionnel. Comment parvenait-il à ne pas être amère, à ne pas vouloir se venger après qu'on lui ait volé les meilleures années de sa vie ? J'ai eu envie de le connaître et d'être un soutien pour l'acteur qui allait l'incarner.

Vous jouez son avocate, Nancy Hollander. Comment prépare-t-on le rôle d'une personne bien réelle et vivante ?
Jodie Foster : C'est difficile. En tant qu'actrice, j'ai toujours envie de changer des choses, mais là je n'avais pas le droit de modifier les faits. J'ai parlé avec Nancy et nous avions le même but : faire un film sur Mohamedou et non pas sur des avocats américains. Nancy est forte, mais pas méchante du tout et très polie. Je l'ai prévenue que je voulais faire remonter ses facettes plus froides pour qu'on la voie fondre petit à petit au contact de Mohamedou.

Pourquoi avoir insisté pour la dépeindre sans sentimentalisme ?
Jodie Foster : La vraie Nancy se fiche de savoir si ses clients sont coupables. Elle dit même que c'est mieux s'ils le sont parce que ça lui simplifie la tâche ! Son métier est précieux, quelqu'un doit absolument l'exercer, bien qu'une telle profession finisse par vous déchirer. Elle ne l'admettra pas, mais elle a été déçue au point d'avoir le cœur brisé. 

"À la manière des bonnes sœurs, nous accompagnerons jusqu'à la mort"

L'un des moteurs de Nancy Hollander est de reconnaître l'humain derrière chaque être. N'est-ce pas là aussi le rôle des acteurs ?
Jodie Foster : C'est vrai. Comme elle, nous avons une mission spirituelle. À la manière des bonnes sœurs, nous suivons les personnes et nous les accompagnerons jusqu'à la mort, même si elles sont coupables d'un affront terrible. Cela fait partie de notre contrat avec l'humanité.

Jodie Foster en Nancy Hollander © TM Films, SunnyMarch

Avez-vous déjà éprouvé des difficultés à trouver cette humanité dans un personnage ?
Jodie Foster : Je n'ai pas joué beaucoup de méchants dans ma vie, mais Les Accusés a été difficile pour moi. J'étais en conflit interne avec mon personnage, Sarah Tobias, que je trouvais vulgaire, un peu bête. Elle riait trop, elle voulait danser tout le temps… J'ai eu du mal à regarder le film la première fois parce que je ne m'y voyais pas du tout. Malheureusement, des préjugés anti-féministes me laissaient penser que ce qui lui arrivait était un peu sa faute (un viol collectif, ndlr). C'est ce qui est génial avec le cinéma : nos personnages modifient nos points de vue.

Kevin MacDonald dit avoir été impressionné par votre intuition pourtant on vous décrit souvent comme une actrice cérébrale. Où se situe la vérité ?
Jodie Foster : Mes études académiques m'ont appris qu'on devait naviguer entre les deux en tant qu'artiste. On oscille toujours entre l'apollinien et le dyonisien, si on parle philosophie. Dans la performance, il y a la partie décisionnaire, celle qui nous pousse à faire des choix, à suivre un schéma, à construire une structure… Et puis quelqu'un dit "action" et on se met à danser instinctivement. L'un ne va pas sans l'autre.

"Je ne suis pas née actrice, je n'ai pas la personnalité qui va avec"

Pour vous, peu importe son genre, qu'on soit homme ou femme, il est difficile de trouver des bons rôles à Hollywood. Qu'est-ce qui fait un bon rôle ?
Jodie Foster : C'est toujours personnel. Parfois c'est même inconscient. Je ne sais pas nécessairement ce qui me fascine quand je lis un scénario. C'est avec le travail du texte ou le fait de parler aux autres que j'arrive à comprendre la référence intime. Je ne suis pas née actrice, je n'ai pas la personnalité qui va avec. C'était le job de la famille, j'ai été poussée dedans à 3 ans sans avoir le choix. Je suis venue au métier d'une manière différente des autres. La seule raison pour laquelle je joue, c'est pour soutenir des histoires que j'ai envie de voir. Je ne fais pas ça parce que j'adore danser, porter des robes ou parler avec des accents ! Pour moi, le jeu c'est un peu comme la guerre pour les militaires. On n'a pas forcément envie d'y aller, mais on se lance motivé par le résultat.

Tahar Rahim et Jodie Foster dans "Désigné Coupable" © TOBIS Film GmbH

Après 55 ans de carrière, ce sont toujours les histoires qui vous animent ?
Jodie Foster : Ces 20 dernières années, j'étais focalisée sur les metteurs en scène. J'avais envie de regarder par-dessus leur épaule et de pouvoir dire comment ils faisaient leur choix. Quand j'étais jeune, j'étais davantage tournée vers moi. Plus récemment, pour mes deux derniers films en tant qu'actrice, j'ai créé la confusion chez mes agents : "Vraiment, Hotel Artemis et Désigné Coupable ?" (elle les imite, ndlr). L'explication, c'est que j'éprouve énormément de joie à mettre les outils que je manie depuis des années au service des performances des autres.

D'où vous vient cette volonté de ne pas être là où on l'on vous attend ?
Jodie Foster : Je me sens mieux avec des personnages forts, intellectuels et sensibles, dans des rôles de meneurs. Ça a toujours fait partie de ma personnalité, même quand j'étais petite. Je ne sais pas pourquoi c'est inattendu pour beaucoup !

"Ma mère m'a élevée en tant qu'être humain et pas en tant que femme"

Plus jeune, vous disiez vouloir faire partie du système pour le changer de l'intérieur. Vous y êtes parvenue ?
Jodie Foster : Je ne suis pas une révolutionnaire et je n'en suis pas fière. Sans être conventionnelle, je reste une bonne élève. J'aime le système et même si je sais qu'il doit changer, je préfère me fier à lui. Je ne suis pas du genre à enfoncer les portes.

Pourtant, vous avez ouvert la voie à de nombreuses femmes en incarnant des personnages loin des clichés hollywoodiens ou en prenant place derrière la caméra…
Jodie Foster : C'est ce qu'on me dit et en regardant en arrière j'imagine que c'est vrai, mais j'ai l'impression d'avoir simplement exprimé mes désirs. Ma mère, qui était une mère célibataire, m'a élevée en tant qu'être humain et pas en tant que femme. Selon elle, j'avais les capacités pour réaliser ce qu'elle n'avait pas pu faire. Elle me disait "tu seras médecin, avocate ou présidente des États-Unis". Toujours ces trois choix-là ! Inconsciemment, elle m'a incarnée psychologiquement. Elle m'a donné le privilège d'être égale aux autres. En même temps, je savais que je devais prouver ce dont j'étais capable. C'est une maladie féminine, de vouloir se surpasser parce que l'on croit que l'on n'est jamais assez bien.