Aure Atika : "Faire un enfant aujourd'hui, je trouve ça d'une rare violence"

Dans "Voir le Jour" de Marion Laine, déjà disponible en VOD et en DVD le 1er décembre, Aure Atika est plongée au cœur d'une maternité, endossant un rôle sensible. Pour le Journal des Femmes, la comédienne, réputée pour ses choix éclectiques, revient sur cette expérience marquante.

Aure Atika : "Faire un enfant aujourd'hui, je trouve ça d'une rare violence"
© Pyramide Distribution

Depuis ses débuts, elle navigue entre cinéma populaire (La Vérité si je Mens, OSS 117, Le Caire, nid d'espions, Comme t'y es belle) et cinéma d'auteur (De battre mon cœur s'est arrêté, Mademoiselle Chambon, Le Skylab). A 50 ans, Aure Atika est plus que jamais animée par une liberté artistique qui se dessine au fil de ses choix. Dans Voir le Jour de Marion Laine, aux côtés de Sandrine Bonnaire et Brigitte Roüan, elle incarne un personnage qui œuvre avec cœur et passion au centre du tumulte d'une maternité. Elle se confie aux Journal des Femmes.

Voir le Jour évoque, entre autres thématiques, les difficultés rencontrées au quotidien par le corps médical. En aviez-vous conscience ?
Aure Atika :
Oui, j'en avais conscience parce que je m'intéresse quand même à la société civile. Et à la société tout court. Tout en véhiculant de l'espoir, le film parle en effet de ces difficultés. Il est certain que la crise du Covid nous a fait mettre en lumière tout ce qui s'y passe : le peu de moyens à disposition, ce souci de rentabilité qui pèse, le fait d'aller plus vite et d'avoir donc moins de temps pour s'occuper des patients... Il n'y a pas assez d'infirmières, d'aides-soignantes…  

"Il n'y a pas assez d'infirmières, d'aides-soignantes"

En ayant plongé fictivement dans le quotidien médical, peut-on ressentir plus intimement ce que les professionnels de santé traversent en ce moment ?
Aure Atika :
On a tourné un an avant le confinement. Bien sûr, cela fait écho. On a vu comment ça se passait. On le savait déjà un petit peu. On a compris quelques trucs en plus... Le film parle de ça. Pour autant, nous ne sommes pas des soignants, pas des médecins. Nous ne sommes que des comédiens… Qu'on se sente plus concerné.e.s parce qu'on a tourné dans ce film… ? Non ! 

"Nous ne sommes que des comédiens"

Sandrine Bonnaire et la réalisatrice Marion Laine n'ont pas trouvé cette question étrange mais bon, passons. Comment avez-vous perçu votre personnage et, plus généralement, cet attachement ensemble de femmes soudées au sein d'une maternité ?
Aure Atika :
Au-delà du groupe de soignants, ce sont avant tout des femmes avec des parcours individuels singuliers. C'est ce qui est beau ; derrière chaque fonction, il y a un être humain, un cheminement particulier, des motivations diverses, des blessures… On a tous notre petite charrette sur le dos avec nos manques, nos creux… Le film met cela en lumière par le prisme de ces femmes, lesquelles sont réunies par un même but: soigner les gens, donner le jour à de beaux bébés, en pleine santé, réconforter… Concernant mon personnage, Sylvie, il y avait un double aspect intéressant à jouer: c'est une sorte d'infirmière-cheffe qui ne laisse pas de place à l'affect et, dans le même temps, elle a une vraie fêlure, qui fait aussi écho à ce que vit l'héroïne incarnée par Sandrine Bonnaire.

Sandrine Bonnaire apporte généralement beaucoup d'humanité à ses personnages. Cela transparaît en tout cas à l'écran. L'avez-vous ressenti sur le tournage ?
Aure Atika :
Oui, même si je n'ai pas eu énormément de jours avec elle. Elle a une grande humanité, une vraie simplicité et cette proximité avec les gens. C'est facile de jouer avec elle. C'est une super partenaire… Après, quand on joue, on ne fait pas forcément attention au jeu de l'autre mais on est plus en réaction à ce qu'il ou elle fait.

Le film résonne comme un hymne à la sororité. D'ailleurs, un écrasante partie de l'équipe technique est féminine. Était-ce important pour vous ?
Aure Atika :
Il y avait effectivement une sororité sur le plateau. C'est en tout cas très agréable d'être une bande de femmes, à la fois différentes et complémentaires… Surtout en ce moment… Ça ne veut pas dire que c'est quelque chose qu'il faut cultiver de manière drastique mais c'est agréable… Il s'agit d'un passage obligé pour que les choses s'équilibrent par la suite.

Aure Atika et Kenza Fortas dans "Voir le Jour". © Pyramide Distribution

Existe-t-il pareille sororité chez les actrices ? Est-ce que vous vous serrez mieux les coudes ?
Aure Atika :
Oui, je trouve. On a envie de se soutenir, on sait que c'est un métier pas facile. Peut-être qu'on est justement à des âges où on exprime plus cette sororité. C'est important de le manifester. On sait que c'est plus dur pour les femmes.

"Dans un film, il y a 5 acteurs pour une actrice…"

En quoi est-ce plus difficile pour une actrice ?
Aure Atika :
C'est plus difficile pour une femme que pour un homme et ce n'est pas d'aujourd'hui. Pourquoi ? Les femmes, c'est beaucoup sur l'apparence physique. Au cinéma, un homme de 50 ans peut sortir avec une fille de 30 ans sans que ça ne pose de problème à personne. L'inverse n'est pas vrai. Dans un film, il y a 5 acteurs pour une actrice… C'est plus dur…

Qu'est-ce que l'expérience de la maternité a changé dans votre vie ?
Aure Atika :
C'est vieux… Moi, je suis maman depuis tellement longtemps…

C'est intemporel la maternité…
Aure Atika :
Oui, mais qu'est-ce que ça a changé ? C'est quelque chose qui… Disons que le changement est lointain. Être mère, c'est peut-être accepter plus ses fragilités, ses faiblesses. Et, plus largement, être parent permet de se remettre en cause à chaque étape de la vie de l'enfant ; ça nous interroge sur où on se place, comment on gère, ça nous renouvelle tout en restant jeunes aussi.

"En général, je suis de nature optimiste. Mais là…

Quelle est la chose la plus précieuse à transmettre à son enfant ?
Aure Atika :
Tellement… L'indépendance, aller au bout de ses envies, la curiosité… C'est déjà pas mal…

Vous avez dit en interview que votre mère était une femme qui s'est perdue dans sa liberté. Cela vous est arrivé aussi ?
Aure Atika :
Je ne sais pas si ça m'est arrivé. Mais je peux être impulsive, chérir ma liberté plus que tout et agir sous le coup de l'impulsion et pas… Je ne sais pas, c'est compliqué comme question (rires)…

Voir le Jour dans le monde actuel, ce n'est pas super glorieux…
Aure Atika :
Faire un enfant aujourd'hui, je trouve cela d'une rare violence. Entre la Covid-19, les extrémismes, les gens qui se hurlent dessus au lieu de se parler, la pensée unique, le refus du dialogue, le fachisme de gauche ou de droite… C'est terrible, c'est un monde un peu triste. Il parait qu'il faut être optimiste mais…

Vous avez du mal à positiver ?
Aure Atika :
Pourquoi, vous êtes optimiste là, vous, en ce moment ?

J'essaye de me dire "ça va" pour induire du positif même si, à ce jour, je suis faussement optimiste…
Aure Atika :
Ne pas être optimiste, ce n'est pas forcément être dépressif ou angoissé. Je suis plutôt fataliste. Mais, en général, je suis de nature optimiste. Mais là…  

Qu'est-ce qui vous apporte de l'apaisement ?
Aure Atika :
Les rapports avec ma fille, mes proches, ma famille… Le lien amical ou amoureux ou familial est très important, même si c'est juste au téléphone… Savoir qu'on n'est pas seuls... Autrement, je dirais le sport, une bonne alimentation, des bonnes lectures, des classiques du cinéma… La poésie, l'art, c'est ce qui permet d'avoir foi dans le monde et l'humanité.