Kristin Scott Thomas : "C'est dur de garder ses distances, de résister à l'appel du groupe"

Dans la comédie dramatique "The Singing Club" de Peter Cattaneo, disponible en DVD, Kristin Scott Thomas brille à la tête d'une chorale d'épouses de soldats catapultés au front. Un rôle à sa mesure sur lequel elle revient pour le Journal des Femmes.

Kristin Scott Thomas : "C'est dur de garder ses distances, de résister à l'appel du groupe"
© Pyramide Distribution

The Singing Club de Peter Cattaneo, le papa de The Full Monty, est désormais disponible en DVD. Coup de cœur cinéma, ce film sera l'occasion d'applaudir devant votre petit écran le parcours, inspiré d'une histoire vraie, d'une chorale de femmes de soldats menée par une héroïne verrouillée mais pleine de cœur. Sous ses traits, Kristin Scott Thomas signe une nouvelle performance d'actrice de grande facture. En pleine résidence de campagne, la star britannique a répondu à nos questions via l'application Zoom, avec le sourire et une bonne humeur contagieuse. Entretien. 

Vous avez tourné dans la garnison d'origine, mais aussi dans la maison où Kate, votre personnage, a lancé la chorale. Certains figurants faisaient partie des vraies familles des militaires… Est-ce pour toutes ces raisons que vous avez accepté ce projet ?
Kristin Scott Thomas :
J'ignorais tout ça. J'ai accepté ce projet bien en amont, à la lecture du scénario. Ce qui m'a intriguée, c'est le récit de ces femmes, de ces enfants et parfois de ces maris qui sont laissés en Angleterre, derrière, quand les autres vont se battre, sacrifiant leurs vies pour leur pays. On parle souvent des héros de la guerre mais beaucoup moins de leurs proches qui, souvent, perdent tout. J'aime par ailleurs mon personnage. C'est une femme de militaire qui est en conflit permanent entre ce qu'elle doit montrer et ce qu'elle ressent ; ce qu'elle subit intérieurement est très différent de ce qu'elle projette. L'histoire de The Singing Club est vraie, du moins celle de la chorale. Les femmes en question ont vraiment signé un tube absolu à partir des lettres qu'elles ont écrites à leurs partenaires. Cela a été un phénomène Outre-Manche. Je n'étais pas au courant de ça car, à l'époque, j'habitais en France. Le pays tout entier était fier de ces femmes.

Comment expliquez-vous l'engouement national pour cette chorale ?
Kristin Scott Thomas :
Cela correspond à une période où la guerre en Afghanistan se passait très mal. Il y avait énormément de morts. On voyait tant d'images absolument bouleversantes de ces cercueils acheminés et de ces femmes en noir qui pleuraient. C'était horrible de voir ça. Et, en même temps, c'était aussi un émouvant antidote de voir que ces dernières n'étaient pas forcément victimes, qu'elles avaient aussi une manière de combattre ça, qu'elles ne restaient pas muettes ou pleurantes. On capture bien cela dans le film.

Auriez-vous supporté l'attente dans laquelle sont ces femmes ?
Kristin Scott Thomas :
C'est l'horreur ! Mais vous savez, mon père était aviateur dans la marine. Je connaissais donc cette attente, cette angoisse de ne pas savoir ce qui se passe, la catastrophe de l'annonce de la mort… J'ai vécu ça petite fille. Et je pouvais m'y appuyer pour le rôle. (…) Quand on joue un personnage, il faut avoir de l'empathie ; c'est ce qui m'intéresse dans mes choix. En Angleterre, il y a beaucoup d'humour dans ce qui est terrible et sombre, ça me plait. Ces contradictions m'attirent et font partie de mes choix artistiques en général, de vêtements, de couleurs de cheveux, de logements… (rires) J'ai souvent incarné des femmes dures, difficiles, j'aime gratter pour les comprendre. J'ai toujours pensé qu'une personne un peu rude est forcément aimée par quelqu'un (rires). Pourquoi et comment se fabriquent les carapaces ? Je me le demande.

"Je fais beaucoup plus attention à ma voix"

Vous n'êtes donc pas du genre à juger les autres… Alors que vous, les personnalités du cinéma l'êtes souvent sur un simple état d'âme, sur un geste… C'est peut-être de là que vous vient cette empathie
Kristin Scott Thomas : Oui, oui, peut-être… Je n'y avais jamais pensé. Mais je vais y réfléchir pour la prochaine (rires).

Kristin Scott Thomas dans "The Singing Club". © Pyramide Distribution

Avez-vous rencontré certaines de ces femmes pour préparer le rôle ou, au contraire, avez-vous préféré vous tenir à distance ?
Kristin Scott Thomas :
Le scénario avait fait l'objet de beaucoup de recherches. Il était donc déjà très riche. J'ai rencontré des femmes de soldats, de militaires, de colonels, mais aussi des mères de soldats tombés, souvent très jeunes pendant la guerre d'Irak. Je me suis renseignée à ma façon. Côté chant, j'ai fait confiance au prof de la chorale, qui nous a appris à chanter.

Le film célèbre justement les vertus cathartiques de la chanson, de la musique. Est-ce que ça l'est pour vous ?
Kristin Scott Thomas : J'aime beaucoup chanter. . J'ai énormément de plaisir à chanter pour un spectacle, pour un rôle ou pendant des cours… Si j'avais plus de courage ou de talent, peut-être que j'aurais participé à une chorale… Mais ma vie est tellement mouvementée que je ne suis jamais au même endroit plus de cinq minutes, sauf évidemment en 2020, qui est une année très spéciale. J'aime la musique, mais je ne chanterai jamais.

Ne jamais dire jamais…
Kristin Scott Thomas :
Ah si, ça, je vous assure. Il vaut mieux dire jamais (rires) !

Beaucoup d'actrices et d'acteurs évoquent le chant dans un film comme une mise à nu encore plus forte que le jeu. Vous trouvez aussi ?
Kristin Scott Thomas :
Evidemment ! On se dévoile plus car rien ne cache la voix. Je ne sais pas s'il vous est déjà arrivé d'être aphone mais ça vous démunit totalement, c'est épouvantable. Ça a été mon cas et j'avais l'impression que je ne pouvais pas faire mon métier. Maintenant, je fais beaucoup plus attention à ma voix. Au cinéma, quand je dois crier, je fais des échauffements. Vous savez, dans la rue, on me reconnait davantage pour ma voix que pour mon visage, car je change souvent d'apparence physique. La voix demande une impudeur. J'ai trouvé cette expérience assez difficile parce que, en Angleterre, tous les acteurs savent chanter et danser. Ils sont tous terrains et je me sens toujours nulle par rapport à ça. Je n'ai jamais fait de comédie musicale. J'ai failli en faire une mais je me suis retirée à la dernière minute. Je m'étais blessée au pied ; c'était A Little Night Music de Sondheim.   

"On a du mal à résister à l'appel du groupe"

Ces femmes trompent l'ennui en chantant. Et vous ?
Kristin Scott Thomas :
Avec le jardinage. J'ai toujours aimé ça. Et là, depuis le confinement à la campagne, j'ai commencé à faire pousser des légumes pour tromper l'angoisse. Tous les jours, planter des graines et voir des choses pousser dans des petits pots, c'était rassurant… Rassurant de me dire que le monde n'est pas devenu fou. C'était très bon pour lutter contre le stress.

Toucher la terre nous relie au monde, c'est cosmogonique…
Kristin Scott Thomas :  
Je suis complètement d'accord avec vous… Et on voit ça avec les enfants, qui aiment faire des pâtés. Je suis super contente de creuser, d'enlever les mauvaises herbes…

Kristin Scott Thomas et une partie du casting de "The Singing Club". © Pyramide Distribution

Vous n'avez pas eu le temps de manger vos légumes alors ?
Kristin Scott Thomas :
Si, si… On a fait ça tout l'été et on a tout mangé (rires). Il y avait des haricots verts, des fèves, des pommes de terre, des choux, des épinards, des courgettes, des choux kales…  

Revenons au film, qui nous rappelle combien l'union fait la force. C'est peut-être bateau à dire mais on en a sacrément besoin aujourd'hui, non ?
Kristin Scott Thomas :
Bien sûr que oui… Regardez combien de communautés en ligne ont été créées depuis l'apparition de la pandémie. L'être humain a besoin de l'autre. C'est dur de garder ses distances, on a du mal à résister à l'appel du groupe, on est fait pour faire société. En ce moment, ce minuscule virus nous bousille la vie mais ça va finir. Il faut tenir bon. C'était en tout cas agréable de jouer avec ce groupe de femmes. Elles savaient chanter, moi non. Ça mettait tout le monde au même niveau, il n'y avait pas de hiérarchie entre nous, pas de premier rôle. On a loué des maisons pour nous, on était 40 au fin fond de l'Angleterre, et on cuisinait chez les unes et chez les autres. C'était archi sympa.

The Singing Club est aussi le récit d'un Empowerment féminin. Est-ce que vous avez le sentiment que ça va mieux pour les femmes dans le monde du cinéma ?
Kristin Scott Thomas :
En ce moment, vous êtes un homme blanc de 40-50 ans, vous êtes mal. Il faut être au moins une femme, de préférence de 50 ans… Il y a plus de chance pour nous… Le vent tourne… Mais le cinéma est dans une période extrêmement difficile. Je ne sais pas s'il va survivre, qu'est-ce que vous en pensez ? On va être obligés de changer notre façon de consommer, j'ai l'impression que ça va être dur.               

DVD dispo le 6 avril 2021 © Pyramide Distribution

The Singing Club 

de Peter Cattaneo (The Full Monty)
avec Kristin Scott Thomas, Sharon Horgan, Jason Flemy…
Le réalisateur de The Full Monty revient avec une comédie dramatique so british inspirée de la toute première chorale de femmes de militaires au Royaume-Uni. Il y célèbre le pouvoir cathartique de la musique.

Disponible en DVD ( Pyramide vidéo)
 19,99 euros

Synopsis:
Yorkshire, 2011. Les soldats de la garnison de Flitcroft sont envoyés en mission à l'étranger. Pour tromper leurs angoisses, leurs compagnes décident de créer une chorale. Elle est dirigée par l'austère mais surprenante Kate Barclay, épouse du colonel. Soudées par une envie commune de faire swinguer leur quotidien, Kate, Laura, Annie et les autres porteront leur " Singing Club " jusqu'au Royal Albert Hall pour un concert inoubliable.
Bonus:
Entretien avec le réalisateur et les actrices (14 mn)
Making-of (17 mn)