Karin Viard (CHANSON DOUCE) : "Je ne suis pas dans la séduction"

C'est l'une des nos plus grandes comédiennes. Dans "Chanson Douce", l'adaptation du roman homonyme de Leïla Slimani par Lucie Borleteau, Karin Viard incarne une nounou inquiétante et épate dans un registre sombre qui lui va impeccablement.

Karin Viard (CHANSON DOUCE) : "Je ne suis pas dans la séduction"
© LAURENT VU/VILLARD/SIPA

C'est un rôle sombre, tourmenté, glaçant, comme elle en a encore jamais incarné. Karin Viard déroute et émerveille sous les traits de Louise, une nounou bordeline et terriblement inquiétante, dans "Chanson Douce", l'adaptation du roman homonyme de Leïla Slimani, Prix Goncourt en 2016. Mis en scène par Lucie Borleteau, ce drame tendu, brodé sur le modèle d'un crescendo, met son personnage face à un couple de parisiens (Leïla Bekhti et Antoine Reinartz) et à leurs deux enfants. Toujours aussi affable, Karin Viard s'est confiée au Journal de Femmes avec cette sincérité et ce naturel qui font tout son charme, devant l'écran, comme dans la vie. 

Vous avez une image de jovialité, d'accessibilité, de gentillesse… Votre personnage dans Chanson Douce, c'est tout le contraire. Il est sombre, loin de ce que vous avez fait auparavant, déroutant aussi…
Karin Viard :
C'est justement parce qu'il est loin de ce que je joue d'habitude que j'ai eu très envie de le faire. C'est moi qui ai fait acheter les droits du bouquin ; je voulais jouer ce rôle pour une raison que je ne saurai expliquer. Je ne me pose jamais la question suivante : "Que va-t-on penser de moi ?" Je prends plutôt les choses de l'intérieur, à partir de mon désir. Même s'il est difficile à regarder, ce personnage est aussi notre humanité. Il a été créé par notre société. C'est une femme ivre de solitude, déréglée. C'est atroce. Ça m'intéressait d'investir ce terrain-là. Surtout que, comme vous dites, je suis joviale...

Il parait d'ailleurs que ça vous étonne d'inspirer aux autres cette sympathie…
Karin Viard :
Oui… Parce que je suis juste moi-même. Je n'essaye pas d'être sympathique. Je ne suis pas dans la séduction. Ce n'est pas ce qui me meut. J'ai joué des rôles sympathiques, mais pas que. Je crois que ma proximité aux autres aide à ce sentiment. Je suis chaleureuse, pas snob et je sais surtout d'où je viens.

Karin Viard dans "Chanson Douce". © Studicanal

Est-ce important dans ce métier de ne pas oublier d'où l'on vient ?
Karin Viard :
Je pense que c'est même très important. Il ne faut pas oublier l'enfant qu'on était. Quand vous venez de la mouise comme de la haute, c'est bien de ne pas l'oublier, de ne pas renier ses origines… (Réflexion) En qualité d'acteur, c'est primordial de pouvoir camper des gens qui viennent de tous milieux. Pour ça, il faut être protéiforme, à l'écoute et empathique. Peut-être que ce qui me rend sympathique, c'est justement mon empathie.

La façon d'où vous parlez de votre personnage, pourtant super flippant, le prouve… Qu'avez-vous ressenti en l'incarnant ?
Karin Viard :
Ça peut paraître bizarre mais je me suis follement amusée. C'est un rôle fort. Vous savez, parfois, des personnages peuvent être chatoyants et séduisants et se révéler être au final des coquilles vides. Là, c'est l'inverse. Elle se définit par des couches successives. Sa folie prend racine très profondément. Du coup, on lui crée un passé, des histoires, des difficultés… J'ai eu envie qu'elle ait un problème de thermostat dans le film : parfois trop excitée, parfois trop calme… Ça m'a passionnée de travailler sur elle, de la rendre réelle.

Vous êtes-vous demandée qui est responsable de sa folie ?
Karin Viard :
Non, car ça ne m'aide pas dans l'interprétation. Mais je pense que c'est une combinaison de choses : c'est elle, sa solitude prépondérante et la violence de la société, qui met une pression folle, aussi bien aux vieux qu'aux jeunes, aux femmes qu'aux hommes, qui enferme les individus hors normes, qui suscite une peur du déclassement, de l'humiliation sociale… C'est l'enfer. Il y a une injection à la norme aujourd'hui. Quand j'étais petite, j'ai l'impression que les gens de la frange étaient mieux acceptés.

La folie de l'autre, ça vous effraie ?
Karin Viard :
Non… Ça m'intéresse… Peut-être parce que je suis actrice. J'ai envie de savoir, de communiquer pour comprendre. Ça titille ma curiosité. En tout cas, je ne suis pas partie du principe que cette nounou est folle mais qu'elle est en souffrance. Je n'ai d'ailleurs jamais joué la folie même si elle est très borderline. On sent le gouffre. Il y a quelque chose de mortifère en elle. Pour la construire, je pense au chemin qui me mène à elle et pas au résultat. Je l'ai approchée sans la juger. Quand je joue, je ne suis pas du côté de la morale. Mon travail consiste à être dans une forme de lâcher-prise qui permet à l'inconscient de s'exprimer et d'appréhender les imprévus sur le plateau.

Craigniez-vous, avec un rôle aussi casse-gueule, de sombrer dans le surjeu, la caricature ?  
Karin Viard :
Pas du tout… Encore une fois, je m'oublie… Ce que trouve jubilatoire, c'est de s'oublier. De ne plus être dans le contrôle. Le cas échéant, on donne l'impression de la vie sans trop être vivant. Ce que je recherche, c'est la vie.

Vous dites que Louise n'était pas à la bonne place…
Karin Viard :
(elle coupe) Dans ma vie, j'ai remarqué que les gens qui ont des problèmes de places sont souvent ceux qui créent le conflit. La place qu'on pense avoir mais qu'on n'a pas, la place qu'on réclame, être illégitime à une place… Ça crée des comportements-types qui génèrent la violence pour soi et envers les autres. De l'aigreur, de la frustration, aussi.

Est-ce que le cinéma est votre bonne place ?
Karin Viard :
Absolument ! C'est sans doute là où je suis le plus à ma place, où je m'épanouis le plus, où je m'exprime le mieux…

Vous l'avez compris vite ?
Karin Viard :
Oui, même avant d'en être. C'est de l'instinct. A neuf ans, en voyant Anthony Quinn en Quasimodo dans Notre Dame de Paris, ça a été le déclic. Il m'a donné envie de faire ce métier. Ce monstre, qui est un être sublime enfermé dans un corps hideux, m'a tellement bouleversée. Ça a explosé les murs de ma vie. Un horizon s'est ouvert. L'émotion que ça a fait naître en moi était folle. En me couchant le soir, je me suis dit : "Je veux faire ça". Et ça ne s'est jamais démenti. Peut-être que de manière inconsciente, je me suis retrouvée en Quasimodo. Je ne rêvais pas en tout cas d’Esméralda. 

"Un enfant, c'est notre humanité, notre avenir, une fleur à arroser."

Que vous a appris ce métier de plus précieux sur vous ?
Karin Viard :
(Très longue réflexion) Que je suis intéressante...

Vous en doutiez ?
Karin Viard :
Je ne sais pas répondre à cette question…

Qu'est-ce qui continue à vous nourrir dans ce métier ?
Karin Viard :
Les rôles, les rencontres avec les metteurs en scène et mon désir insatiable de faire du cinéma, de raconter des histoires… Ce désir ne cesse d'enfler.

Karin Viard dans "Chanson Douce". © Studiocanal

Vous parliez plus tôt de la violence de la société… N'est-ce pas flippant d'avoir des enfants dans un monde aussi tourmenté ? Vous avez participé à des projets qui rejoignent cette idée comme Polisse, Les Chatouilles… Est-ce un hasard ?
Karin Viard :
Ça me touche, c'est atroce. Quand je vois des fous, des gens qui éructent dans la rue…, je me demande quels enfants ils ont été. Des enfants qu'on n'a tellement pas aimés, regardés, choyés… Pour moi, un enfant aimé et choyé devient un adulte honorable. Mais quand il est mal-aimé, battu, qu'il voit sa mère se faire battre par son père, qu'il est témoin de choses horribles, qu'il est soumis à des films de cul à 4 ans, etc, ça déboulonne complètement. Un enfant, c'est notre humanité, notre avenir, une fleur à arroser.

Comment avez-vous fait pour protéger au mieux les vôtres de la violence du monde ?
Karin Viard :
On ne peut pas les protéger de ce que nous sommes. Avec les parents, ils ont le poison et l'antidote. Je crois que le meilleur moyen de les protéger, c'est de les aimer et surtout de les écouter. Mais ce n'est pas toujours facile à faire.   

Que faites-vous quand vous ne tournez pas ?
Karin Viard :
Je vis très normalement. J'aime aller à la danse, faire de la barre au sol, bouger mon corps… J'adore aller au cinéma, à des expos, en vacances, inviter les amis, faire la cuisine… J'achète souvent des livres de cuisine. Ça n'a l'air de rien, mais je suis hyper bonne dans les mélanges de salades. J'aime les desserts, le baba au rhum de Cyril Lignac, il est bien imbibé, la chantilly est bonne, et la tarte au citron de chez Bontemps. Prenez-là, elle est dingue !

Dernière chose, êtes-vous toujours active sur le front de l'écologie ?
Karin Viard :
Je n'ai pas le temps d'être active mais à mon niveau, je fais ce que je peux : je trie mes déchets, je jette mes ampoules aux bons endroits, je recycle les sacs plastiques, j'aime cette inclinaison des sacs en papier, cette idée d'arriver avec les contenants pour faire ses courses. Je prends peu de bains, plutôt des douches, je coupe l'eau quand je me brosse les dents. Par contre, je n'en suis pas encore à acheter des fringues écolos parce que je les trouve trop moches… C'est au-dessus de mes forces (rires).   

"Chanson douce // VF"