Mélissa Theuriau : "Une rencontre avec son agresseur peut changer le destin"

Maiana Bidegain a rencontré l'homme qui l'a violée lorsqu'elle était enfant, grâce à la justice restaurative, introduite récemment en France. Ce modèle propose d'aider la victime à apaiser ses maux grâce au dialogue avec l'homme qui en est responsable. Un parcours transposé dans le documentaire "Rencontre Avec Mon Agresseur", diffusé le 4 juin à 20h50 sur France 5. Entretien avec Mélissa Theuriau, qui a produit le long-métrage.

Mélissa Theuriau : "Une rencontre avec son agresseur peut changer le destin"
© Alban Wyters/ABACAPRESS.COM

Mélissa Theuriau a participé à un projet édifiant en produisant le documentaire Rencontre Avec Mon Agresseur, de Maiana Bidegain, diffusé le 4 juin à 20h50 sur France 5. Ce long-métrage met en lumière la justice restaurative, un modèle proposé en France depuis 2014, qui offre à la victime la possibilité de dialoguer avec son agresseur dans une optique d'apaisement ou de réparation. Maiana Bidegain a été violée à 7 ans. C'est 33 ans après les faits, en découvrant que son agresseur avait récidivé, que la réalisatrice a souhaité rencontrer l'homme qui a assombri sa vie. Un dialogue qui a été possible après des mois de médiation et de préparation. Maiana Bidegain a documenté son parcours bouleversant vers la cicatrisation et a fait appel à Mélissa Theuriau pour l'aider dans sa démarche. Entretien avec la journaliste, productrice du long-métrage.

Le Journal des Femmes : D'où est partie l'idée de produire un documentaire qui mette en avant la justice restaurative ?
Mélissa Theuriau :
J'ai été extrêmement touchée par la détermination de Maiana, qui est venue vers moi pour raconter son histoire. Elle était la première Française à accéder à ces rencontres directes, donc c'était tout à fait nouveau et c'était l'occasion de l'accompagner dans cette expérience. On ne connaissait pas la fin de ce film. C'est exceptionnel de vivre cette aventure de production, de l'accompagner pas à pas dans ses réunions de préparation, dans ses peurs et sa détermination de rencontrer cet homme. C'était l'occasion de faire découvrir cette forme de justice que peu de Français connaissent. Je pense qu'elle peut, si ce n'est réparer, amener de l'apaisement. 

Comment le dialogue parvient-il à apaiser les victimes ?
Mélissa Theuriau :
Je crois qu'une rencontre peut changer le destin. L'écoute est un outil simplissime, et pourtant, on passe souvent à côté. Même les non-réponses, qui peuvent nous paraître frustrantes en tant que téléspectateurs, aident la victime. Le fait d'avoir pu poser la question et regarder son agresseur en face, soulage. Evidemment, on ne peut pas sonder les âmes, n'importe qui peut manipuler l'autre, mais quel est l'intérêt au moment où vous êtes libre, que de s'engager dans ce cursus ? C'est bien que vous avez envie d'avancer... Sinon, c'est assez simple d'en refuser complètement le principe, ce qui relève de la liberté de chacun. Cette justice est accessible à tous, encore faut-il le savoir… Je m'intéresse à ces problématiques depuis longtemps, pourtant, avant que Maiana ne vienne me voir, je ne connaissais pas l'existence de cette justice, active, dynamique et accessible à tous.

C'était important pour elle de documenter son parcours ?
Mélissa Theuriau :
C'était fondamental. Je pense qu'elle n'aurait pas entamé cette démarche si elle n'en avait pas fait un film. Elle voulait que son expérience soit utile au plus grand nombre. C'est très généreux de sa part. Il faut également souligner le courage de l'auteur du crime, O, qui accepte d'être filmé. Il a accepté la présence de la caméra alors qu'il est libre, qu'il a purgé sa peine et qu'il peut parfaitement refuser le dialogue. Ses caractères exceptionnels en font un film rare et riche d'enseignements.

Pourquoi cette loi a-t-elle été si tardivement introduite en France ?
Mélissa Theuriau :
La société française a certains codes, mais nous sommes très contradictoires : on cherche avant tout à punir, mais on libère très vite. Il y a un fort taux de récidive en France, ce qui n'est pas le cas pour le Canada. Dès lors, on est obligé de se pencher sur d'autres formes d'accompagnement. M. Goetz, ancien directeur de la centrale de Poissy et actuellement magistrat, est le premier à avoir importé cette justice restaurative en France. Il s'est dit qu'il fallait absolument que ces auteurs de crime se penchent sur leurs actes, que le centre de détention leur soit utile pour qu'ils prennent conscience de ce qu'ils ont fait et des répercussions sur les victimes. Il a donc organisé ces premiers groupes de parole entre des victimes et des criminels qui ont perpétré des actes similaires à ceux qu'elles ont vécu. Une prise de conscience s'est enclenchée. C'est ainsi que Christiane Taubira a observé ce qui se faisait au Canada, avant de voter cette loi en 2014. Ses successeurs valident l'idée, même si les partis changent. Les mentalités évoluent en France, malgré tout.

Certains esprits critiques ou détracteurs craignent que cette approche ne déresponsabilise le coupable en cherchant à l'humaniser...
Mélissa Theuriau :
J'ai effectivement parlé avec beaucoup d'avocats et d'avocates qui avaient la même approche. Ils me disaient que l'on ne pouvait pas croire en l'honnêteté de cet agresseur, que ce dialogue ne pouvait pas réparer la victime… Toutes ces remarques ont beaucoup perturbé Maiana, qui avait presque envie de dire : "Qu'est-ce que vous pouvez en savoir ?" Je pense qu'au contraire, ces échanges permettent de les responsabiliser. Combien de détenus sortent de prison et prennent réellement conscience de leurs actes ? En tant que citoyenne, je crois en la liberté et la force de la parole.

Ne manquez pas Rencontre Avec Mon Agresseur, réalisé par Maiana Bidegain et produit par Mélissa Theuriau, le 4 juin à 20h50 sur France 5. Après le documentaire, un débat sera animé par Marina Carrère d'Encausse.