Sylvie Testud : "J'ai besoin d'urgence, de menace, d'angoisse"

Un sourire immense pour vous accueillir. Un talent à l'avenant. Sylvie Testud met en confiance. Sa répartie et sa bienveillance savent vous rendre importante. Libre de ses mots, de ses confidences, épatante de recul, elle impose esprit d'analyse et humour corrosif, renverse les convenances... sans insolence. Interprète d'excellence, viscéralement créative, elle nous parle sans peur d'Art, de Giacometti, d'un métier "comme un autre" et de ses enfants chéris.

Sylvie Testud : "J'ai besoin d'urgence, de menace, d'angoisse"
© PJB/SIPA

Pourquoi vous dans The Final Portrait ?
Sylvie Testud : 
J'ai adoré le scénario de Stanley Tucci et j'étais emballée à l'idée de tourner avec Geoffrey Rush, dont je ne me suis toujours pas remise des performances en pianiste de génie dans Shine ou en orthophoniste du Discours d'un Roi. Pour ce qui est d'Alberto Giacometti, il m'a fallu du temps pour apprécier ses personnages trop maigres, mais l'homme m'intriguait.

Présentez-nous le personnage d'Annette Giacometti que vous jouez...
Annette et Alberto se sont rencontrés très jeunes, avant la reconnaissance, la célébrité. Annette est d'abord son modèle, puis sa muse et son amour... Alberto, happé par sa passion, finit par la délaisser, mais ce ne sont pas les autres femmes qui la mettent en danger. Quand son mari sort avec des prostituées comme Caroline, c'est une récréation, un exutoire, une source d'inspiration. C'est pour cela qu'elle ose verbaliser cette feinte rivalité. Giacometti n'est pas dans un rapport à l'autre normal : son art prend 90% de sa personne. Les 10% d'humanité restants, de sentiments, sont dévolus à son épouse.

ALBERTO GIACOMETTI, THE FINAL PORTRAIT, en salles le 6 juin 2018 © Bodega Films

Diriez-vous qu'Annette est dans le renoncement ?
Est-elle dans la complète tristesse ? Sert-elle l'art de son amour ? Comment peut-on accepter d'être à ce point humiliée ? Dans une scène, il lui dit : "je vais faire ton portrait." Sous-entendu : "je n'ai plus personne, vas-y assieds-toi". Gelée, elle se lève pour mettre une bûche dans le poêle et s'entend reprocher "tu ne m'inspires plus". C'est d'une violence inouïe. En réalité, c'est lui la victime. Giacometti butte dans la conception. Annette est comme le gardien de la transcendance artistique, elle est l'intime de la création, le témoin d'un phénomène qui la dépasse. En sortant de cet atelier, elle sera plus heureuse que dans un quotidien sans exaltation. Est-ce mieux de ressentir et de souffrir à côté de ce que l'on admire ou est-ce mieux de dominer sans affect ce que l'on déteste ?

Racontez-nous ce tournage qui s'est déroulé à Londres où un petit Paris était reconstitué en studios…
C'était impossible de tourner dans les ateliers d'artistes des années 60 puisqu'ils n'existent plus, remplacés par des appartements - je dis cela sans jugement. Les décorateurs ont recréé avec une extrême fidélité cette ambiance sur la base d'archives,. C'était charmant. Seul hic : sur la façade du restaurant, ils ont écrit "Bonne appétit", au féminin, et ne m'ont pas crue quand je leur ai assuré que ça ne s'écrivait pas comme ça (rires) !

Vous considérez-vous comme une actrice ou une artiste ?
Comédienne et écrivaine, je suis tour à tour les deux. Créer, c'est faire naître à partir de rien, accepter le vide autour et une source d'inspiration non identifiée. L'imagination, le fantasme se concrétisent à travers un projet qui est motivé par de l'émotion. Nous les acteurs, nous sommes invités à l'intérieur de ce processus. Plancher sur un bouquin, c'est partir d'une page blanche sur laquelle on peut dessiner, colorier, partir dans tous les sens…  

Vous élargissez sans cesse votre spectre créatif : vous jouez, interprétez, écrivez, réalisez.. Où puisez-vous cette force ?
D'une absolue nécessité. C'est pour cela que je suis irrégulière dans ma production: j'ai besoin d'urgence, d'une menace, de l'angoisse de rater un truc si je ne me lance pas. Il faut que je me dise : "je dois absolument coucher ça sur papier sinon ça va m'arracher la trachée". Mère de famille responsable et concernée, je ferais tout et n'importe quoi pour mes enfants… Sauf quand j'écris. Je m'enferme. Quitte à dessiner une tête de mort sur des pancartes où à m'isoler dans une chambre d'hôtel avec le panneau "ne pas déranger". Pourtant mes gamins à 13 et 7 ans sont loin de l'autonomie…

Votre filmographie est impressionnante, éclectique… Quel est votre moteur ?
La volonté de m'extraire d'un quotidien qui ne m'a jamais plu. A 12 ans , j'ai fait une crise mystique. J'ai subitement été la meilleure copine du curé : il fallait que j'aille sonner les cloches. J'habitais à Lyon devant l'Amphithéâtre des Trois Gaules, je voulais absolument tout savoir sur Sainte Blandine et l'apocalypse… Ensuite je me suis mise à peindre, c'était pas terrible. Puis j'ai fait de la danse, du théâtre et j'ai trouvé cela génial.

ALBERTO GIACOMETTI, THE FINAL PORTRAIT, en salles le 6 juin 2018 © Bodega Films

Est-ce une énergie que vous devez canaliser ou savez-vous ne rien faire ?
Au cinéma, il existe une contrainte : l'autre. Une séquence se tourne à deux. Seule, je sais pertinemment ne rien faire. Contemplative, je peux impressionner tous ceux qui pensent profiter de l'instant présent.

Eprouvez-vous des périodes sans désir, sans envie ?
Il m'est arrivé un truc que je voulais appeler "les 4 jours". J'étais épuisée, déprimée. Je n'ai pas pu faire ma valise. Il y a peu de temps, ma fille de 7 ans m'a demandé "ça sert à quoi d'exister ?" Une claque. Je lui ai répondu que cela pouvait nous aider dans les étapes que l'on traverse, à aimer, à aider ou simplement à se sentir mieux et à regarder autour. Compliqué… Je n'avais pas LA réponse.

Comment gérez-vous les échecs ?
Comme tout le monde ! Quand je n'ai pas réussi à produire mon film, j'étais aplatie, écrasée. Puis je me suis moquée, de moi, de mon entourage, avec des fous rires... C'était terrible, j'étais comme une folle !

Vous êtes impressionnante de distance par rapport à un métier qui peut vous ronger, vous mettre en concurrence… Comment arrivez-vous à vous épanouir hors caméra ? A rester en contact avec vos émotions ?
Rassurez-vous, je suis très égocentrique au quotidien, mais je relativise et suis peu sensible à l'avis du voisin. Je ne suis qu'une actrice en promo qui est en train de répondre à une question. Tout à l'heure, je serai la mère de deux gosses. Je suis la même partout, sincère, dans le réel, le concret. Quand vous prenez une douche, vous êtes une nana qui se lave les cheveux, pas une journaliste en train de se faire un shampoing...

Avez-vous l'impression de vous économiser parfois ?
Je dose l'effort comme personne, mais mon manque d'organisation fait que mes bonnes intentions d'y aller mollo prennent la flotte !

Participer à un film sur le portrait, est-ce accepter de travailler un rapport particulier à l'image, à la représentation de soi ?
Dans mes livres, je ne fais que ça. Sybille, mon personnage principal et récurrent, est comme un double, un petit clown triste, naze, ce coin de nous que l'on ne peut pas montrer en société, mais qui réconforte. J'adore l'autodérision. Je m'amuse à mettre en scène, à manipuler cette fille comme un portrait déglingué, abîmé, sublimé...

ALBERTO GIACOMETTI, THE FINAL PORTRAIT, en salles le 6 juin 2018 © Bodega Films

Le culte de l'image, du paraître, l'importance des réseaux sociaux, cela représente-t-il une pression supplémentaire ?
Les gens qui prennent des photos à la sauvage en retirent une mèche de cheveux et une tronche arrachée à son contexte. Il y a très peu d'âme dans ces clichés volés. Personnellement, je m'en fiche, mais si une photo de mon fils circulait, cela me déplairait et j'essaierais de la faire virer.

Pourquoi n'êtes-vous vraiment pas douée de vos mains ?
Elles sont trop grandes.

Qu'est-ce que vous ne savez pas faire ?
La cuisine.

De qui aimeriez vous brosser le portrait ?
Ségolène Royal, elle m'intrigue.

Quel est votre trait de caractère principal ?
La patience.