Benjamin Biolay : "J'ai mené la vie typique du rockeur complétement stupide"

Dandy à la voix de velours, Benjamin Biolay expire les bons mots comme les volutes de son cigare. Délicat, sincère, séduisant -évidemment-, le musicien de génie qui excelle aussi en acteur dans les films d'auteur impose son charme mélancolique dans "La Douleur". Confidences.

Benjamin Biolay : "J'ai mené la vie typique du rockeur complétement stupide"
© Les Films du Losange

Benjamin Biolay, Vous êtes l'Amant de Marguerite Duras, ou presque…
Benjamin Biolay : Je suis l'ami du couple Antelme, plus précisément. On aura vite fait de comprendre que cette amitié s'est transformée en quelque chose de plus physique, en un trio amoureux, mais c'est une connivence intellectuelle avant tout, difficile à juger moralement. Dionys est un personnage très difficile à incarner parce qu'il est très évanescent, fantomatique. C'est celui qui résiste, qui tient bon, qui ne lâche jamais. J'ai lu des écrits de Mascolo, le vrai, c'est un militant dur, ferme, autoritaire. Le type est opiniâtre. "Il faut vous ressaisir. Vous n'avez pas le droit d'abandonner", ressasse-t-il à Duras.

Emmanuel Finkiel dit vous avoir choisi pour votre "présence sensuelle", convenez-vous de cette qualité ?
Je me fiche du compliment. C'est une telle chance d'avoir tourné avec lui qu'il aurait pu me prendre pour mes grandes oreilles, j'aurais été content.

L'absence, le manque, est-ce un état que vous cultivez ou que vous fuyez ?
Contrairement à mes collègues qui écrivent des chansons, je ne provoque pas les situations pour l'inspiration, je sais que c'est la pire chose à faire. Les muses, les histoires compliquées, la douleur, la souffrance, ce sont des concepts fumeux. La vie est suffisamment dure, pleine d'absents décédés ou perdus de vue, pour ne pas vouloir se plonger dans de tels états. Il y a pleins de gens qui me manquent. Ma ville natale de Villefranche et celle de Lyon me manquent beaucoup…

Quelle est la douleur la plus vive que vous avez ressentie ?
La perte de mon ami Hubert Mounier, le chanteur de la fameuse Affaire Louis Trio, un gars super avec qui j'ai commencé la musique. En une seconde le cœur s'arrête de battre. C'est la mort qu'il souhaitait, rapide. Je me souviens de notre dernier coup de fil… J'aurais aimé avoir des discussions plus profondes. Impossible pour moi d'imaginer que je ne le reverrai jamais.

Vous est-il plus facile de partager vos joies ou vos peines ?
Assurément, mes moments de félicité ou d'amusement. J'ai ce défaut de m'enfermer, de me couper du monde quand il m'arrive un pépin, quand je ne suis pas bien. J'éteins mon téléphone, c'est là parfois que j'empire les états. Ce n'est pas pour jouer l'auteur-compositeur torturé, c'est juste que je me sens mal.

Dans ce film, il y a un rapport au temps particulier, une longue attente.  Savez-vous ne rien faire ?
C'est assez bizarre : pour profiter de l'inactivité, il faut que je sois en voyage ou alors très fatigué. Je vais dormir des heures durant, vraiment comme une larve, regarder 27 matchs de foot…

Avez-vous des plaisirs simples ?
Je suis quelqu'un de très simple. Quand je suis quelque part, je n'ai pas envie d'être ailleurs. Quand je tourne un film, je ne prends pas ma guitare et elle ne me manque pas. Sur un plateau de cinéma, mon moment préféré, c'est celui de la cantine, le midi. Je fais un boulot d'écrivain tellement solitaire, que je trouve ça génial de manger avec une foule de gens, j'apprécie sincèrement le partage, la convivialité sans hiérarchie.

Marguerite dit à Rabier que c'est face à la mort et aux mitraillettes que l'on prend conscience de chaque infime parcelle de sa peau. Avez-vous eu connu la dépendance, l'addiction, la confrontation avec la mort ?
Je n'entrerai pas dans les détails, mais avant l'âge de 25 ans, j'ai mené la vie typique du rockeur complétement stupide. J'ai fait toutes les conneries du monde, été à deux doigts de caner 25 fois, perdu beaucoup d'amis. Et puis je n'ai pas eu l'enfance la plus fendarde du monde… Oui, je me suis confronté à l'extrême. J'ai eu besoin de sentir le canon dans la nuque.

En amour, ne vivez-vous que des passions destructrices ou les choses sont-elles plus apaisées ?
C'est toujours compliqué parce que celle qui vous semble être l'âme sœur, votre double, cette autre tellement proche de vous… devient fatalement incompatible. Lorsque vous réalisez que vous êtes deux personnes distinctes, quelle merde ! C'est trop dur !

Quel est votre talent caché ?

Je ne serais pas un mauvais conseiller politique...

De quelle chanson ne vous lassez vous pas ?
De l'intégralité de l'album The Miseducation of Lauryn Hill qui est pourtant sorti en 98… Je l'écoute en boucle.

Dormez-vous la nuit ?
Malheureusement, je m'endors tard. Je ne fais pas spécialement la fête, mais j'ai pris la mauvaise habitude dans ma jeunesse d'aller travailler dans les studios la nuit, car les tarifs des sessions étaient quatre fois moins chers. J'ai gardé ce rythme et je travaille jusqu'à l'aube.

De quoi avez-vous peur ?
De la mort. De la maladie. Je suis préoccupé par des questions du registre de l'intime : la santé, le bonheur, l'avenir de ma fille.

Votre souvenez-vous de votre dernier fou rire ?
Il y a quelques heures, à la lecture d'un truc de Booba sur Instagram.

Quelle question aimeriez-vous que l'on vous pose davantage ?

J'aimerais qu'on me demande davantage de parler des gens que j'aime, plutôt que de dézinguer ceux que je ne peux pas blairer...

Qu'est ce qui peut vous rendre violent physiquement ?
Rien.

Qu'est-ce qui vous agace ?
Les débatteurs professionnels, les pseudo-spécialistes qui déblatèrent sur tout et n'importe quoi alors qu'ils n'ont pas les qualifications.

Benjamin Biolay dans La Douleur, en salles le 24 janvier © Les Films du Losange

Est-ce une scène médiatique sur laquelle vous jouez ou est-ce que ça vous touche vraiment ?
Je m'en bas les couilles. J'en ai rien à foutre, seulement j'estime qu'il faut un minimum d'expertise pour donner son avis, pour critiquer une œuvre, un artiste, ou même une compétition sportive. C'est une question de politesse et de respect.

Vous dénoncez la dictature du bon mot, celui qui fera du bruit dans les journaux, quel est celui que vous aimez particulièrement ?
Empanadas, c'est chouette les chaussons farcis, non ? Il y a surtout un terme que je déteste : c'est buzz. Dès que je le vois, j'ai envie de fermer soit le magazine soit la télé.

A qui mentez-vous le plus ?
A moi. Je n'avais absolument aucun don nécessaire pour devenir chanteur ou acteur. Ai-je réussi à m'en convaincre moi-même ? Je n'ai aucun souvenir de m'être dit "t'es bon, tu vas les tuer" ou "tu vas être n°1", mais j'ai progressé et rencontré le succès.

Qu'est ce qui a changé chez vous, récemment ?
Ma vie a changé le 22 avril 2003 quand mon bébé avec son tout petit doigt m'a chopé la main. On dit parfois qu'un homme ne change pas. C'est faux. Voir naître l'enfant de l'amour que l'on désirait, voir grandir ma fille m'a révolutionné.

Voulez-vous partager un coup de cœur avec nos lectrices ?
Le film Carré 35 d'Eric Caravaca. Ce documentaire magnifique sur un secret de famille à une époque où les pieds noirs ont quitté le Maghreb m'a ému au plus haut point.