Sting : "La musique me maintient en bonne santé"

On a tous au moins une fois, fredonné l'un de ses tubes. A plus de 60 ans, Sting revient dans les bacs avec "57th & 9th", son nouvel album pop-rock et la réédition de ses albums en édition vinyle. Nous l'avons rencontré.

Sting : "La musique me maintient en bonne santé"
© EricRyanAnderson

Il règne sur le paysage musical depuis plus de 20 ans, a vendu plus de 100 millions d'albums et a décroché 16 récompenses aux Grammys. Pourtant, à 64 ans, Sting n'est pas près de s'arrêter. "La musique, c'est ce que j'aime. Je ne m'arrêterais jamais !" confie-t-il. La preuve, l'artiste revient cet automne avec un nouvel album intitulé 57th & 9th. Composé de 10 titres aux sonorités pop-rock, l'opus enregistré en deux mois seulement pour "ne pas perdre de temps" aborde comme toujours, des thématiques variées. Pour faire patienter ses fans, Sting propose, en plus de l'album, tous ses opus en édition vinyle. Disponibles le 30 septembre en coffret vinyles limité ou à l'unité, ces pépites musicales permettront de (re)découvrir son univers. C'est un homme charismatique, serein, réfléchi, posé, lucide sur le monde qui l'entoure et passionné, que nous avons eu la chance de rencontrer, à quelques semaines de la sortie de l'album. Confidences.

"57th & 9th", dans les bacs le 11 novembre 2016 © Polydor

Le Journal des Femmes : Pourquoi avoir attendu 13 ans pour revenir à la musique pop-rock ?
Sting : 
Pour surprendre. Pendant ces 13 ans, j'ai sorti des albums plus classiques, donc le public s'attendait encore une fois à ça. 57th & 9th est un album énergique, simple et il surprendra le public mais vous savez, le rock'n'roll fait partie de mon ADN. C'est ce que je joue chaque soir sur scène donc ça ne devrait pas surprendre tant que ça.

Parlez-moi de l'album.
L'album se compose de courtes histoires aux thématiques diverses. Certaines chansons sont intimes tandis que pour d'autres, je me mets dans le rôle de quelqu'un pour dépeindre le monde à travers ses yeux, mais c'est un album divertissant avant tout. Sous cette surface divertissante, j'aborde des sujets sérieux. L'album entraîne plusieurs interprétations possibles. Le public peut choisir de les chercher ou juste profiter du son.

57th & 9th est le nom d'une intersection que vous franchissiez chaque jour pour aller aux studios. Pourquoi ce nom-là en particulier ?
J'adore marcher et l'inspiration me vient souvent en marchant. Vous savez, New York est une ville dramatique, bruyante, avec des choses à voir à chaque coin de rue, des policiers, des camions de pompier, des immeubles géants… Cet environnement me stimule et m'inspire. En marchant pour me rendre au studio, j'écrivais les paroles des chansons dans ma tête et, en arrivant, je faisais la musique. Ce titre était évident car il représente simplement la façon dont je travaille.

Le premier single est I can't stop thinking about you. A quoi ne pouvez-vous pas arrêter de penser ?
A la première écoute, on peut penser que c'est une chanson d'amour mais pas du tout. C'est un titre qui parle du dilemme auquel est confronté un écrivain. Chaque jour, il se retrouve devant une page blanche, comme un champ enneigé et il se demande ce que sont ces marques qu'il distingue : une muse, une route ? Ce titre parle de cette lutte et cette obsession pour trouver l'inspiration. C'est à ça que je n'arrête pas de penser.

Et à quoi aimeriez-vous arrêter de penser ?
Je suis quelqu'un d'obsessionnel et je veux continuer à l'être. Je pense qu'un musicien souffre de trouble obsessionnel compulsif car il doit s'entraîner chaque jour.

Que ressentez-vous quand 50 000 personnes chantent avec vous ?
C'est un sentiment enivrant, étrange et intense à la fois. Le plus difficile est de contrebalancer ces moments intenses en concert, avec la tranquillité et le calme ressentis une fois seul. Pour rester sain, il faut prendre du recul. Je médite donc beaucoup et je pense avoir réussi à rester sage même si j'espère le devenir encore plus. J'ai eu de la chance d'avoir une vie normale avant le succès. J'ai été professeur, travaillé dans un bureau, je me suis marié, ai eu des enfants, voté et payé des impôts comme tout le monde… Je suis passé de cette vie normale à… "Sting". Ce socle m'a permis de me préserver.

Vous parlez de ruptures amoureuses dans Down down down et If you can't love me, et à quel point la rupture peut être positive.
La rupture est un sujet intéressant pour un écrivain. Le "je t'aime et moi aussi" est tellement ennuyeux ! Quand les relations se dégradent et que les couples se séparent, c'est certes douloureux, mais le fait d'exprimer cette peine avec empathie est une sorte de thérapie. Tout le monde se reconnaîtra dans ces titres.

Vous abordez la question du changement climatique dans One fine day. Êtes-vous effrayé par le monde que l'on laisse à nos enfants ?
Bien sûr, je pense qu'on est en danger et je suis sensible à cette problématique. One fine day est une chanson ironique qui parle des sceptiques – beaucoup de politiciens d'ailleurs – qui disent que "ce n'est rien, ça va passer". Je voudrais tellement qu'ils aient raison, même si toutes les preuves scientifiques prouvent le contraire. La chanson dit que le jour où nous ouvrirons les yeux, ça sera peut-être trop tard.

Comment luttez-vous à votre échelle contre le changement climatique ?
J'ai créé l'association Rainforest Fund, avec des projets dans 21 pays, dont la création d'infrastructures légales pour les groupes indigènes qui favorisent l'accès à l'éducation et à l'eau potable. Ce sont de petits projets mais tout de même significatifs. J'essaie de laisser mon empreinte à travers ces actions mais je voyage en avion comme tout le monde, j'ai une voiture… Je pense qu'on peut et on doit tous faire quelque chose mais davantage d'alternatives doivent nous être proposées. En tant que citoyen, j'ai des responsabilités et en parler en fait partie.

Vous avez toujours abordé le thème de la guerre dans votre carrière. Dans cet album, cette thématique apparaît sur 3 de vos titres, Pretty Young Soldier, Inshallah et The Empty Chair. C'est important d'en parler ?
Je suis chanceux de ne pas devoir combattre et j'en suis chaque jour reconnaissant. Mais rien ne nous garantit que cela n'arrive pas dans le futur et je n'ai pas envie que mes enfants et petits-enfants connaissent cela. Je n'offre aucune solution politique aux conflits car je n'en ai pas les capacités mais c'est important d'en parler.

Inshallah aborde la problématique de la crise des réfugiés…
Je me suis imaginé avec ma femme et mes enfants sur un bateau, en quête de sécurité. On devrait tous se demander ce qu'on ferait si on était dans cette situation-là parce qu'un jour, ce sera peut-être nous qui devrons fuir un conflit quelconque. Pendant des milliers d'années, nous avons fui le danger. En Syrie, le peuple fuit des armes fabriquées en France, en Allemagne, en Russie ou aux Etats-Unis ; en Afrique, la pauvreté et plus tard, nous devrons fuir les changements climatiques. On doit trouver une solution mais la construction de murs ne résoudra rien. On est une communauté mondiale et la première étape doit être d'essayer d'arrêter cette guerre en Syrie.

Dans The Empty Chair, vous parlez de James Foley, un photo-journaliste tué en Syrie en 2014. Pourquoi avoir écrit cette chanson ?
On m'a demandé d'écrire cette chanson pour qu'elle apparaisse dans un documentaire sur sa vie intitulé Jim. Je n'ai jamais rencontré James Foley mais j'ai pu le connaître grâce au film. C'était un homme très inspirant. J'ai rencontré sa famille et ses amis et ils m'ont dit qu'ils gardaient une chaise vide pour lui, chez eux mais aussi dans le bar où ils avaient l'habitude de se retrouver. C'était une image très émouvante.

© Eric Ryan Anderson

C'est difficile de faire des tubes, de se renouveler ?
Je ne pense pas aux tubes et à tout ce côté commercial. Faire des tubes, c'est super mais la satisfaction vient quand tu termines une chanson. C'est ce qui me motive : trouver de l'inspiration et terminer une chanson.

Quel est votre premier souvenir musical ?
Ma mère jouant du piano quand j'étais tout petit. Je me rappelle la regarder jouer pendant des heures. Ses pieds surtout. C'est elle qui m'a encouragé à faire de la musique.

Quels sont les ingrédients pour faire une bonne chanson ?
J'aimerais le savoir (rires) ! De la surprise, des épices, un sens, un goût… C'est une sorte de recette non ? Ecrire une chanson est un exercice difficile. Parfois, l'inspiration vient naturellement, d'autres non. C'est comme à la pêche. Il suffit d'être du bon côté de la rivière et d'attendre qu'un poisson vienne. Un jour, rien ne vient mais le lendemain, il y en a trop. Il faut être là chaque jour pour travailler et affronter cette fameuse page blanche.

Quelle chanson de votre répertoire préférez-vous ?
(Après un temps de réflexion) Je ne sais pas… Ce serait comme si vous me demandiez lequel de mes enfants je préfère, je n'en ai pas.

En 2007, The Police s'est reformé pour une tournée mondiale. Un album est-il envisageable ?
On a fait cette tournée par nostalgie. Elle a eu beaucoup de succès mais le cycle est maintenant terminé. On a accompli tout ce qu'on avait à faire.

Votre meilleur souvenir de concert ?
Je viens de terminer une tournée de 21 dates aux Etats-Unis avec mon ami Peter Gabriel. On a pris énormément de plaisir et ne s'arrêtait pas de jouer… J'aimerais refaire une tournée comme celle-ci, mais en Europe cette fois.

Vous avez des rituels avant de monter sur scène ?
Je médite pendant une vingtaine de minutes et je m'échauffe la voix pendant 10 minutes.

Vous avez 6 enfants. Est-ce difficile de concilier votre carrière avec votre vie de famille ?
C'est compliqué de trouver le juste milieu entre mon rôle de père et mes longues absences lors des tournées. Étonnamment, mes enfants sont plutôt bien équilibrés. Ce sont des êtres humains extraordinaires, gentils et accomplis donc ils ont visiblement survécu à mon éducation.

Deux de vos enfants sont musiciens. Vous demandent-ils parfois conseil ?
Deux sont musiciens, deux sont acteurs et je pense que mon cadet souhaite devenir policier. Je les soutiens dans tous leurs projets. Ils mènent leur barque chacun de leur côté. S'ils me demandent conseil, je serais bien sûr présent, mais je doute qu'ils en aient besoin.

Vous êtes marié avec Trudie Styler depuis 1992. Quel est le secret de votre couple ?
Il n'y a pas de secret. Je l'aime, je pense qu'elle m'aime aussi… C'est une femme accomplie que j'admire et je pense que c'est réciproque. Nous nous amusons beaucoup et nous entendons bien, c'est le principal.

Son avis est important ?
C'est mon premier critique. J'écoute attentivement tout ce qu'elle me dit car ses remarques sont intelligentes, bienveillantes et faites avec amour. C'est important qu'elle aime mon travail.

Vous avez vendu plus de 100 millions d'albums et avez remporté des dizaines de prix. Quel est le prochain défi ?
Je ne mesure pas mon succès en termes de chiffres. Je pense juste à la prochaine chanson que je vais écrire, au prochain album… La musique a toujours et fera toujours partie de ma vie.

Vous n'envisagez donc pas d'arrêter un jour votre carrière ?
Oh non, j'espère bien continuer à jouer et chanter toute ma vie ! C'est ce qui me maintient en bonne santé. Je pense que la musique a des vertus thérapeutiques.

Quel est votre rêve ?
De continuer à rêver.

Une question que vous aimeriez qu'on vous pose ?
On ne m'a jamais parlé de mes chaussettes ! (Il nous montre ses chaussettes)

Elles sont spéciales ?
Elles sont toujours noires, très fines et généralement, très chères. C'est important d'avoir de bonnes chaussettes, c'est la base de tout (rires).

Coffret vinyles limité © Polydor