Christophe : "Au volant, dans les rues, c'est la guerre !"

"Paradis retrouvé". Tel est le nom du nouvel album du chanteur Christophe. L'auteur des mots bleus nous livre sa vision de l'automobile, entre enfer et paradis...

Christophe : "Au volant, dans les rues, c'est la guerre !"

Quartier Montparnasse. 19h. Daniel Bevilacqua, alias Christophe, vient de se réveiller.

" Je dors le jour, j'aime entendre le ronron des gens qui parlent". Il a débarqué dans le
salon, tout de noir vêtu, crinière blonde en arrière. Le dandy a le trac. Il s'assoie autour
d'une grande table gainée de cuir noir, face à un amusant canapé porte-jarretelles sur
lequel Isabelle Adjani s'était installée pour enregistrer la chanson " Wo wo wo " de son avant dernier album. Christophe soulève un tableau caché derrière son juke-box et ses meubles Art nouveau. "Regardez ! Ca c'est ma Cadillac de l'époque "... Une magnifique photo grand format apparaît.


Journal des Femmes - C'est vrai que vous rouliez en Cadillac rose, à l'époque...
Christophe - Elle n'était pas rose, mais blanc nacré à reflets roses, ce n'est pas pareil. C'était en 1958, à Antibes. J'avais moi-même créé ce colori à l'usine de Compiègne. J'y est travaillé des mois. Il est référencé et s'appelle " La Christophe ". Une femme qui habitait comme moi, près des remparts du vieil Antibes, avait réclamé ce colori pour sa Fiat. (Christophe prend place sur un mini canapé, dans l'entrée de son antre. Le trac s'est enfui. Le show a commencé.)


JDF - Vous avez eu tous les bolides du monde...
C- Un paquet, oui. Bentley Continental GT, Ferrari, Porsche, Rolls, Ds 21 Palace...(Clignement des yeux sous lunettes fumées rondes). Mais je rêvais d'une 2 CV de 1955 avec sa tôle ondulée. Pas celle avec les trois vitres et la nouvelle calandre, hein ! Hélas, je suis très difficile sur l'état, et je ne l'ai jamais trouvé. C'est une question d'art, pas de véhicules.


JDF - Pour vous, quelles sont les voitures oeuvre d'art ?
C- Toutes les voitures américaines entre 1950 et 1959. Je ne suis parti en Amérique qu'une seule fois. J'aurais bien aimé aller à chicago, que j'imagine être une ville en noir et blanc. Le blues et les voitures, ça raconte quelque chose ! A la place, j'ai chiné et j'ai fait venir l'Amérique à moi, ici, en France. Vivre à l'américaine dans Paris, c'est une autre dimension. C'est son film à soi, du pur plaisir...


JDF - Parlons de ce qui vous affecte le plus... Le retrait de votre permis de conduire...
C- Oui... (Pincement au coeur). Mon permis est à la cité, là-bas (Silence). On me l'a fait sauté il y a dix ans à cause de trois excès de vitesse. Une première fois sous un pont, je roulais à 90km/h au lieu de 60. Une deuxième fois près de Beaune - et j'insiste, faites tous gaffe à ce radar !- à 240 km/h au lieu de 130... Et une troisième fois, de nuit (Derrière ses lunettes, son regard s'évade, énigmatique).


JDF - Pas de dérapage incontrôlé...
C - Aucun ! Pas un seul accident de ma vie ! Même pas un dérapage...


JDF - Et dans l'écriture...
C - Il n'y a pas de prudence dans l'écriture.


JDF - C'est cruel pour l'ancien pilote que vous étiez...
C - Très... Quand il y a l'attaque, dans le Morvan, avec les phares, la nuit, qui amorce les virages... (Il coupe l'histoire). La voiture, c'est ma drogue (Long silence, comme un deuil).


JDF - C'est quoi être drogué de voitures ?
C- C'est le son du moteur de la nouvelle Ferrari, avec le moteur à l'avant. C'est le son d'une Daytona pas d'une Boxster, rien à voir. C'est le cuir, la peinture, l'odeur du vernis. C'est un tout. Plein de parfums qui se mêlent... Ce n'est ni entêtant, ni ennivrant, c'est (Il réfléchit, porte les doigts à ses lèvres) du concret, du réel.


JDF - C'est charnel...
C - Bien sûr. Une belle voiture, c'est un salon érotique !


JDF - Quelle a été votre première voiture ?
C- Une 4L. Elle en a vu !

JDF - Une de vos chansons "Stand 14" renoue avec vos courses de l'époque...
C- Oui, j'évoque Pierrot Landrau, le tenant du garage Stand 14 de Montlhéry, la Mecque de l'automobile. J'y passais mes jours et mes nuits. Le matin, je dormais sous le bureau de Pierrot, la nuit dans ma Mini. Et le reste du temps, je pilotais. J'ai même gagné le critèrium Jean Behra, en 1968, à Magny-Cours. Et avec Pierrot, on a fait le rallye d'AGACI, le club le plus connu de l'époque. J'ai même concouru contre Jean-Louis Trintignant avec un tonneau pour chacun ce jour là. J'étais amoureux de sa fille... (Sourire tendre) Alors, sur la route de tous les jours, je pense qu'il faut comparer ce qui est comparable. Quand je vois qu'on donne le permis à des gens qui ne savent pas faire un créneau, j'aimerais bien les aider... Je trouve ça injuste mon retrait. De toute façon, je suis contre le permis à point. C'est de la connerie.

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"Il faudrait que je repasse le code, ce truc de malade ! Pas de doute, ce sont des malades mentaux qui font le code ! Il y a vraiment un film à faire" © Christophe


JDF - Vous pourriez à nouveau passer le permis ?
C- Avec la voiture, on a un peu divorcé. Faudrait d'abord qu'on se remarie. (Changement de position, bottine noire sur jambe droite) Pour ça, il faut que je repasse le code aussi, ce truc de malade ! Pas de doute , ce sont des malades mentaux qui font le code ! Il y a vraiment un film à faire. Je ne sais pas. (Un temps). Dans les rues, c'est la guerre ! Si je pouvais à nouveau conduire,
c'est moi qui serai en danger, pas les autres ! Je serai en otage toute la journée ! (Un temps) Pourtant le Saint-Christophe pourrait revenir, dix ans d'absence, déjà... De toute façon, être maître d'un pays, ce n'est pas un cadeau. Moi, je ne vote pas, je suis pour le lien, ce qui n'existera jamais. Et je ne suis pas engagé dans mes chansons.


JDF - Vous auriez aimé être pilote professionnel ?
C- Oui, je pense, sans prétention, que j'aurais pu. Mais j'avais d'autres choses à faire... En F1 ? Non, en proto. La F1, c'est proche des échecs et le prototype, c'est plus proche du pocker. Moi j'aime jouer. Je traînais sur les tapis, autour d'un Gin, avec Sagan. Un jour, en une nuit, j'ai perdu une Mustang, aux cartes. La Mustang d'un Paul Newman, d'un Steve McQueen ! (Sa crinière blonde s'agite de gauche à droite. Flash) J'aurais dû m'entraîner avant... (Il mordille ses doigts). Mon pire regret : ma Daytona dans les années 80. J'étais à Versailles, aux Ecuries. Comme toujours, je gambergeais... Je gamberge trop. J'étais persuadée qu'elle allait monter jusqu'à 3,5 millions. Elle s'est arrêtée à 3,2 millions... J'ai également raté une GTO Rouge. Elle était à 2 milliard quelques années plus tard... Je ne sais pas pourquoi, je suis
toujours passé à côté de la fortune... Tant pis.


JDF - Qu'est-ce que vous possédez comme modèle en ce moment ?
C- J'ai attrapé une Méhari 3 CV. Un collector !

JDF - Rien d'autre ?
Non. Je mens aux gamins du quartier en posant sur le capot de belles voitures à l'entrée des restos chics. Je leur dit : "Vous avez vu ma dernière Bentley, elle est belle, hein ? C'est le dream, le rêve !"... Ah, si j'avais de belles voitures, ici, dans mon garage, en bas de chez moi, je crois que ça me ferait décoller. J'irai les voir...


JDF - C'est important la sono ?
Capital ! La DS 19 a été la première voiture a bien sonner. A l'époque, j'écoutais beaucoup la radio, les cassettes...


JDF - Une voiture, c'est comme une femme, ça s'apprivoise ?
Bien sûr ! Il y a des voitures qui conviennent et d'autres pas ! Je ne suis pas grand et pourtant j'ai toujours trouvé mes marques dans les Porsche qui sont des voitures pour grands. Il faut un instinct, un feeling qui marche...


JDF - Vous avez écrit quelques beaux textes sur les bolides
C- J'ai composé la musique de " Coeur défiguré ". Le synthétiseur est très bruit, très métal. C'est mon ex beau frère, Alain Kan, qui l'a écrite. On sent l'odeur de l'huile. Dans " Enzo ", j'ai voulu rendre hommage à Ferrari. Ca a été horrible, on m'accusait de l'avoir écrite pour des tunes, vous savez, ceux qui rôdaient autour d'Enzo... (Il serre les lèvres, la voix s'éguise) Il est mort un an avant la sortie de l'album. C'est pour lui faire plaisir que je l'avais créé, pas pour le fric.. Et puis, il y a Stand 14, dans mon avant dernier album " Aimer ce que nous sommes "... En écrire d'autres sur le sujet fait parti de mes fantasmes.


JDF - Comment conduisent les femmes ?
Je ne sais pas, il faudrait que je reprenne le volant pour voir la différence homme-femme, pour estimer le taux d'agressivité de chacun... Je me souviens que ma mère, qui participait à des concours d'élégance dans la Bourboule avec ses voitures, conduisait comme une championne. Mon ex femme (ndlr Véronique Kan), ma fille, et Françoise Sagan... aussi. Sans parler de ma tante (Il désigne une photo juchée en haut de la bibliothèque, entre des voitures de collection). A 25 ans, elle a subitement arrêté de conduire. Et à 50 ans, elle s'est achetée une Austin qu'elle conduisait sans fin. Elle kiffait ! Ah oui, elle kiffait...


JDF - C'est difficile de quitter une voiture ?
C- Pas du tout ! Quand on la quitte, c'est qu'on a déjà une autre forme en tête...