Emmanuelle Béart : "J'ai un besoin absolu d'être en contact avec les morts"

Emmanuelle Béart remonte le temps pour revisiter le passé de son célèbre père Guy Béart, dans un double album de reprises pleines d'émotion, "De Béart à Béart(s)". La comédienne, que l'on entend dans plusieurs chansons de l'opus, s'est confiée sur l'héritage de son père, son rapport aux réseaux sociaux, son regard face à la mort. Entretien.

Emmanuelle Béart : "J'ai un besoin absolu d'être en contact avec les morts"
© Lola Serres

Emmanuelle Béart et sa sœur Ève ont été bercées par Guy Béart en tant que père, homme, chanteur, poète. Ce sont ces multiples facettes qu'elles ont cherché à mettre en lumière en concrétisant ce projet émouvant. Les deux sœurs publient un double album de chansons de leur défunt père, interprétées et revisitées par une panoplie éclectique d'artistes de notre époque. Carla Bruni, Vianney, Akhenaton, Clara Luciani, Julien Clerc, Yaël Naim et même feu Christophe : tous nous font (re)découvrir à leur manière un morceau, une tranche de vie de l'immense artiste qu'était Guy Béart. Un double album qu'Emmanuelle Béart offre en cadeau à ce père qui lui manque tant, mais qui l'accompagne chaque jour de sa vie. La comédienne de 56 ans se confie, le temps d'un entretien, sur l'héritage transmis par Guy Béart, son rapport à la mort, sa perception d'une époque qui vibre au gré des réseaux sociaux.

Le Journal des Femmes : Quelle a été la genèse de cet album ?
Emmanuelle Béart :
À la mort de notre père, ma sœur aînée Ève et moi, avons reçu ce merveilleux héritage artistique, on s'est donc dits qu'il était de notre devoir d'en faire quelque chose. C'est une rencontre avec Charles Aznavour qui nous a donné la première impulsion et le courage de concrétiser ce projet. On a dû lutter, dans un premier temps, contre mon père, qui avait décidé de s'effacer. Il était heureux de faire partie du quotidien des gens, que ses chansons soient apprises dans les écoles, mais dans le fond, il souhaitait presque que l'on ne sache plus qui les avait écrites. Nous, en tant que filles, on s'est dits que cela n'était pas suffisant et qu'il fallait qu'on le rende audible à nouveau. 

C'est une sorte de belle trahison…
Emmanuelle Béart :
Tout à fait. On avait le choix : soit l'on rentrait dans l'œuvre de notre père comme l'on entre dans un musée, en restant respectueux, figé. Soit l'on demandait aux artistes que nous allions choisir de trahir ses morceaux avec tendresse et amour, de les décoiffer, de les rhabiller, de faire passer cette poésie à travers leur identité. 

Vous interprétez "Plus jamais" avec un certain magnétisme. Pourquoi avoir choisi cette chanson ? Est-ce une manière de dire adieu à votre père ?
Emmanuelle Béart :
J'ai d'abord laissé les autres artistes choisir la chanson qu'ils souhaitaient interpréter, ensuite il fallait que je vois ce qu'il restait. J'ai eu envie de poser ma voix de la manière la plus délicate possible. Cette chanson est certainement une façon de signer ce disque, de dire au revoir à cet album, puisque j'ai été la dernière à enregistrer au studio. Et effectivement, c'était aussi une manière de dire adieu à mon père, même si le chemin continue. Faire ce disque, c'est une façon de continuer le dialogue avec lui. Il disait que les mélodies étaient une manière de se donner la main, de génération en génération. Ce disque permet donc de transmettre aux plus jeunes, qui n'ont peut-être pas encore découvert son œuvre. 

Ce voyage dans le temps était-il douloureux pour vous ? N'était-il pas aigre doux de vous replonger dans le passé de votre père ?
Emmanuelle Béart :
Non, c'était un projet très joyeux, même s'il était effectivement bouleversant. La grande force de mon père, c'était la paix intérieure. Je lui ai donné une forme de gaieté. Lui qui a souvent été très grave, qui prenait tout très au sérieux, il a fini sa vie dans un grand sourire. C'était très émouvant pour nous de repartir avec ses chansons qui datent de plusieurs décennies. Nous avons pu quitter le père pour redécouvrir l'enfant qu'il a été, le jeune homme et l'adulte que nous n'avons pas connu. Ce qui est passionnant avec Guy, je ne sais jamais comment l'appeler, (rires) c'est que rien n'est jamais au premier degrés dans ses chansons. Il y a diverses manières d'interpréter. Ses chansons, je les écoute aujourd'hui en tant qu'adulte, mais je les ai entendues très différemment étant enfant. 

Aviez-vous des appréhensions avant de vous lancer dans ce projet ?
Emmanuelle Béart :
Pas vraiment, car j'étais tout à fait néophyte. Ma sœur crée des bijoux, moi, je suis comédienne, donc nous étions complètement libres, contrairement à mon père qui avait très peur des grandes maisons de disque et d'un contrat qui aurait pu l'asservir. 

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Guy et Emmanuelle Béart © Agence Bestimage

Quel héritage votre père vous a-t-il transmis ?
Emmanuelle Béart :
Il m'a transmis le goût du travail, de la concentration, du rire, une vraie force. Comme lui, je ne sais pas où je vais, mais je connais le chemin. On ne faisait pas le même métier, mais il y avait quand même quelque chose de commun dans nos professions. Il y a cette idée que rien n'est jamais gagné ou perdu, on recommence toujours. Plus concrètement, au quotidien, je note tout grâce à mon père. Il me demandait de me balader toujours avec un stylo et un cahier parce que sinon, on oublie tout. Il m'a aussi appris à ne jamais rien déléguer et à ne jamais rien remettre à demain. Malgré tout, mon père était un vrai martien sur sa soucoupe, un drôle de bonhomme (rires). 

Votre père décrivait, à son époque, "la fille d'aujourd'hui', dans une chanson du même nom. Vous reconnaissez-vous dans cette description ?
Emmanuelle Béart :
La fille d'aujourd'hui, c'est le portrait d'une gamine avalée par le tournis de l'époque, de la mode… Si j'en avais eu le talent, c'est une chanson que j'aurais tout à fait pu écrire à 17 ans, quand j'ai été happée par la notoriété et cette reconnaissance aussi particulière qu'immédiate. 

Une chanson qui résonne particulièrement aujourd'hui à l'heure des compte Instagram et des selfies…
Emmanuelle Béart :
Absolument, mais Instagram peut être un outil bienveillant si l'on ne l'utilise pas uniquement pour faire la promotion du dernier rouge à lèvres et si on sait l'utiliser à bon escient. Je me suis rendue compte, notamment avec les manifestations contre les violences policières, qu'Instagram pouvait être aussi une formidable chaine de solidarité. C'est une manière de s'exprimer sans filtre, puisque c'est nous qui nous occupons de nos comptes. J'aime ce lien établi avec les gens, même si je n'ai pas forcément le temps de tout lire ou tout regarder. Mon père avait ce respect des gens qui l'aimaient, qui le portaient. 

Vous postez souvent des photos de vous au naturel, c'est aussi un message d'acceptation de soi…
Emmanuelle Béart :
Pendant le confinement, c'était de toute façon ce à quoi je ressemblais ! Mais Instagram m'a permis aussi de poster une longue lettre sur mon ressenti face au confinement, de mettre un carré noir en soutien aux manifestations contre les violences aux États-Unis...

Avez-vous foi en quelque chose de plus grand que nous, qui nous connecte avec les morts ?
Emmanuelle Béart :
Je n'ai pas le choix, j'ai perdu trop d'êtres que j'aimais pour ne pas ressentir la nécessité de savoir qu'ils sont dans chacune de mes cellules, à l'intérieur de moi. J'ai ce besoin absolu d'être en contact avec eux. Je ne peux pas ne pas croire en quelque chose d'autre, quelque chose qui nous dépasse. Ce n'est pas un choix. Je pense à une phrase que mon père me disait : "Le verbe, c'est quand on tente de parler à Dieu, l'image, c'est le diable, le silence, c'est quand Dieu vous parle". Mon père m'accompagne tout le temps, à chaque instant.

Découvrez l'album "De Béart à Béart(s)", désormais dans les bacs.