Aurore Guillot : entretien avec le Meilleur Ouvrier de France Lingerie "C'est un travail de longue haleine"
Tout d'abord, quelles sont les conditions pour participer au concours ?
Il y a des inscriptions tous les trois ans. C'est principalement ouvert aux personnes issues de la profession, mais ce n'est pas une obligation, la preuve ! Il faut également être âgé de plus de 23 ans pour participer. Ensuite, en fonction des métiers, les épreuves peuvent être en une seule ou plusieurs parties, avec sélection et finale, comme en haute couture flou par exemple. Pour la lingerie, il n'y a que l'épreuve finale à passer.
Parlez-nous de cette aventure Meilleur Ouvrier de France...
J'ai tout d'abord commencé par passer le concours haute couture dans la catégorie "flou" en 2000, l'un des deux départements de cette celle-ci, l'autre étant le tailleur. Ce qui m'a valu d'être sélectionnée en finale, mais point lauréate. Je ne voulais surtout pas rester sur un échec... J'ai donc souhaité retenter ma chance en 2004.
Pourquoi avoir choisi la lingerie cette fois-ci ?
La discipline du flou, ma spécialité, a été supprimée. Je me suis donc lancée dans la lingerie, qui s'en rapproche le plus. Un beau défi à relever, et pas désagréable.
Vous impose-t-on des contraintes techniques ?
Oui, le thème du 23è concours en catégorie lingerie : une parure chemise de nuit et déshabillé assortis. Pour la chemise de nuit, il fallait un modèle dit "parapluie" avec l'utilisation du "plein biais" et des matériaux mousseline et dentelle. J'ai par contre choisi la couleur, orange, comme l'aurore, et l'esprit du modèle... Ensuite, vous avez trois ans pour vous organiser et réaliser cela !
En termes d'investissement, que représentent ces 3 années de travail ?
Cela coûte en temps - car finalement 3 ans, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas tant que ça ! -, mais aussi en argent, car tout le matériel nécessaire est à vos frais. J'aurai d'ailleurs aimé concevoir le modèle en mousseline de soie, mais cela revenait bien plus cher. J'ai donc opté pour de la mousseline synthétique, moins onéreuse mais plus difficile à travailler. Pour vous donner un ordre d'idée, il m'a fallu cinq mètres de tissu pour la chemise de nuit et sept mètres pour le déshabillé. Beaucoup de dentelle également, que j'ai trouvée chez Solstiss (pièce complète de quatre mètres). Bien entendu, le jury a bien conscience de cet aspect financier et accepte que l'on utilise des matériaux moins nobles désormais. Avant, on aurait pu nous demander de la soie ! Un bon point déjà.
Côté organisation ?
Je dirai que la première année, on pense au modèle, on cherche les matériaux, il y a un certain mûrissement du travail qui opère. Les deux années suivantes, on concrétise. C'est vraiment un travail de longue haleine. Pour la petite histoire, c'était la première fois que je m'attaquai à l'incrustation de dentelle à la main. Un matériau que j'ai découvert et trouvé très agréable. Mais cela, plus la mousseline de soie délicate à travailler, m'a demandé une grande patience !
Et le jour J, comment cela se passe ?
Le concours lingerie s'est déroulé à Paris. C'est assez stressant. Plus par rapport à soi-même que pour la concurrence, car il peut y avoir plusieurs lauréats comme aucun. D'ailleurs, il n'y avait eu personne depuis plusieurs années dans cette catégorie. Etant une véritable perfectionniste, la plus dure des épreuves a été de m'habiller pour commencer ! J'ai donc eu à présenter mon modèle sur un mannequin de couture. Mon rêve serait bien entendu de le faire défiler sur un vrai mannequin. Il vivrait, volerait... Mais c'est impossible pour des contraintes de mensuration.
Et j'ai gagné. Remise de la médaille en janvier 2008 à la Sorbonne puis à l'Elysée, avec discours du président de la République.
Félicitations !