"J'ai appris que ma fille était trisomique à sa naissance"

Claire est la maman de Ninon, une petite blondinette de 7 ans au sourire espiègle et porteuse d'une trisomie 21. Regard des autres, difficultés administratives, scolarisation compliquée, manque de prise en charge... Le quotidien de la famille n'est pas toujours facile. Rencontre.

"J'ai appris que ma fille était trisomique à sa naissance"
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Claire a deux filles : Yola (12 ans) et Ninon (7 ans). Après un accouchement difficile, Claire a appris que sa fille cadette était porteuse de trisomie 21. Comment réagir en tant que parents et comment rebondir ? Comment gérer le handicap de son enfant au quotidien ? Confidences d'une maman positive et engagée. 

Quand avez-vous découvert la trisomie 21 de Ninon ?

Nous avons appris que Ninon était porteuse de trisomie 21 à sa naissance, le lendemain de mon accouchement plus précisément. Quand les médecins ont vu Ninon, ils ont tout de suite eu un doute, alors que mon mari et moi n'avions rien remarqué d'étrange. Ils trouvaient qu'elle était hypotonique, qu'elle avait les oreilles implantées bas, les yeux un peu bridés et un pli palmaire unique sur les mains. Et pourtant, les médecins n'avaient jamais suspecté une éventuelle trisomie lors des différentes échographies. Puis, comme j'ai eu Ninon à 28 ans, je n'étais pas considérée comme une mère "à risque" et je n'ai pas voulu faire le test sanguin (dépistage prénatal) que je ne trouvais pas très fiable et angoissant. Je n'avais pas envie de me rajouter du stress et je ne regrette absolument pas ma décision. En plus, j'avais une amie qui, un an avant la naissance de Ninon, avait fait les tests sanguins et ces derniers révélaient un risque pour le bébé d'être trisomique. Ses échographies étaient également douteuses. Et puis finalement, après de longs mois de stress et une amniocentèse, son bébé n'avait rien du tout.

"La trisomie, comme toute pathologie ou anomalie génétique, est quelque chose qu'on n'a pas envie d'entendre en tant que parents"

Comment avez-vous réagi ?

Je n'ai pas pensé une seule seconde que mon bébé puisse être atteint de trisomie 21. J'avais pensé à plein d'autres choses (anomalies, malformations, pathologies...), mais pas à la trisomie. La trisomie, comme toute pathologie ou anomalie génétique, est quelque chose qu'on n'a pas envie d'entendre en tant que parents. En plus, le médecin qui nous l'a annoncé à eu beaucoup de mal à poser des mots. Il disait que Ninon était "molle", mais ne parlait pas concrètement de trisomie 21. Or, elle en était atteinte et nous préférions le savoir une bonne fois pour toute. A la maternité, nous étions bien accompagnés... voire un peu trop ! Ça allait même un peu vite pour nous. Ninon venait de naître qu'on nous parlait de ce qu'elle pourrait faire comme études, ou comme métier... J'avais besoin de digérer la nouvelle seule, sauf qu'on me laissait très peu seule, j'avais énormément de passages d'infirmières et de médecins dans la chambre.

De retour à la maison, comment se sont passés les premiers mois de Ninon ?

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On m'a tout de suite donné le numéro d'une association (Les Papillons Blancs), que je n'ai pas contactée. Je voulais d'abord me débrouiller seule. Toutefois, Ninon était très souvent surveillée par un pédiatre (celui qui avait suivi ma fille aînée). Elle avait une consultation spécialisée dans un Centre hospitalier universitaire tous les mois, puis avec un médecin spécialisé dans un Centre de protection maternelle et infantile. On nous a donné plein de conseils sur comment réagir, sur le fait de ne pas s'inquiéter si elle manquait de tonus musculaire, si elle se développait plus lentement... A l'âge d'un mois, une psychomotricienne s'est occupée de Ninon. On a appris plus tard qu'il existait des petits palais à disposer dans la bouche de l'enfant pour l'aider à placer correctement sa langue. C'est dommage, car nous n'étions pas au courant à l'époque et ça l'aurait peut-être aidé à parler plus rapidement et à avoir une meilleure élocution. Concernant l'organisation au quotidien, je ne voulais pas que Ninon soit gardée par une nounou. Au contraire, je voulais qu'elle soit très vite en collectivité et au maximum sollicitée par les autres enfants. Je préférerais que ce soit une équipe d'encadrants plutôt qu'une seule personne qui s'occupe de ma fille. C'est plus rassurant et en plus, Ninon avait tendance à rester souvent seule et passive : il fallait la stimuler !

Avez-vous rencontré des difficultés pour scolariser Ninon ?

Ninon est entrée à l'école à 3 ans, mais ça n'a pas été très simple. L'école refusait qu'elle y soit sans une auxiliaire de vie scolaire (AVS). Elle a donc été une douzaine d'heures par semaine en première section de maternelle. En revanche, l'institutrice de deuxième section a vraiment eu du mal avec ma fille et m'a même dit qu'elle n'avait pas sa place à l'école et que moi, j'étais dans le déni du handicap. Selon elle, Ninon ne comprenait aucune consigne et ne pouvait pas participer à d'autres activités que jouer seule avec un morceau de pâte à modeler. Pourtant, à cette époque, Ninon s'exprimait - certes avec difficulté - mais elle comprenait tout. Je trouve qu'on a tendance à être plus exigeant avec les enfants "différents", par exemple porteurs de trisomie 21. Le moindre écart est tout de suite pointé du doigt. Par exemple, on la disputait lorsqu'elle se levait du banc au moment du regroupement, or comme tout enfant de 4 ans, elle n'est pas toujours docile et sage à 100%. Je l'ai donc déscolarisée pendant quelques mois parce ça se passait mal et qu'aucune école n'acceptait de la prendre en cours d'année. "C'est compliqué, il faut absolument une AVS pour ce genre de cas", m'a-t-on répété. Mais je pense sincèrement que si Ninon n'avait pas été trisomique, on l'aurait acceptée sans problème.  

"On a toujours la sensation en tant que parents de devoir se bagarrer pour faire accepter son enfant à l'école."

On a toujours la sensation en tant que parents de devoir s'excuser de déposer son enfant à l'école. Chaque rentrée, on a la boule au ventre et on se pose des tonnes de questions : "est-ce que notre enfant va être acceptée ?", "est-ce qu'on va pouvoir bénéficier d'une AVS ?"... Tous les deux ans, il faut refaire un "projet de vie" auprès de la Maison départementale du handicap. Parfois on serait tenté d'écrire que "notre fille est toujours trisomique" tellement l'administratif est fastidieux. On se doit de toujours tout rejustifier alors que les besoins restent les mêmes d'une année sur l'autre. Et il ne faut pas non plus tomber dans le piège de dramatiser le degré d'autonomie de son enfant, et de déprécier ses qualités pour essayer d'obtenir le plus d'aides possibles, comme on nous l'a souvent conseillé. Après avoir fait une demande à la MDPH et un projet personnalisé de scolarisation (PPS), l'année suivante, Ninon a été scolarisée, assez vite à temps complet, aidée 12 heures par semaine avec une AVS, Elle a été très bien accueillie dans sa nouvelle école, ce fut une bouffée d'oxygène pour nous et nous étions contents. Certains enseignants sont très investis et j'en suis très heureuse, mais à l'heure actuelle, ils ne sont pas tous très à l'aide à l'idée de s'occuper d'un enfant handicapé. Pourtant, une école n'est pas censée refuser un enfant, même sans AVS. L'entrée au CP a été très stressante pour nous. Ninon a intégré une ULIS, elle donc dû à nouveau changer d'école, et elle est en inclusion dans sa classe de CP chaque après-midi. Pour le moment, Ninon est ravie d'aller à l'école et tout se passe parfaitement bien avec sa maîtresse qui prend le temps d'adapter ses méthodes d'apprentissages à notre fille. Elle est actuellement prise en charge dans un SESSAD (depuis ses 4 ans), service vraiment complet qui intervient à l'école en psychomotricité et en orthophonie, et pour des entretiens psychologiques pour toute la famille selon les besoins et surtout en tant que soutien dans toutes les démarches pour appuyer et encourager nos choix. 

"Ninon est intégrée dans sa classe, a une vie sociale normale et fait des activités extrascolaires"

Est-elle intégrée dans sa classe ? Comment vit-elle le regard des autres enfants ?

A l'école maternelle, les enfants n'ont pas tendance à se moquer. En primaire, ils commencent à percevoir une différence, mais ne jugent pas encore. Ninon a beaucoup de tempérament et est sans filtre (sans généraliser, beaucoup d'enfants trisomiques sont sans filtre) et a tendance à avoir un contact facile. Elle s'est faite une bonne copine en maternelle qu'elle revoit de temps en temps à la maison. Tout doucement, je vois le regard des autres enfants changer parce qu'elle grandit. Surtout que Ninon a un an de plus que les autres enfants, est toute petite en taille et a des centres d'intérêt de 3-4 ans, donc ses camarades ne croient pas qu'elle a 7 ans et ne comprennent pas toujours pourquoi elle est au CP. Et même si elle parle bien, elle a quelques soucis de prononciation donc les autres enfants ne la comprennent pas toujours. Ninon a une vie sociale normale et des activités extrascolaires. Elle fait de la danse chaque semaine, elle rigole beaucoup avec ses copines et sa sœur, et s'intéresse à beaucoup de choses. 

Se sent-elle "différente" des autres enfants ?

Ninon sait qu'elle a une trisomie 21 parce qu'on lui a déjà dit. Aussi, elle lit souvent son livre "Florette Coquinette rentre à l'école" dont l'héroïne est une petite blonde aux yeux bleus atteinte de trisomie 21, à laquelle elle s'identifie beaucoup. Mais elle ne se rend pas vraiment compte de ce que c'est. Pour l'instant, elle trouve ça "cool" et est même fière de cette "particularité". Mais parmi un groupe d'enfants, elle ne remarque pas de différences, qu'elles soient mentales ou physiques. En revanche, elle remarque quand on l'exclut ou qu'on la met à l'écart, même si elle n'a pas encore conscience que c'est probablement lié à sa trisomie 21. Elle n'est d'ailleurs pas contente (voire agressive) quand on lui dit qu'elle ne court pas assez vite pour jouer à la récré ou qu'elle fait trop "le bébé". Après, plus elle va grandir, plus elle subira des moqueries, on en est conscient ! On espère qu'elle aura les outils et assez de confiance en elle pour se défendre, mais bon elle a déjà son petit caractère !

Ninon a une sœur aînée de 12 ans qui se prénomme Yola. Comment vit-elle le handicap de sa sœur ?

Mes deux filles ont 5 ans d'écart et par conséquent, elles n'ont jamais été dans la même école. Dans un sens, heureusement, car Yola est extrêmement protectrice avec sa sœur. Quand on fait des sorties en famille, Yola ne supporte pas les regards insistants ou moqueurs des autres enfants. Quand on lui a annoncé que sa petite sœur avait une trisomie 21, elle a tout de suite réagi de manière très positive : "c'est pas grave maman, je m'en occuperai, je lui donnerai la main pour marcher...", m'a-t-elle dit tout de suite. A la naissance de Ninon, Yola nous a fait énormément de bien, à être positive et légère comme elle l'était et sa façon de tout dédramatiser. Elle a tout de suite accepté "la différence" de sa sœur. Elle sait d'ailleurs très bien l'expliquer. Elle a même tenu à faire un exposé sur la trisomie 21 le 21 mars dernier, à l'occasion de la Journée mondiale de la trisomie 21. Aujourd'hui, elles sont très complices, font des jeux ensemble et rigolent beaucoup. Yola tire sa sœur vers le haut et la stimule beaucoup. Mais comme toutes les petites sœurs, Ninon reste "casse-pieds" de temps en temps, donc elles se chamaillent quelques fois. Je pense qu'il est important de parler tout de suite du handicap aux frères et sœurs, pour qu'ils comprennent tout de suite ce qu'il se passe et qu'ils se sentent impliqués. C'est une belle preuve de confiance aussi. 

Que conseillerez-vous aux autres parents qui se trouvent dans la même situation que vous ?

Je leur conseille vivement de rencontrer d'autres parents, de discuter de leurs angoisses, de leurs doutes, des problématiques qu'induisent cette particularité, et de partager leurs difficultés, mais aussi leurs bons-plans. Cela peut se faire par le biais d'associations qui organisent beaucoup de cafés-rencontres dans chaque ville. J'ai moi-même mis en place des goûters-rencontres dans des salons de thé où j'invite d'autres parents dont l'enfant est porteur de trisomie 21 à venir discuter de leur quotidien. Mais le désir de vouloir rencontrer d'autres familles est venu tard. Lorsque Ninon était plus petite, je refusais de rencontrer d'autres parents car je ne voulais ni me projeter en voyant d'autres enfants plus âgés, ni en savoir trop sur la trisomie 21. Je voulais découvrir au fur et à mesure comment Ninon allait évoluer. Mais après, j'ai ressenti le besoin de partager mon expérience, mes craintes et mes appréhensions. Par exemple, à 7 ans, Ninon ne mange toujours rien de solide, mais uniquement des purées, des soupes ou des compotes et j'avais besoin de savoir si cela était arrivé à d'autres familles. Et effectivement, j'ai rencontré une maman qui avait vécu la même chose avec son fils, et lui avait commencé à manger progressivement des morceaux à 8 ans et demi. Ça m'a fait énormément de bien de voir qu'elle me comprenait.

Aussi, on nous dit souvent que les enfants trisomiques sont rapidement "fatigables", ce qui peut vite culpabiliser les parents qui travaillent et qui ne peuvent pas se consacrer à leur enfant à temps plein. Or, tous les enfants sont crevés le soir ou à l'approche des vacances et il ne faut pas se priver de les mettre à la garderie, à la cantine ou à des activités après l'école. Certes, ça les fatigue, mais ça les stimule beaucoup aussi ! On ne devrait pas se sentir coupable d'aller travailler et de les laisser à l'école. En fait, c'est plus l'organisation, la réaction et le regard des autres qui sont compliqués à gérer au quotidien, que le handicap en lui-même.