Peut-on avoir un orgasme en accouchant ?

Comment imaginer que l'on puisse éprouver du plaisir pendant un accouchement ? Comme Marion, maman de trois filles, certaines femmes en font pourtant l'expérience, aussi troublante que puissante. Entre physiologie, anatomie et lâcher-prise, Aurélie Surmely sage-femme, nous aide à y voir plus clair.

Peut-on avoir un orgasme en accouchant ?
©  pitinan

Selon une étude publiée par le psychologue clinicien et sexologue Thierry Postel en 2013*, sur 236.000 accouchements, "668 mamans ont osé confier à leur sage-femme qu'elles avaient ressenti un plaisir physique durant l'accouchement." Mais le choix du verbe "oser" montre à quel point le sujet est encore tabou. Avoir un orgasme alors qu'on donne la vie, allons bon ! Il suffit de demander aux femmes quel mot elles associent à l'accouchement, ceux qui reviennent le plus souvent sont "bonheur", "amour", mais aussi "douleur", "angoisse", "peur". Plaisir ? Jamais. La littérature sur le sujet est lacunaire et s'il est possible de lire quelques témoignages sur internet, le sujet demeure mystérieux. Pourtant, comme l'annonce d'emblée la sage-femme Aurélie Surmely : "avoir un orgasme en accouchant, c'est tout à fait possible !"

Une histoire d'hormones...et d'anatomie

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la survenue d'un orgasme pendant l'accouchement. "Le premier est d'ordre hormonal, explique la sage-femme. Les mêmes neuropeptides sont sécrétés par l'organisme lors d'un rapport sexuel et lors de la naissance, l'ocytocine et la prolactine." Deuxièmement, pendant l'accouchement, le vagin est gorgé de sang, son volume augmente de près de 30%. Lors du passage de l'enfant, il est donc possible que cette pression extrême sur une zone très innervée déclenche un orgasme ou une intense sensation de bien être. Cette modification de l'anatomie conjuguée à une intense explosion hormonale peuvent donc pleinement expliquer la survenue d'un orgasme lors de l'accouchement. Cela ne concerne pourtant pas toutes les femmes. Comme l'explique Aurélie Surmely, "cela reste peu fréquent et concerne surtout les femmes qui accouchent naturellement, sans péridurale."

Accouchement et orgasme, un mélange des genres qui dérange

L'histoire de l'accouchement est largement dominée par l'idée de souffrance. La bible dit : "Tu enfanteras dans la douleur" et les femmes sont en quelques sortes conditionnées à souffrir lorsqu'elles donnent la vie. Il est presque inconcevable pour une majorité d'entre elles d'imaginer qu'elles pourraient non seulement ne pas avoir mal, mais surtout... prendre du plaisir ! Sans même parler d'avoir un orgasme, certaines femmes peuvent aimer accoucher. "Il faut faire attention à ses croyances limitantes et laisser de côté ses appréhensions. On peut parfaitement aimer accoucher et y prendre plaisir !", précise la sage-femme. Pour autant, lorsqu'on évoque la naissance, parler d'orgasme, et donc de sexualité, demeure un sujet complètement tabou. Mais les mentalités évoluent. Depuis quelques années, la parole se libère sur les violences obstétricales, les femmes osent parler de ce qu'elles ont vécu et l'accouchement cesse d'être idéalisé, ou diabolisé. Rares sont pourtant celles qui se confient sans gène, sur ce qu'elles ont vécu.

L'embarras d'une majorité des gens vient surtout du fait que l'on se refuse à associer naissance, et sexualité. Étrange alors même que la naissance est très en lien avec l'acte sexuel de concevoir. Mais tout comme la femme qui donne la vie cesse à cet instant de devenir une femme pour devenir mère, l'orgasme ne devrait rien avoir à faire avec la naissance d'un bébé ! Aurélie Surmely tient justement à préciser que cet orgasme que ressentent certaines femmes lors de leur accouchement n'a que peu en commun avec l'orgasme sexuel. "L'orgasme est moins intense et en même temps semble s'installer sur le long terme. Il s'agit plus d'une sensation profonde de bien-être", explique-t-elle. Pendant l'accouchement, le corps sécrète des endorphines. Il faut alors se laisser aller, accepter ses sensations. Difficile lorsqu'on accouche à l'hôpital ? Oui, confirme la sage-femme, "les femmes qui parviennent à ce degré de lâcher-prise en accouchant à l'hôpital sont rares. Dans le cadre de ma pratique, je l'ai plus souvent observé dans des petites structures, la nuit, lors d'accouchements se déroulant dans l'eau ou même à domicile. Il faut que les conditions soient réunies et que les futures mamans puissent explorer cet autre recoin d'elles-mêmes." L'orgasme pendant l'accouchement est comme un heureux accident, certainement pas une fin en soi. 

Et le papa dans tout ça ?

Présent au côté de leur compagne lors de l'accouchement, une immense majorité des papas n'imaginent pas un seul instant que leur épouse pourrait éprouver du plaisir. Ils tentent de soulager la future maman avec des massages, essaient de se rendre utiles comme ils le peuvent. Mais la réalité physiologique de l'accouchement leur est étrangère. Aurélie Surmely se souvient d'un papa dont l'épouse était en train d'accoucher à domicile et qui expérimentait des sensations très sensuelles pendant les contractions. Elle émettait des râles, des sons profonds, de quoi perturber son compagnon. "Ce futur papa a dû sortir quelques instants, se remémore la sage-femme, lui même percevait sa femme dans sa sensualité, il avait envie d'elle. Cela l'avait vraiment choqué et perturbé." Il est alors important de rappeler que la femme qui accompagne son corps dans le processus de l'accouchement n'est pas la mère qui donne la vie. Le lien entre sexualité et naissance, lui, existe bel et bien. Et ce lien est tout aussi physique que psychologique. "Il faut accepter ses sensations et se rappeler que...ce n'est pas parce qu'on n'en parle pas que cela n'existe pas." conclut la spécialiste. 

"J'ai eu un orgasme pendant mon accouchement", le témoignage de Marion

Marion est maman de trois filles. Si son premier accouchement s'est déroulé sous péridurale, les deux suivants ont eu lieu naturellement. Et alors qu'elle ne s'y attendait pas du tout, elle a eu un orgasme puissant. "J'ai découvert qu'il était possible d'avoir un orgasme pendant l'accouchement lors de ma deuxième grossesse, parce que le thème a été abordé lors de la préparation à la naissance. Je ne m'imaginais pour autant pas le vivre ! Mais lors de mon deuxième accouchement, le travail a été rapide et l'orgasme a eu lieu lors de la dernière poussée, la plus difficile, la plus douloureuse, lors de la sortie du bébé. J'ai hurlé de douleur et crié de plaisir en même temps. La sensation a duré un moment puisque j'en ai pris conscience lorsque j'ai eu ma fille sur moi. Quand j'ai repris mes esprits, je me suis dit : "Waouh, mais j'ai eu comme un orgasme là !" Ce n'était pas pas un plaisir d'ordre sexuel mais plutôt comme une vague immense d'hormones de plaisir rappelant réellement celle de l'orgasme sexuel. Je me suis dit que la nature était bien faite d'offrir ça aux femmes après tant de douleur !

Lors de mon dernier accouchement, la péridurale n'a pas fonctionné. Lorsque j'ai réalisé que j'allais devoir accoucher sans et refaire cet effort ultime de faire naître mon bébé sans aucune autre aide que la mienne, j'y ai repensé. J'ai poussé en hurlant, en fermant les yeux et  d'un coup, encore une fois sur cette dernière poussée, j'ai laissé échappé un énorme "OH OUIIIIIIII", à tel point que j'ai ouvert les yeux tellement j'étais choquée d'avoir dit ça ! J'ai alors vu les sages femmes rire en continuant de m'encourager. Le sujet semble donc bien connu ! J'étais gênée, mais à la fois tellement heureuse que ce soit terminé. Je n'en ai parlé avec mon compagnon que des mois plus tard et lui n'avait pas du tout perçu ce cri comme un orgasme. Il pensait que c'était pour le plaisir de la délivrance...et finalement, il n'était pas loin !"

Merci à Aurélie Surmely, sage-femme et consultante, auteur de "Accoucher sans péridurale" (Larousse, 2018)

*Naissance et jouissance : mise en évidence de l'existence d'un orgasme obstétrical, Thierry Postel (2013)

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