Ces enfants doués qui ratent les tests

Certains enfants présentent d’incontestables caractéristiques de don intellectuel, mais leurs résultats aux tests restent moyens. Il ne s’agit pas de résultats très hétérogènes révélant une faiblesse ponctuelle, toutes les notes sont situées au-dessus de la moyenne, sans plus, à l’exception de quelques rares embellies qui, justement, doivent alerter.

Ils abordent le test dans un état d’appréhension chargée de tant d’anxiété qu’on a déjà du mal à les rassurer, ils restent sceptiques et pensent avec tant d’intensité qu’on leur raconte bien ce qu’on veut que leurs doutes se lisent clairement sur leur visage.

Un tel état d’esprit  leur ôte tout dynamisme et tout ressort : la première hésitation, minime, infime, à peine perceptible suffit à les bloquer. Ils sont persuadés que  la réussite est désormais absolument hors de leur portée, il serait ridicule de s’entêter à vouloir l’atteindre alors que, à l’évidence, ils en sont totalement incapables.

Pour eux, si la réponse ne leur vient pas immédiatement à l’esprit c’est parce qu’ils l’ignorent, ils veulent bien tenter de la rechercher dans leur mémoire, devenue un fatras de toutes sortes de données emmêlées, leurs idées se brouillent, leurs connaissances se diluent dans un magma informe où tout savoir s’engloutit et disparaît.

Pris dans cette tourmente, ils ne peuvent pas se ressaisir, ils basculent très vite dans une tristesse insondable à la mesure de leur découragement.

Au milieu de ce marasme, ils connaissent de brefs moments de grâce : leurs idées s’enchaînent de façon logique et harmonieuse, la réponse leur apparaît tout naturellement, il n’y a plus d’hésitations, de doutes, de tourments, ils savent quasi instinctivement suivre une stricte logique sans dévier, s’égarer, ni plonger dans ce brouillard qui leur est si familier. Ce passage lumineux les étonne à peine, la réussite leur est alors si naturelle qu’ils ne pensent pas fournir d’efforts particuliers, c’est une magnifique mécanique qui fonctionne à la perfection : incrédules, ils pensent seulement que, pour une fois, on leur propose une tâche très aisée  afin de ne pas les décourager complètement en leur permettant de ne pas se trouver constamment en échec.

Pourtant, même alors, ils ne peuvent s’empêcher de trembler en attendant la minute inéluctable qui marquera la fin de ce miraculeux état de grâce, puisqu’on leur a offert cette bienheureuse  échappée comme une aumône destinée à les réconforter.

Ces lueurs fulgurantes ne sont pas fortuites, elles révèlent une dextérité intellectuelle qui ne peut pas être due au hasard, mais celui qui la possède de cette façon ne sait pas l’utiliser comme il en serait capable. Elle échappe à sa maîtrise, si bien qu’il est tentant de penser  qu’un éclair inattendu de génie a surgi dans un ensemble plutôt médiocre.

L’enfant doué méconnu ne s’insurge pas, il estime, lui aussi, que cette description lui convient, simplement il ne comprend pas pourquoi on le félicite tout à coup pour une réussite trop vite atteinte alors que parfois, il peine misérablement, s’épuise en raisonnements menant à des impasses et finit par ne plus comprendre les explications destinées à le guider.

Dans son cas, des doutes terriblement perturbateurs lui ôtent toute confiance en lui : la moindre hésitation est alors gravement dévastatrice, l’enfant incertain est persuadé d’avoir atteint ses limites, il donne le change en mimant avec conviction la réflexion approfondie pour ne pas être taxé d’indifférence ou de paresse, mais, au fond de lui, il est déjà résigné à l’échec, puisqu’il ne peut pas en être autrement et qu’on ne doit pas chaque fois compter sur un miracle.

Il ne lui reste qu’à se désoler en secret : il a conscience de faire de la peine à ses parents, de les décevoir, de les obliger à assumer leur honte face à des professeurs critiques, mais impartiaux, qui ressentent souvent, eux aussi, une impression de flou, d’incertitude en face de cet enfant, mais qui sont bien obligés de s’en tenir aux résultats peu glorieux, sanctionnés d’un laconique "peut mieux faire".

D’où vient alors l’intime conviction que ces enfants sont incontestablement doués ?

Outre les réussites ponctuelles à des épreuves auxquelles ils n’ont pas pu s’entraîner et la facilité qui a permis ces réussites, il y a surtout l’extrême sensibilité. Ces enfants sont dotés d’une perspicacité leur permettant de saisir sans l’ombre d’une hésitation les sentiments et les émotions de leur entourage. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils sont tellement accablés par leurs mauvaises notes : ils ont depuis longtemps renoncé à donner d’eux l’image d’un enfant brillant et prometteur, mais la déception attristée de leurs parents leur fend le cœur chaque fois qu’ils la perçoivent.

Ils comprennent bien que leurs parents les aiment, mais ce n’est pas de cet enfant-là qu’ils avaient rêvé. Il est difficile de faire comme si de rien n’était, chacun tient à ménager l’autre pour ne pas accroître son chagrin par le spectacle du sien.

En fait, c’est en partie à cause de cette sensibilité que ces enfants ne parviennent pas à se reprendre et qu’ils sont immédiatement terrassés par le constat de leur faiblesse quand ils commencent à douter d’eux. Avec cette tendance, propre aux enfants doués,  à amplifier la portée de tous les événements et  de toutes les émotions, ils sont persuadés que leur défaillance est définitive, puisqu’ils sont nuls, ils le savent au plus profond d’eux-mêmes :
seul, un enfant possédant de faibles capacités peut échouer comme cela leur arrive trop souvent lors d’un contrôle pourtant soigneusement et longuement préparé.

Ces émotions bouleversantes balayent tout autre sentiment et toute autre caractéristique, tels que la ténacité, la persévérance, la confiance en soi,  la capacité à trouver en soi une source renouvelée d’énergie. Le discours faussement apaisant et terriblement destructeur qui relativise un échec et finalement toute une succession d’échecs conforte l’enfant éperdu de son impossibilité fondamentale à se ressaisir. Son souci de perfection et sa sensibilité poussés à l’extrême le piègent dans une image faussée où il s’enferme lui-même.

Son état de marasme absolu n’apparaît pas comme tel : il joue à la récréation, durant les bienheureuses minutes où on peut oublier les notes, il ne semble pas déprimé et il parvient même à aller en classe sans avoir mal au ventre, excepté les jours de contrôle, comme la moitié de la classe environ.

Si on lui démontre qu’il possède de réelles qualités de raisonnement, qu’il lui suffirait de quelques méthodes de travail et d’un meilleur contrôle de ses émotions,  il saurait se ressaisir, découvrir le bonheur de mener un raisonnement fluide et efficace, celui de vaincre un obstacle plus ardu parce qu’il aura su utiliser de la meilleure façon possible ses dons jusque-là enfouis. Cet enfant amoindri retrouvera alors l’éclat qui l’avait sans doute caractérisé aux tous débuts de son existence, et que ses parents avaient fini par croire illusoire.