Se disputer devant ses enfants : pourquoi ça peut être bon ?

Les prises de bec et éclats de voix sont-ils à bannir devant ses enfants ? Ont-ils un impact sur leur développement ? Jusqu'où peut-on aller ? Explications et conseils de Bruno Vibert, psychothérapeute.

Se disputer devant ses enfants : pourquoi ça peut être bon ?
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Le ton monte, les divergences d'opinion se succèdent et le conflit éclate... devant les enfants ? On aimerait les préserver de nos éclats de voix, mais ce n'est pas toujours possible. D'ailleurs, ça ne serait pas une si mauvaise chose. En effet, une récente étude menée par l'Université d'Etat de Washington (États-Unis) et publiée dans la revue spécialisée "Emotion" en novembre 2018 affirme qu'avoir un conflit devant les enfants serait bénéfique et les aiderait à extérioriser leurs émotions négatives, au lieu de les contenir. Alors, les disputes auraient-elles des effets positifs pour l'enfant ? Jusqu'où peut-on aller ? Eclairage du psychothérapeute Bruno Vibert. 

Ne pas dramatiser la dispute, ni la banaliser

"De manière générale, il est préférable d'éviter les disputes incessantes devant les enfants", commence par dire le psychothérapeute. "Mais il est évident que des disputes de couple sont inévitables et nécessaires car elles éclairent les conflits et les frustrations. Partant de ce principe, ne pas du tout avoir de disputes devant les enfants ne serait pas positif". Pourquoi ? Parce que l'enfant pourrait très vite penser que les disputes n'existent pas et il lui sera, par la suite, très difficile de gérer un conflit lorsqu'il sera impliqué, car c'est quelque chose qu'il ne connaîtra pas ou très peu. De plus, l'enfant pourra être facilement heurté par le moindre éclat de voix ou par une agressivité inhabituelle, que ce soit à l'école ou ailleurs, Enfin, "les enfants qui ne connaissent pas du tout le conflit peuvent aussi être tentés de cacher leur mal-être, de réprimer leurs émotions et d'intérioriser leurs sentiments négatifs lorsqu'ils grandissent, puisqu'ils n'ont pas eu l'habitude de les voir s'exprimer", précise l'expert. 

"Comme il n'a pas toujours le recul pour analyser une situation, un enfant peut avoir comme première réaction la culpabilité"

Il est donc important que l'enfant soit témoin de quelques disputes, à condition toutefois qu'elles soient modérées et occasionnelles. "De toute évidence, si les disputes ont lieu tous les soirs ou presque, l'environnement ne peut pas être sain pour la famille et pourrait réveiller l'inquiétude et l'anxiété chez l'enfant", précise le spécialiste. L'enfant va alors très rapidement imaginer des scénarios où il va se sentir mal, voire responsable des disputes de ses parents et ainsi penser que "ses parents ne s'aiment plus et vont certainement se séparer". Comme il n'a pas toujours le recul pour analyser une situation, un enfant peut avoir comme première réaction la culpabilité. Et voir ses parents se disputer à longueur de temps peut l'amener à penser qu'il est le responsable ou l'objet de la discorde. Il vaudrait mieux dans ce cas que le couple règle les conflits en dehors de la sphère familiale. 

Le poids des mots, l'impact des gestes... 

Lors d'une dispute, le vocabulaire et le choix des mots sont très importants. "On va plutôt conseiller aux parents d'utiliser le "je" ou le "nous" au lieu d'accabler l'autre à coups de "tu", souvent agressif et accusateur. On évitera également d'impliquer les enfants dans la dispute et de les prendre à partie car ce serait très destructeur pour l'enfant de devoir choisir son camp", explique le spécialiste. Evidemment, même s'il est parfois extrêmement difficile de se contenir, on bannit les insultes, les méchancetés gratuites, les "cassages d'assiettes" ou autres gestes violents... Autant de réactions traumatiques qui peuvent heurter la sensibilité de l'enfant. Par ailleurs, ne mettez pas la dispute sur le dos de la fatigue ou d'une mauvaise humeur. Pour comprendre et dédramatiser la dispute, l'enfant ne peut pas se contenter de ces justificatifs-là et a besoin de comprendre ce qu'il s'est réellement passé. Ainsi, il est important de montrer à l'enfant que l'on prend ses responsabilités et que l'on assume entièrement la dispute.

Expliquez-lui ce qu'il s'est passé (préservez-le toutefois de certains détails) et ne faites absolument pas comme si de rien n'était, car premièrement, les enfants sentent lorsqu'il y a une tension et deuxièmement, ces signaux paradoxaux pourraient au contraire le déstabiliser et l'embrouiller. Soyez cohérents, rassurez-le, et expliquez-lui que ce n'est pas parce que vous vous disputez, que vous ne vous aimez plus. Rappelez-lui qu'une famille connaît des hauts et des bas, qu'elle ne peut pas toujours être d'accord, que c'est même sain d'avoir des idées divergentes, et que malgré les disputes, elle s'aime et est quand même soudée. Surtout, déculpabilisez-le, expliquez-lui qu'il n'y est absolument pour rien et que ce n'est pas lui le sujet de la discorde. Dans tous les cas, cette discussion, il est préférable de l'avoir avec les deux parents. Selon le psychothérapeute, "si la dispute a eu lieu devant l'enfant, il est très important que la réconciliation ait lieu également devant lui pour lui montrer qu'il est possible d'apaiser les tensions et de faire des compromis. A défaut d'une réconciliation, l'enfant pourrait penser, à tort, que la dispute n'est pas finie. En somme, une dispute est une bonne opportunité de montrer à son enfant qu'un problème peut se résoudre grâce à des pas en avant et des compromis". 

Trois règles à suivre

  • Faites attention aux heures sensibles ! Il faut particulièrement être vigilant le matin avant que tout le monde parte au travail ou à l'école "C'est une heure un peu sensible pour se disputer car la réconciliation ne peut pas avoir lieu pendant la journée, jusqu'au retour de l'école. Ainsi, la graine de la dispute peut alors germer et l'anxiété grandit avec. L'enfant rumine toute la journée et peut même perdre en attention et en concentration", explique le psychothérapeute. De la même façon, "il faudrait éviter les disputes lors du retour à la maison : l'enfant n'aura pas eu son sas de décompression et sera privé d'un moment agréable avec ses parents. Dans la mesure du possible, évitez de "casser" ces moments d'échanges familiaux, qui sont ultra nécessaires au développement de l'enfant", précise-t-il. 
  • Manifestez de l'affection l'un pour l'autre. "Il est quand même préférable que l'enfant grandisse dans un environnement le plus sain possible. Ainsi, lors de la réconciliation, les parents peuvent avoir des gestes de tendresse l'un envers l'autre (se prendre la main, se faire une caresse sur l'épaule, une bise, un câlin en famille...) pour montrer à l'enfant l'unité de la famille". La gestuelle est une preuve de la réconciliation, facile à comprendre pour un enfant. De la même façon, veillez à faire attention à la longueur des disputes. Elles sont souvent le fruit de ruminations et peuvent être - la plupart du temps - abrégées. Le fait de répéter inlassablement des reproches inscrit la dispute de manière profonde dans la tête de l'enfant. 
  • Évitez les conflits devant les tout-petits. Un environnement conflictuel fait monter le stress du bébé. Ainsi, les disputes et les discussions houleuses entre parents où le ton monte ne devraient idéalement pas avoir lieu dans la même pièce que le bébé, selon l'expert. En effet, "le jeune enfant enregistre tout et n'a pas encore les moyens de l'évacuer ni de l'exprimer, à part à travers des pleurs. Les tensions fréquentes peuvent à long terme créer de l'anxiété et des angoisses chez l'enfant", justifie Bruno Vibert. 
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