Revenge porn : que faire en cas de cyberharcèlement sexuel ?

Pendant le confinement, le harcèlement en ligne fait davantage de victimes. Revenge porn, "Ficha", Sexting ou encore Slut-Shaming prennent des dimensions inquiétantes sur les réseaux sociaux. Comment agir si son ado en est victime ? Réponses d'experts.

Revenge porn : que faire en cas de cyberharcèlement sexuel ?
© Stokkete - 123RF

Mise à jour du 30 avril à 13h30]. Les chiffres du cyberharcèlement sont malheureusement éloquents en cette période de confinement... Selon l'association E-enfance, les comptes "ficha" se multiplient. Les jeunes n'hésitent pas à publier des photos dénudées, sans le consentement de la personne pour 'l'afficher" en public. L'association reçoit actuellement plus de 350 appels par semaine sur la ligne nationale NET Ecoute en ce qui concerne le cyberharcèlement. 20% de ces appels, liés majoritairement à ces comptes "Ficha", aboutissent à un signalement alors qu'ils n'étaient que 10% avant la crise sanitaire. Une situation qui inquiète le gouvernement et a amené la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes à taper du poing sur la table. "Ces images sont constitutives de revenge porn (utiliser à votre insu des photos intimes), puni de 2 ans de prison et 60 000 euros d'amende", a expliqué Maître Eric Morain, un proche de Marlène Schiappa sur Twitter. En effet, ce que l'on appelle le Revenge Porn est un acte de plus en plus présent ces dernières années, notamment avec l'émergence des réseaux sociaux. Les jeunes étant équipés de plus en plus tôt de smartphones ou de tablettes numériques, "il faut donc se préoccuper de ce qu'ils font avec ces outils", avertit le psychiatre Serge Tisseron*. "Les réseaux sociaux sont un terrain de jeu propice au cyberharcèlement, qu'il soit à caractère sexuel ou pas", précise l'expert. Alors comment identifier le cyberharcèlement sexuel et comment sensibiliser les jeunes ? Que faire si son enfant ou ado en est victime ? Réponses. 

Cyberharcèlement : que dit la loi ? 

Diffuser des photos ou des vidéos à caractère sexuel sans l'avis de la personne concernée est puni par la loi. Depuis l'adoption en 2016 de la loi "Pour une République numérique", le "revenge porn" ou la "pornodivulgation" sont des pratiques passibles de deux ans d'emprisonnement et de 60 000 euros d'amende, selon l'article 226-2-1 du Code pénal. Par ailleurs, les personnes qui envoient des des photos ou des films pornographiques à des jeunes de moins de 16 ans se rendent coupables de diffusion de contenus pornographiques et sont passibles de sanctions pénales. A partir du moment où l'enfant ou l'ado partage ce type de contenus mettant en scène d'autres personnes, il devient à son tour harceleur. Selon la loi 2014-873 du Code pénal du 4 août 2014, le cyberharcèlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Il est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende lorsque ces faits sont commis sur un mineur de moins de 15 ans.

Comment reconnaître le cyberharcèlement sexuel ?

Le cyberharcèlement (ou cybersexisme) peut se pratiquer par le biais des téléphones portables, des messageries instantanées disponibles sur Facebook, WhatsApp, Instagram, Snapchat, des forums ou encore des jeux en ligne par exemple. Selon la loi, il se définit comme "un acte agressif, intentionnel perpétré par un ou plusieurs individus via des outils électroniques, et de façon répétée". Le cyberharcèlement à caractère sexuel impose ainsi à la victime des propos ou des comportements à connotation sexuelle, portant atteinte à sa dignité. Ces intimidations, insultes, menaces, propagation de rumeurs, publications de photos ou de vidéos sont dégradantes ou humiliantes. Et par définition, Internet n'a pas de frontières. Les pratiques de cyberharcèlement sexuel prennent une forme différente selon le sexe de la victime :

Les comptes "ficha"

Issus du verlan "afficher", les comptes "ficha" sont créés sur Snapchat et consistent à diffuser, sans le consentement de la personne, des photos (souvent une ex petite amie) sur lesquelles elle apparaît nue ou très dénudée.

Le slut-shaming

Il s'agit d'une sorte de lynchage qui consiste à rabaisser les filles à cause de leur comportement sexuel (leurs pratiques, leur nombre de partenaire, leurs attitudes ou leur apparence...) qu'il s'agisse de faits réels, de propos extrapolés ou de rumeurs véhiculés sur les réseaux sociaux. Mais cette pratique stigmatise les comportements et condamne les femmes "érotisées" ou sexuellement actives, en leur donnant une image peu respectable, de filles faciles, voire de "prostituées". Assez répandu, ce type de cyberharcèlement est autant perpétré par des filles que par des garçons. 

Le sexting

Contraction de "sex" et "texting", cet acte consiste à envoyer par téléphone mobile ou par Internet des messages pornographiques ou érotiques, des photos ou vidéos de soi nu ou dans des poses suggestives à d'autres jeunes (généralement, à son petit copain). Si ces envois doivent en théorie rester dans un cadre intime, ils peuvent être partagés à d'autres élèves (consciemment ou sous l'effet de la pression d'un groupe). Problème : toutes les vidéos ou images compromettantes peuvent rapidement se retrouver sur Internet  ou sur les réseaux sociaux et restent très difficiles à supprimer.

Le sextortion

Le sextortion est une forme de chantage et d'intimidation en lien avec le sexting. Sous une fausse identité ou un pseudo, une personne (le plus souvent un adulte) parvient à se procurer des photos dénudées ou compromettantes de jeunes (qu'ils s'agissent de filles ou de garçons) via les réseaux sociaux ou Internet. Il intimide sa victime en menaçant de rendre ces images publiques. Le but ? Obtenir toujours plus d'images compromettante, de l'argent ou une rencontre. 

Le revenge-porn

Le revenge-porn est le fait de diffuser ou de partager des photos ou des vidéos compromettantes, érotiques ou pornographiques à d'autres personnes sans le consentement de la victime (fille ou garçon). Le but ? Se venger de son ex et l'humilier, le plus souvent après une séparation. Une pratique d'autant plus facilitée par les plateformes de partage de photos instantanées comme Snapchat. Le revenge-porn est davantage pratiqué par les garçons, expliquait le Collège nationale des Gynécologues et Obstétriciens Français lors d'une conférence sur l'exposition des jeunes à la pornographie en juin 2018. 

Cyberharcèlement sexuel : en parler, absolument !

Serge Tisseron est formel : "il faut en parler, aussi bien dans la sphère familiale qu'à l'école, en faisant en sorte que l'enfant n'aie pas peur d'être jugé ou incompris". Pour cela, "il faudrait que les cours d'éducation à la sexualité et à la vie affective soient réellement dispensés. Ce serait l'occasion d'expliquer aux jeunes les limites de la liberté d'expression, le droit à l'intimité, le droit à l'image, la différence entre le harcèlement et le cyberharcèlement, de leur apprendre à gérer les multiples menaces sur leur vie privée...", poursuit-il. "Et vous parents, soyez ouverts au dialogue et le plus à l'écoute possible". Montrez que vous vous intéressez à la "vie numérique" de votre enfant. Encouragez-le à parler des contenus (photos, vidéos ou textes...) qui l'ont interpellé ou choqué. "Mettez-le en garde contre les pseudos et comptes d'apparence anodins, mais en réalité faux et douteux. Concrètement, dites-lui de ne pas accepter un "ami" dont il ne connaît pas le nom ou qu'il n'a jamais rencontré et ce, même s'il utilise une photo de quelqu'un qu'il connaît (les hackers sont doués pour pirater un compte et récupérer les photos d'autrui). Derrière la personne avec qui il est en contact, se cache peut-être quelqu'un de malintentionné", alerte le Dr Werner, pédiatre et membre de l'Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), En somme, "la prévention est extrêmement importante", insiste le Dr Werner, "sensibilisez votre enfant ou votre ado au fait d'envoyer, de mettre en ligne ou de conserver des photos ou des vidéos de lui nu ou dans des situations suggestives".

S'il a été victime de cyberharcèlement sexuel

Il faut absolument réunir toutes les preuves (faire des captures d'écran, imprimer les échanges...) afin de porter plainte, même si la personne responsable est difficilement identifiable sur les réseaux sociaux. En effet, "avec les brouillages de l'adresse IP et de la géolocalisation, ça devient de plus en plus dur de retrouver les cyberharceleurs", regrette le pédiatre. Mais parfois, cela reste possible. Vous pouvez également contacter votre opérateur Internet ou l'administrateur du réseau social pour signaler la personne en question. Surtout, il faut discuter avec l'enfant de ce qu'il a vécu. Qu'a-t-il éprouvé ? Se sent-il bafoué ? A-t-il perdu confiance en lui ? Que peut-on faire pour l'aider ?... Autant de questions qui favorisent le dialogue et la reconstruction de soi. "Les conséquences psychologiques restent sensiblement les mêmes que celle d'un harcèlement moral classique, sauf qu'elles ont trait à l'intimité, au corps et à l'image de soi. Contrairement à un harceleur à l'école ou dans la rue, le cyberharceleur est virtuel, reste parfois caché derrière son écran, est non identifiable et donc non attaquable. La victime ne peut dans ce cas pas mettre de visage sur son harceleur et c'est plus difficile pour elle de se reconstruire psychologiquement", explique le Dr Werner. Si votre enfant a honte d'en parler ou qu'il a peur des répercussions, mais que vous constatez un mal-être ou un changement dans son comportement (baisse des résultats scolaires, manque d'appétit, trouble du sommeil, irritabilité...), proposez-lui d'aller en parler dans un lieu de parole indépendant du cercle familial, chez un psychologue par exemple. Votre enfant est victime ou témoin de cyberharcèlement ? Le numéro Vert "Net Ecoute" 0800 200 200 est destiné aux enfants et adolescents confrontés à des problèmes dans leurs usages numériques. Ce numéro est gratuit, anonyme, confidentiel et ouvert du lundi au vendredi de 9h à 19h. La plateforme Pharos, mise au point par le Ministère de l'Intérieur, permet de signaler des comportements et des contenus illicites. 

  • S'il a été le cyberharceleur, essayez de trouver quelles ont été ses motivations à produire de tels contenus et à les diffuser (la volonté de se venger peut-être ?), dans la mesure du possible sans porter de jugement. Surtout, "discutez ensemble de comment limiter ou réparer les dommages commis (effacer les contenus existants, discuter avec la victime de ce qu'elle souhaite recevoir comme compensation...)", conseille le Dr Werner. Dans les deux cas, n'hésitez pas à chercher des conseils auprès de spécialistes et à recourir à une aide professionnelle.

*Propos recueillis en octobre 2018 lors d'une conférence sur "Les nouveaux enjeux de l'éducation à la santé sexuelle" organisée par la Chaire UNESCO Santé sexuelle et Droits humains au Ministère de la Santé