Astrid Whettnall : "Nous avons été élevés dans la peur"

Astrid Whettnall capte l'attention et interpelle dans "Tout Contre Elle", de Gabriel Le Bomin. La fiction, diffusée le 12 avril à 20h50 sur Arte, illustre avec subtilité le décalage entre les classes sociales, à travers le prisme d'Hélène, épouse d'un industriel aux velléités politiques, bouleversée après la mort subite de son amant. Un rôle que la comédienne de 48 ans a endossé avec passion et compassion. Rencontre.

Astrid Whettnall : "Nous avons été élevés dans la peur"
© François Berthier

"J'ai bu un café, je suis en pleine forme", lâche Astrid Whettnall. Pétillante et radieuse, la comédienne a opté pour une coupe de cheveux plus courte qu'à l'accoutumée.... car l'audacieuse Belge n'a pas peur du changement. À 48 ans, cette actrice polyvalente a enfilé les costumes de personnages variés : elle se mue en mère à la recherche de sa fille enrôlée dans Daesh dans La Route d'Istanbul, se transforme en femme politique dans la série à succès Baron Noir, et endosse le rôle d'une épouse d'un industriel lyonnais ravagé par l'ambition, dans Tout Contre Elle, au côté de Patrick Timsit et Sophie Quinton. Le long-métrage de Gabriel Le Bomin, diffusé le 12 avril à 20h50 sur Arte, met en exergue le décalage entre les classes sociales de façon brillante et élégante dans un thriller haletant. Une fiction adaptée du roman Spirales de Tatiana de Rosnay, qu'Astrid Whettnall est fière de défendre. Entretien. 

Le Journal des Femmes : Comment s'est passée la "rencontre" avec votre personnage dans la fiction Tout Contre Elle ?
Astrid Whettnall : L'année dernière, j'avais déjà tourné avec Gabriel Le Bomin sur un long-métrage (Nos patriotes, avec Alexandra Lamy et Louane Emera, NDLR). J'ai beaucoup aimé rencontrer le rôle d'Hélène avec lui, parce que je l'admire beaucoup pour son travail en tant que réalisateur de documentaires et de fictions. Il est doué, intelligent, subtil. Le fond du film est très noir puisque l'on parle quand même de mensonge, de culpabilité, de manipulation, mais connaissant Gabriel, je savais qu'il allait rendre tout cela très élégant. C'est d'ailleurs représentatif de cette bourgeoisie française où, sous les apparences de luxe où tout est beau et facile, se cachent énormément de souffrances.

Hélène est étouffée par son époux, un grand industriel lyonnais qui se lance dans la politique, c'est ce qui précipite sa chute…
Astrid Whettnall :
 Une énorme solitude pèse sur elle. Elle vit dans une grande maison magnifique… une cage dorée. Son mari est assoiffé de pouvoir, il n'est jamais là et ne la regarde pas, elle est comme un beau trophée qu'on délaisse. Hélène ne fait pas partie de cette bourgeoisie. À l'origine, c'était une danseuse, et pour son époux, elle a accepté de laisser tomber sa carrière, ne pas faire d'enfant, alors que c'était son rêve. Elle "meurt" dans cette maison.

Hélène parait à la fois courageuse et fragile...
Astrid Whettnall :
Elle a été élevée de manière assez stricte, c'est une femme de devoir. Elle est dure avec elle-même et courageuse, même si elle est fragile. J'admire Hélène, et pourtant lorsque j'ai lu le scénario pour la première fois, je ne la voyais que comme une victime. J'aime beaucoup imaginer le parcours des personnages que j'interprète, depuis le début de leur vie jusqu'au premier jour du scénario. J'ai appris qu'elle était danseuse dans le livre, or pour exercer cette profession extrêmement exigeante, il faut être une héroïne. Elle n'arrête pas de se battre et se pose mille questions.

astrid-whettnall-tout-contre-elle
Astrid Whettnall dans TOUT CONTRE ELLE © Calt / Noon / ARTE

Êtes-vous du genre à vous remettre en question ?
Astrid Whettnall :
Je ne ressemble pas à ce personnage, mais le fait de se poser des questions tout le temps est l'un de nos seuls points communs. Je peux fortement douter de moi ! 

Les scènes que vous partagez avec Sophie Quinton sont riches en émotions. Comment vous y êtes-vous préparée ?
Astrid Whettnall :
C'était un véritable "kiff" de jouer avec Sophie Quinton, effectivement, nos scènes sont très fortes. Nous n'avons fait aucune répétition ensemble avant, on voulait se surprendre. Lorsque l'on jouait les scènes, parfois, Sophie était tellement terrifiante que j'en étais apeurée, je me demandais : "Qu'est-ce qu'elle veut ?!" (rires). Elle peut passer de l'ange à une face ultra plus sombre en un regard, c'est fou ! 

Bruno Solo a également produit la fiction...
Astrid Whettnall : Pendant le tournage, Bruno Solo était en train de tourner un autre film avec Alix Poisson, donc il n'a pas pu venir sur le plateau, mais il nous téléphonait sans cesse, il était très présent sans l'être physiquement. Sur le plateau, c'est souvent le réalisateur qui instaure l'ambiance du tournage. Ici, l'atmosphère était très bienveillante et chaleureuse grâce à la douceur de Gabriel Le Bomin. Le tournage était très court, puisqu'il n'a duré que 3 semaines.

"Je peux passer des heures à la terrasse d'un café à observer le monde"

Appréciez-vous la solitude ?
Astrid Whettnall : J'adore les rencontres, car j'ai besoin d'échanger, d'apprendre, mais paradoxalement, je suis assez solitaire. Je suis très contemplative, je peux passer des heures à la terrasse d'un café à observer le monde en face de moi, c'est terrible ! (rires) En même temps, j'ai besoin d'être tout le temps éveillée, je veux me sentir vivante ! Dans mon métier, on raconte des histoires qui ne sont réelles, mais qui nous permettent de nous plonger très profondément dans la nature humaine. On se rend compte que parfois, même quand un personnage a l'air très éloigné de nous, on doit puiser dans notre intime le plus profond. C'est dingue !

Hélène craint d'être soupçonnée de meurtre, elle redoute l'emprise d'Alice, de quitter son époux… Êtes-vous également paralysée par la peur ?
Astrid Whettnall : On nous élève dans la peur : quand j'étais jeune, c'était la Guerre Froide. La société brandit toujours une menace. Lorsque la peur devient un moteur, c'est terrible car chacun défend son bout de gras, sa pelouse… J'ai peur de la mort par exemple, je n'ai pas trop envie d'y aller (rires) ! Peut-être que la religion peut aider dans ces cas, mais je ne suis pas croyante.

Depuis #MeToo, constatez-vous une amélioration de la situation dans le milieu du cinéma ?
Astrid Whettnall : J'avoue que je n'ai heureusement jamais été confrontée au harcèlement sexuel. Peut-être ai-je déjà subi de la discrimination sans le savoir, car il y a tout de même beaucoup plus de rôles d'hommes que de femmes ! Le mouvement de libération de la parole a sûrement aidé à faire bouger les choses. Je suis pour la mise en place de quotas : dans une certaine mesure, cela peut aider. Mais je ne choisirai pas un réalisateur en fonction de son sexe.

Quels sont vos projets ?
Astrid Whettnall : Je vais commencer le tournage d'un film d'une réalisatrice belgo-turque Banu Akseki avec Asia Argento. C'est génial, c'est la première fois que je vais tourner avec une femme réalisatrice. Je suis tellement contente !

Ne manquez pas Tout Contre Elle, de Gabriel Le Bomin, avec Astrid Whettnall, Patrick Timsit et Sophie Quinton, le 12 avril à 20h50, sur Arte