Olivier Delacroix : "Ces femmes du Nord sont riches de leur liberté"

Dans "Femmes du Nord", diffusé le 26 février à 20h50 sur France 5, Olivier Delacroix et Katia Maksym brossent le portrait de quatre femmes qui ont vécu la précarité et sont parvenues à remonter la pente. Les réalisateurs de ce documentaire inspirant et bouleversant nous racontent l'envers du décor.

Olivier Delacroix : "Ces femmes du Nord sont riches de leur liberté"
© Capture d'écran - France Tv Studio et Tesséo Prod

Courage, détermination, et grâce sont les mots que nous inspirent les parcours de ces femmes, dépeints dans le documentaire Femmes du Nord, réalisé par Olivier Delacroix et Katia Maksym, diffusé sur France 5, le 26 février à 20h50. Stéphanie, Karine, Elisabeth et Pépé, habitantes des Hauts-de-France, ont toutes été durement éprouvées par la vie, avant de remonter la pente. Du jour au lendemain, elles se sont retrouvées sans le sou, sans travail et sans moyen de nourrir leur famille, dans l'une des régions les plus frappées par la pauvreté. Grâce à leur résilience, ces mères courage ont déjoué les pronostics et sont devenues les maîtres de leur destin. Une véritable leçon de vie. Le Journal des Femmes a rencontré les réalisateurs de ce long-métrage inspirant.

Journal des Femmes : Pourquoi avoir consacré un documentaire à ces femmes qui ont vécu la précarité ?
Olivier Delacroix :
Depuis longtemps, nous cherchions à mettre en valeur les responsabilités des femmes dans la société que nous, hommes, avons parfois du mal à assumer. On voulait démonter certains clichés. À travers le parcours de ces quatre femmes, nous avons essayé de faire passer un message : elles seules doivent faire les choix déterminants pour leur vie, sans être guidées par les hommes. L'objectif était également de mettre en exergue les problèmes que rencontrent les femmes de plus de 40 ans pour trouver du travail.
Katia Maksym : Il s'agit d'aborder le thème du déterminisme social, qui concerne souvent davantage les femmes. Beaucoup sont persuadées qu'elles ne pourront pas s'en sortir et resteront dans la précarité, qu'un avenir assez sombre les attend. Nous voulions montrer que l'on peut s'en sortir tout en mettant en lumière ces mères courages.

Ces femmes étaient-elles réticentes à l'idée de témoigner ?
Oliver 
Delacroix : Effectivement, il a fallu leur montrer que notre démarche était sincère. Témoigner est un acte courageux, vous dévoilez une partie de votre intimité en vous livrant à l'opinion des autres, souvent à celle de l'entourage proche… C'est un acte assez héroïque. Lorsque l'on raconte que l'on a été obligé d'aller au Secours Populaire pour donner à manger à ses enfants, on se confronte au jugement des autres.
Katia Maksym : Il n'a pas été évident de les convaincre. Il y a tellement de clichés véhiculés sur le Nord, sur l'idée qu'ils sont tous alcooliques, qu'ils perçoivent tous des allocations. Il fallait montrer que tout cela est très caricatural.

Comment êtes-vous parvenus à les convaincre de se livrer face à la caméra ?
Olivier 
Delacroix : Nous avons réalisé plusieurs documentaires, notamment un sur les femmes de Seine-Saint-Denis (Le parcours des combattantes, NDLR). Nous leur avons donc envoyé nos films et elles se sont rendues compte qu'ils étaient bienveillants et militants. On leur explique qu'elles témoignent pour elles-mêmes, mais surtout pour les autres, qui sont en train de traverser ce qu'elles ont vécu. Ce qu'elles racontent va en inspirer d'autres qui veulent remonter la pente.
Katia Maksym : On a une approche assez délicate, on les joint par téléphone une première fois, on essaie de se voir, on se reparle de nombreuses fois. Il faut essayer de comprendre les raisons de ces réticences. Très souvent, elles avaient peur de l'étiquette de "cassos" que certains pouvaient leur coller.

Ces femmes, mères au foyer, ont sombré dans la précarité après une séparation, un divorce...
Olivier Delacroix : Pour certaines, s'occuper de leurs enfants à plein temps a été un choix, d'autres ont été contraintes par leur homme dès le début. Parfois, ces femmes travaillent quand même : elles font le ménage ou la comptabilité "au noir", dans l'entreprise de leur époux, comme Pépé. Un jour, quand le couple se sépare, vous retrouvez ces femmes dans une situation précaire et il est difficile de rebondir. Je retiens l'histoire de Stéphanie qui, quand elle se pointe à l'ANPE, est reçue par quelqu'un qui lui dit : "Je vois qu'il y a un trou de 20 ans sur votre CV, qu'avez-vous fait ?" Lorsqu'elle lui explique qu'elle était mère au foyer, l'homme lui répond : "Ce n'est pas un métier, ça". Il y a un véritable manque de reconnaissance face à ce statut. Aujourd'hui, Stéphanie veut montrer qu'à 18 ans, il ne faut pas tout de suite se mettre en ménage et accepter n'importe quoi. Elle dit qu'elle est riche, pas financièrement, mais parce qu'elle est libre et indépendante.
Katia Maksym : On sent un vrai traumatisme chez Stéphanie, qui a été mère au foyer. Ses filles se gèrent bien, elles ont toutes travaillé très tôt. Aujourd'hui, il est très important pour elle que ses enfants aient de l'argent de côté, qu'elles travaillent et ne dépendent pas d'un homme, pour ne jamais se retrouver dans la situation de leur mère.

Ces enfants ont vu leur mère lutter pour survivre et font preuve d'une véritable maturité. Ces épreuves ont-elle forgé leur caractère ?
Olivier Delacroix : Les filles de Stéphanie travaillent toutes, elles ont une véritable conscience de la société qui les entoure, qui peut être parfois violente et injuste. J'espère que quelques adolescentes regarderont le documentaire avec leurs parents et s'inspireront de ces jeunes filles.
Katia Maksym : Stéphanie dialogue beaucoup avec ses filles, elles connaissent l'histoire de leur mère. Il n'y a pas de tabou. Karine a également une fille de 15 ans : son regard sur la vie est assez différent de celui des autres enfants de son âge, qui ne se posent pas ces questions sur l'avenir. Elle travaille bien à l'école, elle veut faire des études et s'en sortir. D'ailleurs, elle le dit sans fard : elle veut gagner de l'argent. La fille de Karine a décidé de s'extirper de son milieu d'origine pour grimper l'échelle sociale, sans renier d'où elle vient. On a essayé, autant que l'on pouvait, de recueillir la parole de ces enfants dans le film.

Quel moment du tournage gardez-vous particulièrement en mémoire? 
Olivier Delacroix : Je me souviens du moment où nous sommes dans la chambre de Stéphanie, qui est en train de se maquiller. Elle me dit que quand elle se lève le matin, sa vie a enfin un sens car elle part travailler. Même si elle gagne moins que lorsqu'elle recevait des aides et que ses enfants ne bénéficient plus de certains avantages (centre aéré gratuit, cantine moins chère), aujourd'hui, elle est heureuse. Chez elle, il y a un canapé, une télé, de la musique, de la gaieté, elle est "riche", selon ses propos.
Katia Maksym : Lorsqu'elle dit cela, on se prend une claque. Nous vivons dans une société où l'on se plaint pour la moindre chose, et on atterrit dans des familles qui ont traversé de lourdes épreuves et qui, aujourd'hui, sont heureuses car elles sont satisfaites de ce qu'elles ont. C'est la véritable richesse.

Ne manquez pas Femmes du Nord, dans l'émission Le Monde en Face, diffusée le 26 février à 20h50 sur France 5