Armelle Deutsch "harcelée" : elle nous raconte 

Le 11 octobre à 20h55, France 2 diffuse le téléfilm "Harcelée", dans lequel une jeune femme est harcelée sexuellement par son patron. Rencontre avec Armelle Deutsch qui interprète le personnage de Karine avec justesse.

Armelle Deutsch "harcelée" : elle nous raconte 
© COLLOT HENRI/SIPA

Le Journal des Femmes : Armelle, si vous deviez présenter à nos lectrices la comédienne que vous êtes, que diriez-vous ?
Armelle Deutsch :
Depuis que j'ai commencé ce métier, j'ai beaucoup changé de tête, être un peu un caméléon. On me disait : "Si tu veux que l'on te reconnaisse, il va falloir que tu arrêtes de te transformer trop". Et en fait, c'est ce que j'aime dans ce travail, passer d'un genre à l'autre, endosser à chaque fois un nouveau costume. J'ai commencé par la comédie avec Laisse tes Mains sur mes Hanches, puis grâce à la télévision, avec L'affaire Villemin, j'ai eu la possibilité de tourner dans un registre dramatique. J'apprécie cette alternance, et je trouve que sur le petit écran, il y a plus de choix pour les actrices.

Passer du drame à la comédie, est-ce facile ? 
Oui, parce que je me suis toujours dit qu'on a tout en soi, on peut être gai, triste, en colère, on passe par énormément d'émotions, on n'est pas fait d'une seule couleur dans notre vie. Je trouve que nous, les acteurs, notre rôle est de pouvoir toucher le plus de couleurs possibles. C'est un peu ma démarche depuis que j'ai commencé le théâtre.

Vous incarnez Karine, harcelée par son supérieurComment vous êtes vous retrouvée sur ce projet ? Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'y participer ?
Mon agent m'a proposé de passer le casting, il m'a dit que le film traitait du harcèlement moral et sexuel au travail. J'aime les sujets forts, du coup, j'ai passé les essais, et j'ai rencontré Virginie (Wagon, scénariste et réalisatrice, ndlr). Nos "fantaisies" différentes ont apporté quelque chose d'un peu biscornu et bizarre, mais cela a fonctionné. On avait le point commun de se dire que cette fille n'est pas une petite chose. Elle va bien, au départ, même si cela fait 5 ans qu'elle souffre dans sa famille, du quotidien, du chômage, de ses obligations, mais surtout des problèmes d'anorexie de sa fille. C'est une nana moderne qui se remet sur le marché du travail. Elle se fait séduire par Antoine, mais elle le séduit aussi, elle assume sa féminité. Elle se laisse engouffrer dans ce tourbillon infernal et pervers parce qu'elle ne voit qu'une chose : son objectif, celui de retrouver un poste dans une entreprise. De plus, elle se sent obligée d'assumer financièrement, puisque son mari a perdu son boulot. C'est comme si elle avait des œillères. Elle est piégée et ne voit pas comment la pente se met à glisser et lui échappe. 

Est-ce un rôle que vous auriez accepté en début de carrière ?
Sincèrement, je ne sais pas si j'aurais pu jouer ce rôle il y a dix ans. C'est comme lorsqu'on lit un bouquin qui ne nous touche absolument pas à 20 ans, qu'on le relit dix ans après, c'est une révélation. Je pense qu'à ce moment précis, j'avais la bonne maturité pour pouvoir l'interpréter de manière assez juste. J'avais peut-être aussi le physique qui correspondait. De la même manière, je n'aurais pas pu jouer L'affaire Villemin en étant mère. Avec mes enfants, je ne sais pas si j'aurais assez de recul pour ne pas être abîmée par ce rôle.

Comment se prépare-t-on a un rôle comme celui-ci en tant qu'actrice ?
D'abord, on se prépare pragmatiquement, on se renseigne. Je suis assez "scolaire" dans ma façon de travailler. J'ai écouté pas mal de témoignages de femmes, je me suis nourrie avec des bouquins qui abordent le sujet du harcèlement sexuel, qui sont romancés ou beaucoup plus techniques, comme Ces gestes qui vous trahissent. Évidemment, j'avais déjà entendu parler de ce fléau, mais le fait de travailler dessus m'a fait prendre conscience de beaucoup de choses au niveau intellectuel, émotionnel, et même social. On s'aperçoit que le harcèlement sexuel est toujours d'actualité, sinon plus. Concernant le travail avec Virginie Wagon, la réalisatrice, ce que je trouve chouette dans son film, c'est la fantaisie qu'elle y apporte, dans sa mise en scène, qui ajoute un peu de fraîcheur au film, qui est parfois assez violent. Cela permet d'avaler la pilule, car on ne peut pas tout entendre, on ne peut pas tout regarder. Certaines femmes nous ont dit que le film retranscrivait leur expérience avec justesse.

Armelle Deutsch dans "Harcelée" © Caroline Dubois

Décririez-vous Karine comme une femme forte ?
Pour moi, oui, elle l'est. Je pense que toutes les femmes qui vivent ces choses-là sont fortes. Ne serait-ce que d'avoir la force de tout garder pour elle. Ce n'est pas un manque de courage, c'est une force guidée par la peur. Lorsque l'on est confrontée à ce genre de situation, on ne s'appartient plus, et c'est quelque chose que j'ai compris très rapidement. Les manipulateurs vous dénaturent de votre cœur, de votre corps, et de votre âme. On se sent sale, on se sent coupable. Je m'en suis vraiment rendue compte grâce à ce film.

C'est pour cela qu'elle n'ose pas repousser les avances de son patron ? Il y a la dimension de culpabilité ?
Oui, elle se sent coupable, elle se dit qu'elle lui a laissé la porte ouverte. Il y a aussi le manque d'habitude. Elle est restée dans son foyer pendant plusieurs années, donc elle est maladroite avec la séduction.  Avec Virginie, nous avons beaucoup travaillé sur la gestuelle. Le personnage de Karine prend parfois des positions un peu étranges et bizarres pour montrer cette maladresse dans le corps.

Aviez-vous des appréhensions en acceptant ce personnage ?
Oui, je m'étais mise une pression, je voulais paraître la plus juste possible, même si chaque femme vit son histoire de façon différente, j'ai proposé mon ressenti. J'avais peur de ne pas être à la hauteur de la souffrance de cette femme, mais j'avais aussi confiance dans le scénario, dans la réalisatrice qui m'a guidée, et puis dans mes partenaires. 

Avez-vous eu le sentiment de participer à un projet "d'utilité publique" ?
C'est une vraie question, je me suis demandée si ce type d'initiative pouvait aider. Je pense que oui. Environ 5% des femmes portent plainte, c'est tellement peu. Cela illustre le moment où Karine n'ose rien dire dans le film. On est comme paralysée, on ne peut pas en parler parce que c'est trop violent. J'espère que cela fera réagir certaines femmes qui sont dans cette situation. Je pense qu'il faut être bien entourée aussi, si cela nous arrive et que l'on a pas le soutien de nos proches, c'est beaucoup plus compliqué. Dans le film, on prend le parti qu'il y ait une famille qui, à la base, est quand même d'aplomb. Il y a de l'amour dans cette famille.

Il y a de l'amour, mais sa situation familiale n'est pas simple…
Effectivement, à un moment donné, lorsque tout lâche et que son mari l'accuse de l'avoir trompé, on arrive au summum. mais grâce à cela, le processus de la prise de conscience s'enclenche. Tout à coup, il y a comme un regain d'énergie et d'espoir. Puis, le fait de voir cette fille qu'elle a remplacé au travail, qui est rongée, qui a tout perdu, qui est tombée dans l'alcool, lui renvoie une image très négative. Elle se dit qu'elle ne veut pas finir comme ça. Il y a de l'espoir dans ce film et c'est important de finir sur cette touche.

Le tournage de certaines scènes, et du film dans son ensemble, était-il éprouvant moralement ?
Je posais des post-it sur les scènes qui me faisaient peur. En fait, les scènes que je croyais faciles sont celles où j'ai eu le plus de difficultés. Par exemple, pour la scène où je suis à la campagne, lorsqu'il m'oblige à le masturber, je me suis dit : "De toute façon, c'est concret, c'est physique, cela ne me fait pas du tout peur." Finalement, j'ai vraiment morflé, j'ai été abasourdie, pendant que je tournais la scène, je pensais : "quelle horreur". Cela me débectait alors que c'était faux, mais j'avais vraiment l'impression de le faire. Je pensais à mes enfants aussi, s'ils vivaient un truc pareil... Cette scène m'a vraiment éprouvée. Le moment où ma fille met les céréales dans la bouche de mon fils représente également une image très forte, car tout d'un coup, toute la famille part dans une folie qu'on ne peut plus contrôler. On ne peut pas s'en empêcher de s'identifier en tant que maman. 

En tant qu'actrice, avez-vous déjà été confrontée à ce type de situation, dans un milieu qui n'est pas étranger au harcèlement sexuel ?
J'ai été confrontée à quelqu'un, dans mon travail, qui tenait absolument à ce que l'on sorte ensemble. Il est tombé amoureux de moi ou il a fait un caprice, je ne sais pas. Il allait jusqu'à m'envoyer des lettres, à venir devant chez moi, à me dire des choses, et ensuite à ne plus me parler sur le plateau… Cela m'est arrivé et je pense que je ne suis pas la seule. Cette situation d'abus de pouvoir peut se produire dans n'importe quel milieu. À l"époque, j'ai tranché, je me suis dit : "Mais merde, je ne suis pas montée jusqu'à Paris, pour ne pas me faire respecter et pour ne pas arriver dans mon métier de manière saine". J'ai décidé de ne plus parler à cet homme. Le tournage s'est passé de manière très bizarre, mais tant pis. 

Après un tournage comme celui-ci, comment retourne t-on "à la réalité" ? En ressort-on changée ?
Nous travaillions beaucoup tous les jours, parfois même le samedi, j'étais donc immergée. J'avais mes filles au téléphone, elles sont même venues me voir, mais ma famille sentait bien que j'étais un peu ailleurs. Malgré tout, j'ai fais une formation théâtrale et on m'a appris très tôt à rentrer dans une émotion, et à couper une fois que le jeu s'achève. Parfois, il arrive de se laisser embarquer, il faut savoir faire la part des choses, car sinon le rapport devient trop schizophrénique et malsain. Par exemple, la journée on avait des scènes très dures avec Thibault de Montalembert, qui joue le harceleur, et Véronique, la réalisatrice. Le soir, on mangeait tous ensemble, on rigolait et cela nous permettait de respirer. 

Ne manquez pas Harcelée, diffusé sur France 2, le 11 octobre à 20h55.

"Bande-annonce Harcelée"