Annie Girardot, généreuse égérie du cinéma français, aurait eu 90 ans

"Je ne joue pas un rôle ; le personnage, c'est moi". En incarnant la femme libérée des années 70, Annie Girardot est devenue l'actrice préférée des Français. Pourtant au début des années 80, elle perd son statut de star et sombre dans l'oubli.

Annie Girardot, généreuse égérie du cinéma français, aurait eu 90 ans

Ce n'est pas un, mais trois César que cette actrice éclatante, insolente, inspirée, a reçu en récompenses. Coupe garçonne, gouaille fragile, sincérité déconcertante, Annie Girardot a mené sa carrière comme sa vie, instinctivement et généreusement, sans se soucier de son image, alternant réussites et échecs mais conservant toujours sa popularité, son statut de grande sœur, de bonne copine. À travers une trentaine de films, cette femme émancipée dont les rôles s'inscrivent dans l'évolution des mœurs est entrée dans notre coeur. "Pourquoi est-ce que je fais partie de votre famille? J'ai été juge, avocat, chauffeur de taxi, flic, chirurgien… ", écrivait Annie Girardot, décédée à 79 ans, le 28 février 2011, de la maladie d'Alzheimer, dans son livre Vivre d'Aimer. "Je suis votre cousine, votre tantine, votre maman, votre fiancée", ajoutait-elle dans son autobiographie Partir, Revenir, parue en 2003. Elle s'y disait "l'anti-vamp qui a profité de la vie jusqu'à la lie".

Née le 25 octobre 1931 à Paris, Annie Girardot est confiée à un couple d'amis par sa mère, qui la récupère six ans plus tard. La gamine en garde un sentiment d'abandon qui nourrira son jeu, mais fragilisera ses rapports aux hommes... Infirmière de formation, elle suit les cours du Conservatoire national, fait ses classes avec Belmondo, Marielle, Cremer, Rochefort…et emporte le premier prix.
En 1954, elle intègre la Comédie Française. Regard noir, sourire fier, présence immense, la demoiselle révèle son talent dans La Machine à Ecrire de Jean Cocteau, qui lui coupe les cheveux et voit en elle le "plus beau tempérament dramatique d'après-guerre". "Je suis née des mains d'un poète", dira-t-elle. Mais les ors et la rigueur de la Maison de Molière, très peu pour elle ! Lasse, l'impétueuse démissionne et se lance dans le théâtre de boulevard avec Deux sur une balançoire, mis en scène par Visconti.

Annie Girardot, de la scène à l'écran

Annie Girardot débute devant les caméras dans Treize à Table d'André Hunebelle en 1955. Après quelques films commerciaux, elle obtient un rôle à sa mesure dans Rocco et ses Frères, avec Alain Delon et l'acteur italien Renato Salvatori, son futur mari, le père de sa fille Giulia, un homme qu'elle aimera passionnément, mais avec lequel elle entretiendra une relation compliquée et violente jusqu'à leur divorce.
S'enclenche alors une carrière où se succèdent grands rôles et films médiocres. L'Italie l'adopte et lui offre de belles compositions comme dans Le Mari de la Femme à Barbe (1963) et Dillinger est Mort (1969), de Marco Ferreri. En France, boudée par la Nouvelle Vague, Annie Girardot joue avec les anciens comme Marcel Carné. Aux yeux de Claude Lelouch, pourtant, Annie est un monstre sacré, un talent qu'il met en lumière dans Vivre pour Vivre (1967), une star avec laquelle il vit une relation adultère, enflammée, pendant plusieurs années.

Le succès

Avec le très populaire Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas mais… elle cause, la pétulante Annie découvre la gloire. Artiste instinctive, convaincante dans les comédies comme dans les mélos, elle conquiert définitivement le public avec Mourir d'Aimer (1971) d'André Cayatte, un drame calqué sur l'affaire Gabrielle Russier. Elle est alors cette jeune professeure engagée dans une romance avec un élève et qui, face au scandale, finit par se suicider.
Annie Girardot est encore cette femme médecin atteinte d'un cancer dans Docteur Françoise Gailland (1976) de Jean-Louis Bertucelli, qui fait sangloter ses fans. C'est pour ce rôle qu'elle est couronnée par le César de la meilleure actrice en 1977. Autre succès considérable, La Zizanie avec Louis de Funès (1979).
Son énergie la pousse aussi vers des aventures hasardeuses. Dans les années 80, elle apparaît peu sur les écrans et vit une relation passionnelle avec son dernier compagnon, le réalisateur et parolier Bob Decout, considéré par beaucoup comme le responsable de sa dégradation physique et financière. Pour lui, elle achète le Casino de Paris, hypothèque son immeuble de la Place des Vosges, déménage dans un petit appartement rue du Foin. En 1982, l'échec de sa revue la plonge dans un grand désarroi financier et moral, accentué par le décès d'une mère adorée et les problèmes de drogue de sa fille. Au théâtre, elle joue dans Descente aux Plaisirs de Jean-Pierre Coffe, pièce interrompue avec fracas et insultes entre la diva et le chantre de la bonne chère.

© Sipa

L'adieu d'Annie Girardot

A la cérémonie des Césars 96, où elle est honorée pour son second rôle dans Les Misérables de Claude Lelouch, Annie Girardot évoque, en larmes, sa traversée du désert: "Le cinéma m'a manqué. Follement, éperdument, douloureusement". L'année suivante, elle préside la soirée. Puis décroche à nouveau la précieuse statuette, en 2002, pour sa performance dans La pianiste de Michael Haneke. Une consécration d'autant plus poignante qu'Annie Girardot n'est déjà plus vraiment là, emportée dans les brumes de son Alzheimer.
"Il faut faire des folies pour ne rien regretter le jour où…", disait-elle. Une fuite en avant pour cette petite femme, grande fumeuse de gauloises à la voix rauque, qui affirmait avoir "peur de tout". La postérité? "Basta!", avait-elle balancé.